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L’été dernier, comme à mon habitude, je parcourais un chemin de randonnée vers les hautes terres de notre contrée. Par le GR4, je visais la pointe initiale du plateau du Limon, pensant redescendre vers le col de Serre, quand je croisai une famille de touristes et leur chien, heureusement tenu en laisse. Ils me demandèrent si j’étais bien du pays et me dirent qu’ils cherchaient à voir le Cantal. Je leur dis :

« Mais vous l’avez entièrement derrière vous.

 Et je leur montrai du doigt le Peyre- Arse, la Brèche de Rolland, le Puy Mary, plus loin le Pas de Peyrol pour revenir sur la crête au Puy de la Tourte.

 1 peyre arse nord

Le Peyre Arse

 1 Puy Tourte

Puy de la Tourte

   

breche rolland

Brèche de Rolland

 1 Puy Mary Nord 2

Le Puy Mary


–  Mais alors, d’ici on ne voit pas le volcan Cantal ?

  Je compris alors que ces gens pensaient que le Cantal était un volcan unique, comme ceux que je venais de leur montrer. C’est une confusion que j’ai souvent lue et entendue. Faute de temps et de compétence, je me contentai de leur dire que le Cantal, c’était tout le massif.

 Mais j’étais bien décidé à mieux m’informer. 

 J’ai trouvé dans mes lectures une certaine unanimité pour définir un volcan comme un édifice volcanique formé à la suite d’une éruption, même une éruption qui n’a duré que quelques jours. J’ai pu aussi en parler avec des amis volcanologues.

  Entre moins 13 millions et moins 2 millions d’années, sur un socle très ancien qui supporte tout le Massif Central et que l’on retrouve à la surface de la Châtaigneraie et d’autres plateaux granitiques voisins vers 800 ou 900 mètres, le massif du Cantal s’est édifié à travers de nombreux centres éruptifs. C’est un volcan composite qui résulte de la superposition dans la même zone de multiples couches de matériaux volcaniques. A côté d’épisodes d’amples coulées très fluides, le Cantal a connu des épisodes très explosifs, avec des coulées et des projections, des nuages ardents de gaz, de cendres et de laves éclatées.

  Faut-il rappeler qu’autour d’un noyau central d’une température très élevée, peut-être 4000 degrés C, schématiquement notre planète Terre est constituée d’une épaisse masse de roches visqueuses, le manteau terrestre qui est brassé de mouvements de convection et contenu sous l’enveloppe  d’une croûte rigide au contact de l’atmosphère ou des eaux océaniques, croûte continentale visible à l’homme par ses reliefs et croûte océanique cachée dans les profondeurs des océans sur plus de 70% de la surface de la planète. C’est au niveau de ce manteau, lorsqu’il fond, que les magmas se forment et remontent à la surface. Cette fusion peut être le résultat, suivant les régions, du prolongement d’une plaque terrestre sous une autre, de la déchirure d’une plaque, ou de la création d’une instabilité thermique profonde au sein du manteau. Les laves ainsi formées, à leur sortie, peuvent conserver une température de 500° à 1200° C. 

 Cette croûte est composée de multiples plaques qui bougent sous l’effet des courants de convection (on parle de tectonique des plaques), plaques de tailles très différentes. Toutes ne sont pas encore identifiées. On cite souvent 12 plaques majeures et une multitude de plaques mineures.

  Elles peuvent s’affronter, se chevaucher, être fracturées par des fossés d’effondrement, ce qui génère un « rift », souvent très long, par lequel peut remonter du magma. Si le mécanisme géologique qui génère le rift se poursuit, les plaques se séparent jusqu’à la formation d’un océan. Mais souvent les rifts n’arrivent pas à ce stade final. En Auvergne, on trouve un rift visible au niveau de la Limagne. Il se poursuit vers la vallée du Rhône, le Rhin et la plaine d’Alsace, jusqu’en Bohème. Ce système de failles profondes a des prolongements vers le sud et pourrait concerner le Cantal. Certains chercheurs considèrent qu’il se poursuit jusque dans le sud de la France (complexe volcanique du cap d'Agde), et même en Espagne où il existe aussi un volcanisme ancien (volcanisme d'Olot, qui correspond aux volcans de la Garrotxa). 

  Une première hypothèse considère que le volcanisme auvergnat est probablement la conséquence d’un processus de fracturation puis d’amincissement et d’étirement issu de la collision entre les plaques tectoniques africaine et eurasiatique. A l’arrière de cette collision, les plaques se fissurent en alignements. Des chercheurs suggèrent que la formation des Alpes a pu influencer ce processus en induisant en profondeur un déplacement du manteau sous le Massif Central.

  Une autre explication part de la présence d’un « point chaud » sous l’Auvergne, d’origine très profonde, qui aurait généré les volcans. 

   Ces théories ne s’excluent pas forcément, mais peuvent se compléter mutuellement.

  L’évolution de ces structures se poursuit dans la seconde moitié de l’ère cénozoïque (ancien tertiaire et quaternaire) avec de nouvelles éruptions et de fortes érosions. La superposition de multiples couches de matériaux volcaniques a créé un stratovolcan, par de nombreuses bouches d’éruption pouvant donner de nouveaux volcans dont nous voyons aujourd’hui quelques restes, beaucoup ayant disparu, partis par érosion ou recouverts par des coulées suivantes. 

  C’est par analogie avec l’explosion du mont Saint Helens en 1980, dans le nord-ouest des Etats-Unis, sous les yeux de nombreux volcanologues présents sur les lieux, que les chercheurs ont pensé pour le Cantal au même processus il y a environ 7 millions d'années.
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Blocs rocheux effondrés dans la vallée de la Cère - Pas de Compaing près de Thiézac

Les épisodes violents d’avalanches font suite à la formation d’un dôme de laves acides, qui provoquent un bouchon. Il s’en suit une gigantesque éruption plinienne, qui génère des déstabilisations des flancs et des versants des vallées avec de gigantesques avalanches de débris qui parcourent des distances considérables et finissent par se figer pour former des brèches chaotiques. À la suite de cette éruption, d'autres édifices volcaniques se sont développés sur la structure existante.

   Les distances parcourues par les avalanches de débris issues des déstabilisations du Cantal, la masse des blocs éjectés, et les modèles de physique des écoulements pyroclastiques indiquent que la hauteur du Cantal a pu atteindre au minimum 3000 m. 

  Au total, les matériaux qui ont été éjectés ou qui ont dévalé l’édifice jusqu’à ne laisser que les 1855 mètres du Plomb actuel, soit au minimum 1200 mètres de différence, représentent un volume considérable parti dans l’érosion ou les effondrements.

  

  Entre moins 7 millions et moins 2 millions d’années, de vastes coulées basaltiques recouvrent  ces formes en les noyant sous de larges plateaux, les planèzes, qui chapotent plus de la moitié de l’édifice. Cette carapace est presque absente du quart sud-ouest du massif. Mais dans la partie nord elle peut atteindre localement 250 mètres d’épaisseur.

  Aujourd’hui, les vestiges qui subsistent des volcans créés sur de multiples centres éruptifs portent le nom de puy, puech, brèche, roc, dent, plomb, etc. On compte 57 anciens volcans qui dépassent 1300 mètres d’altitude. Une des dernières éruptions nous a laissé le Plomb du Cantal vers moins 2,9 millions d’années.

  L’érosion dont les traces sont les plus visibles de nos jours a été particulièrement intense au cours de l’ère glaciaire entre moins 600 000 et moins 10 000 ans. Durant cette période, le massif du Cantal a été couvert de glaciers dont les langues se sont écoulées très lentement sur les pentes, durant au moins quatre phases. Celles-ci ont laissé de profonds sillons repris par les puissants torrents des périodes interglaciaires et finalement, tout à l’amont, des cirques en amphithéâtres. Enfin les 25 cours d’eau actuels se sont installés dans ces vallées rayonnantes autour du cœur du massif.

  Malgré près de deux siècles de recherches depuis Jean-Baptiste Rames et Pierre Marty jusqu’à Pierre Nehlig et Sébastien Leibrand, certes le Cantal a moins intéressé les volcanologues que les volcans du Puy de Dôme, mais il a généré l’écriture de trente thèses de doctorat et une centaine de publications. 

 Avec 2500 km2, sa couverture dépasse la moitié du territoire cantalien. Pour un diamètre de base de 60 km du nord au sud et de 70 km d’ouest en est, il passe pour le plus grand stratovolcan d’Europe et le plus ancien. Seul l’Etna, à l’heure actuelle, peut lui être comparé. On a parfois fait du Cantal un cône unique, depuis un ancien sommet, pourquoi pas couronné d’un cratère ou d’une « caldeira » (c’est-à-dire un effondrement issu de la vidange d’un réservoir volcanique lors d’éruptions majeures successives). Mais les progrès de la recherche en volcanologie ont permis d’écarter cette hypothèse.          

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  Comme sur beaucoup de coupes stratigraphiques, l’échelle des hauteurs est exagérée par rapport à celle des longueurs, pour mieux faire apparaître le relief.

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  Le Cantal compte donc plusieurs dizaines de volcans, d’autant qu’en plus des volcans actuellement cités, il faudrait compter tous ceux qui ne sont plus nommés sur les cartes de régions totalement désertifiées de leur population et où nul paysan, nul vacher ou nul pâtre n’est plus là pour désigner ces repères sur son chemin. 

  L’érosion récente des langues glaciaires, par les vallées et l’immensité des planèzes aux parcours aisés, permet cependant à l’habitant et au randonneur d’y pénétrer et au savant de poursuivre son travail tellement il reste encore de mystères et certainement d’étonnantes révélations à venir.

 Avant de me séparer de mes sympathiques touristes, un jeune homme me demanda :

« Alors, dites-moi, Monsieur, votre Cantal, comment le désignez-vous ? 

– On essaie de ne plus dire « le volcan du Cantal ». Mais cette formulation se rencontre encore souvent. Vous voyez bien que des volcans il y en a des dizaines. Donc, pour rester dans la réalité, nous disons « Les volcans du Cantal » ou autrement « Le massif du Cantal », mieux encore « Le massif volcanique du Cantal ».

Le chien se mit à aboyer : un troupeau de vaches s’approchait. Heureusement il y avait une clôture.

Emile Ferrer- décembre 2023.

 

 

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