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Au temps des fées, il y a très longtemps, à l’orée du Bois Noir, sous la Pierre du loup, se terrait une misérable chaumière. La terre glaise et la bouse de vache avaient bien du mal à colmater les lézardes des murs qui n’avaient jamais connu le crépi ; les souris nichaient sous les poutres à peine protégées par le toit de chaume dont les brindilles servaient au printemps, aux oiseaux pour bâtir leurs nids ; les taupes labouraient la cour mal pavée. Un appentis de planches mal jointes s’appuyait sur la chaumine et servait de bûcher.

intro buche noel

Dans cette misérable maison vivotait une pauvre famille.

Le père, Guiral, le visage buriné par le soleil, la pluie, les écirs, était journalier agricole, un tantinet braconnier, et « toucadou » (toucheur de bestiaux) pour les foires. La mère, la Nounel, vieille avant l’âge, ridée comme une pomme sèche, toujours vêtue de noir, ramassait du bois mort, cueillait des fraises ,des bois, des framboises, des myrtilles, des champignons qu’elle vendait aux gens du bourg. Ils étaient les parents d’une fraîche sauvageonne de cinq ans : la Lenou.

Cette année, l’hiver s’annonçait rude. Dès la Saint-Martin la neige était tombée en abondance, ensevelissant sous sa couche froide les prés, les champs, les bois. Le vent noir avait soulevé les écirs, nivelant les combes et les chemins creux, puis les froides nuits de décembre durcirent la couche de neige.

Les animaux de la forêt avaient pressenti le rude hiver. Pour la Toussaint, Guiral avait vu passer des hardes de loups et de sangliers qui désertaient le Bois Noir pour se réfugier sous les cieux plus cléments de la Châtaigneraie. Seuls restèrent les lièvres et les renards, on pouvait les voir roder autour des fermes en quête de nourriture. Les oiseaux se réfugiaient dans les granges et les étables où la quiète chaleur du troupeau et les graines du foin leur permettaient de survivre.

En ces temps là, les hivers étaient rudes pour les pauvres gens et les animaux dans la haute vallée de la Cère.

Noël était arrivé, dans la chaumière à l’orée du Bois Noir, sous la Pierre du Loup, on préparait la fête de la nativité.

Dans l’appentis, Guiral sculptait au couteau, dans le pied d’un jeune frêne, une poupée que la Nounel habillerait de vieux chiffons et qu’ils déposeraient dans les sabots de la petite Lénou ; la Nounel s’activait autour de la marmite où mijotait un lièvre pris au collet par Guiral dans le Bois Noir. Lénou astiquait ses sabots de bois pour faire honneur au Père Noël.

Le soleil avait disparu derrière le Perthus ; les étoiles une à une s’allumaient dans un ciel bleu et froid. Malgré le gel extérieur et le précaire abri de la chaumine, il faisait bon dans l’unique pièce. Dans l’âtre, une souche de hêtre qui avait séché tout l’été dans la cour apportait avec la chaleur un complément de lumière au « calelh » (lampe à huile) qui fumait sur la table. La souche léchée par les flammes se tordait, gémissait, dégageait des myriades d’étincelles rouges, jaunes, vertes, bleues qui venaient mourir sur le sol en terre battue et même sur le pelage du chat qui dormait sur le coffre à sel, dans la cheminée à côté des sabots de la petite Lénou en attente du Père Noël. La Nounel mettait sous la souche du petit bois sec pour activer la combustion, tandis que Guiral grattait les braises avec le pique feu.

De la fenêtre, Lénou pouvait voir, dans la vallée de minuscules vers luisants, c’étaient les chaziers, les gardiens , les boissinaïres, les grouffaldiers (habitants des villages des Chazes, des Gardes, des Boissines, des Grouffaldes) qui se rendaient, munis de lanternes, à la messe de minuit.

Quand le vent apporta les premiers sons de cloche annonçant la messe, la souche craqua plus fort, plus longtemps, en dégageant un feu d’artifice d’étincelles. Au milieu de cette gerbe multicolore apparut, vêtue d’une robe blanche presque transparente, recouverte d’un manteau d’hermine rouge une Fée. Pour apaiser les craintes de Guiral de la Nounel et de la petite Lénou, elle leur dit : « je suis la bonne fée, je viens charger la petite Lénou d’une importante mission ». La Nounel présenta, après l’avoir essuyé, un escabeau à la bonne fée et l’invita à prendre un « air de feu » . Installée, la bonne Fée reprit :

« Dans bien des années, quand les loups auront déserté le Bois Noir, les hommes ne connaîtront plus les veillées devant une souche brûlant dans la cheminée. Ils se chaufferont avec des tuyaux de fer, ils s’éclaireront avec des verres, la lumière arrivant par des fils. Pour qu’ils se souviennent des bonnes nuits de Noël, Lénou, quand le soleil sera levé, tu porteras ce parchemin à Patteblanche. »

Patteblanche était boulanger au bourg de Saint-Jacques. Son béret toujours vissé sur sa tête laissait dépasser de gros favoris noirs continuellement recouverts de farine, ce qui lui avait valu ce surnom.

La Nounel pria la Bonne Fée de partager avec eux le frugal réveillon ; tous savourèrent le civet de lièvre qui fleurait bon le thym et les girolles du Bois Noir. Après avoir dégusté un cabécou fait par la Nounel, la Bonne Fée prit dans la cheminée une bûche qui commençait à brûler, la toucha de sa baguette magique et … Guiral, la Nounel et la petite Lénou virent apparaître un magnifique gâteau recouvert de chocolat, de crème, piqué de noisettes sèches, éclairé de bougies venant des braises. Pour accompagner ce gâteau, Guiral sortit de l’appentis une bouteille d’hydromel que la Bonne fée transforma, grâce à sa baguette, en une boisson pétillante qu’elle appela Champagne.

Quelle fin de repas merveilleuse ! Le gâteau était aussi savoureux que beau, le chat roux qui avait eu sa part se lécha longtemps les babines.

Emerveillée mais fatiguée, la petite Lénou demanda à aller au lit ; en l’embrassant la Bonne Fée lui dit : "n’oublie pas, ma petite Lénou, de porter à Patteblanche le parchemin où est inscrite la recette du gâteau que nous venons de manger, tu lui diras de faire le même chaque année à Noël ».

Dès que Lénou fut endormie, la Bonne Fée prit la poupée de bois sculptée par Guiral et habillée de vieux chiffons par la Nounel, la toucha de sa baguette magique et la transforma en un splendide poupon qui disait « papa, maman », fermait les yeux, marchait et faisait même pipi. La Bonne Fée prit congé de ses hôtes et disparut par la cheminée dans un nuage de fumée, après avoir déposé le parchemin sur la table.

Le soleil était déjà haut quand la petite Lénou se réveilla, le poupon dans ses sabots lui prouva qu’elle n’avait pas rêvé, que la Bonne Fée était bien passée. Elle se prépara rapidement, prit le parchemin et partit accomplir sa mission. Elle trouva Patteblanche qui faisait sa coinchée dominicale au petit café face à la croix, sur la place de l’église. Elle lui remit le parchemin, en lui racontant la merveilleuse nuit qu’elle avait passée, sans omettre un détail. Patteblanche remercia, lui bourra les poches de friandises et lui donna une tourte de pain de seigle pour ses parents.

Depuis, chaque année, pour Noël, Patteblanche fait de nombreux gâteaux suivant la recette du parchemin, il les a appelés Bûches de Noël. Les gens de la vallée et même de plus loin viennent acheter ses bûches de Noël. Grâce à son travail mais surtout à la recette de la Bonne Fée, la boulangerie de Patteblanche ne cessa de prospérer. Généreux, il partagea les bénéfices avec la petite Lénou qui se constitua ainsi une belle dot.

Patteblanche avait un fils qui lui succéda ; troublé par la beauté de la petite Lénou, il l’épousa.

Lénou devenue boulangère, vendait pour Noël beaucoup de bûches qu’elle enveloppait dans de beaux papiers. Avec Patteblanche, la petite Lénou devint très riche.

Tellement riche, qu’un troubadour passant dans la haute vallée de la Cère composa la célèbre chanson qui fut longtemps en tête des hit-parades de l’époque et qu’on chante encore aujourd’hui : "La Boulangère a des écus"

C’est ainsi que par une froide nuit de Noël dans une misérable chaumière, à l’orée du Bois Noir, sous la Pierre du Loup naquit la tradition de la Bûche de Noël.

Jean-baptiste Manhès

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