C'était il y a bien longtemps, nos ancêtres à l'étroit dans les grottes de Lascaux et dans la vallée de la Dordogne, s'égaillèrent dans tout le pays, pour conquérir des territoires nouveaux nécessaires à leur survie. Après bien des vicissitudes, des efforts, des peines et des douleurs, ils arrivèrent dans le haut Cantal où vivait, très paisiblement une importante colonie d'animaux.
Un superbe taureau rouge dominait cette harde sauvage, heureuse de vivre dans l'air pur de la Haute Auvergne. Sa robe rouge qui lui avait valu son nom : "le rouge", de ce rouge pareil à la pouzzolane, cette lave de feu donnée par les volcans ; ses solides cornes en forme de lyre, avaient défié et vaincu tous ceux qui mettaient en doute sa prépondérance.
Certainement « le Rouge » est le père lointain des vaches de la race de Salers, ces vaches aussi agiles que des chèvres pour pacager sur les versants abrupts des montagnes. Quand le troupeau reposait, « le Rouge » aimait se promener, une fleur entre les lèvres, dans les bois qui couvraient les monts d'Auvergne. Il cherchait de nouveau pacage pour son troupeau, écoutait les oiseaux, faisait un brin de causette avec les bêtes des bois qui appréciaient sa gentillesse, son esprit d'entr’aide, jamais au cours de ses promenades solitaires, il n'avait abusé de sa force.
Un jour de printemps, alors que « le Rouge » cheminait dans un bosquet de hêtres, au dessous de la Font Négro, des piaillements désespérés lui firent dresser l'oreille : une bergeronnette voletait, toutes en pleurs, autour d'un arbre.
" Pourquoi te lamentes-tu, bergeronnette ?"
"Mon unique enfant, un petit oisillon qui n'a pas encore de plume, est tombé du nid, malgré tous mes efforts, je n'ai pas pu le soulever pour le remettre dans notre logis"
" Ne pleure plus, bergeronnette, je vais sauver ce petit imprudent. "
« Le Rouge » se baissa, saisit l'oisillon, délicatement dans sa bouche et le déposa dans son nid, sur la première fourche d'un hêtre.
" Je ne sais comment te remercier, dit la mère hoche queue, si tu le veux, avec tous les miens, nous suivrons toujours son troupeau, pour vous débarrasser des mouches et des moustiques qui vous assaillent. "
C'est depuis ce jour que les bergeronnettes ont déserté les forêts pour venir nicher dans les haies, près des troupeaux de bovins et qu'elles détruisent tous les parasites qui harcèlent les vaches et les petits veaux. Un après midi d'été, un orage, de véritables trombes d'eau s'abattit sur la vallée, gonflant en un moment tous les ruisselets qui dévalent de la montagne. Le soleil revenu, « le Rouge », toujours une fleur entre les lèvres, se promenait aux Aygues. Sur les bords de la Cère, il vit Jantou, le lièvre qui semblait fort courroucé.
" Que fais-tu là Jantou, ça n'a pas l'air d'aller ? "
" En fin de matinée, j'ai quitté mon gîte, l'orage m'a surpris, je ne peux pas rentrer chez moi, de l'autre côté de la Cère, l'eau recouvre toutes les pierres, le courant est trop fort pour que je traverse à la nage. Mes petits levrauts sont seuls, ils ont dû avoir très peur de l'orage et maintenant, ils doivent s'inquiéter de ma longue absence. "
" Calme-toi, Jantou, monte sur mon dos, je vais te déposer sur l'autre rive. "
Sitôt dit, sitôt fait, quelques instants plus tard, Jantou, tous ses poils secs débarquait sur la berge opposée.
" Grand merci, " Rouge ", je te revaudrai cette gentillesse " , cria Jantou en détalant à toutes jambes, vers son gîte où ses petits levrauts l'attendaient.
Les arbres dénudés annonçaient la venue de l'hiver. « Le Rouge », toujours seul, un brin de genêt entre les lèvres, les fleurs sont rares en automne, se promenait aux Aygues, recherchait un coin bien abrité pour l'hivernage de son troupeau. « Le Rouge » affectionnait cet endroit sur les rives de la Cère : les versants abrupts de la vallée protégent du vent du Nord ; l'eau est toute proche pour le breuvage du troupeau, et fertilise les herbages riverains. Au détour du chemin, il remarqua le manège du Renard, intrigué, il lui demanda :
"Quel est donc ce manège autour de ce roncier Goupil ? "
" Avant l'hiver, j'ai besoin de prendre des forces, aussi, les mûres de ce roncier me tentent. Hélas ! les oiseaux ont dévoré toutes celles qui étaient sur la bordure ; pour attraper celles du milieu, je me pique les pattes, le museau, et pourtant regarde comme elles sont belles ; quel dommage de les laisser pourrir."
" Je vais t'aider, écarte-toi un peu, Goupil ! "
Le Rouge » se mit au travail, consciencieusement il piétina la lisière du roncier qui, sous son poids, fut vite réduite en brindilles, l'obstacle stérile détruit, le renard put, sans se piquer les pattes, ni le museau, savourer les mûres qui, jusqu'alors lui étaient défendues. La bouche dégoulinante du jus des baies, le renard dit :
" Merci . « Rouge », je te revaudrai cette gentillesse "
Pas une journée ne passait sans que « le Rouge » n'assiste un de ses compagnons, rares étaient ceux qui n'avaient pas bénéficier de son aide. La vie de la gent animale s'écoulait tranquille, dans ce coin de la haute vallée de la Cère, dominée par le Plomb et le Puy Griou. Hélas ! les hommes arrivèrent amenant un cortège de misère et la mort. Pour vivre, ils défrichèrent les bois, repoussant les bêtes qui trouvaient dans ces taillis un havre de tranquillité, vers les versants plus pentus, plus raides et surtout moins nourrissants. Pour avoir du lait, de la viande, les hommes domestiquèrent le troupeau de vaches, seul, « le Rouge », très indépendant, réussit à s'enfuir pour se réfugier dans les bois. Pire, les nouveaux occupants se mirent à chasser. Comme ils n'avaient pas d'arme, ils piégeaient les animaux. Avec les pierres plates qui abondent sur le Griou et qui serviront plus tard à couvrir les maisons, ils creusaient des trous profonds qu'ils recouvraient de branchage et d'herbe ; la pauvre bête qui n'avait pas éventé le piège, passait dessus, défonçait la fragile couverture et tombait dans la fosse d'où elle ne pouvait ressortir. Les hommes, ces barbares, arrivaient pour massacrer la bête, avec de grosses pierres.
Un jour, « le Rouge», encore plus solitaire, se promenait, une fleur entre les lèvres, au dessus de la ferme de la Verrière. Très occupé à surveiller les allées et venues des hommes, dans la vallée, il ne vit pas un piège, dans un fracas terrible il défonça la trappe perfide et fut prisonnier du trou. (Aujourd'hui, on peut voir les vestiges de cette fosse devant la grange neuve de la Verrière, pendant longtemps elle servit de "cerbo" ,réservoir, pour l'eau d'irrigation et d'asile, au printemps, pour les grenouilles). Au milieu des branches cassées, des mottes de terre, "le Rouge" tentait désespérément de sortir du piège. La colère grondait en lui, mais, il ne voulait pas rugir, de crainte d'alerter les hommes. La bergeronnette qui, depuis le sauvetage de son oisillon, par « le Rouge», ne le quittait plus, avait vu, avec horreur, toute la scène lui dit :
" Ne crie pas, ne bouge pas, nous te sortirons de ce maudit trou"
Aussi vite que ses ailes le lui permettaient, la bergeronnette, partit en criant :
" le Rouge » est prisonnier, venez vite le délivrer, venez tous ! ".
Ce message entendu par tous les oiseaux fut rapidement colporté dans toute la forêt, ainsi toute la faune fut alertée. Il ne fallut pas longtemps pour que tous soient là. Les renards, les loups, les sangliers, les blaireaux, les martres, les lièvres, les buses, tous les oiseaux : tous voulaient sauver « le Rouge ». Le renard, réputé malin, fut désigné pour diriger le sauvetage, aussitôt, il donna des ordres:
" Les oiseaux, partez en bande, surveiller les hommes, venez nous avertir, si vous voyez qu'il se trame quelque chose contre nous ? Les loups, les plus forts, partez-vous poster à l'orée du bois, sur le chemin, si les hommes approchent, montrez les crocs, en aucun cas, ne laissez pas passer. Tous les autres apportez, des pierres, des troncs d'arbres morts, des mottes de terre, des branches, nous les jetterons dans le trou afin que « le Rouge» s'élève peu à peu et puisse sortir. Au travail mes amis ! ".
Avec quelle ardeur tous se mirent au travail ; les sangliers roulaient des troncs d'arbres morts, les loups charriaient des pierres, les lièvres, les martres, les blaireaux croulaient sous des charges de branches, de mottes de terre, les buses, les corbeaux, les pies et tout ce qui vole ; en vol continu, un pont aérien apportait des branches, des cailloux. « Le Rouge», au fond du trou, disposait les matériaux disparates amenés par ses amis. Après quelques heures d'efforts, le trou fut suffisamment comblé, « le Rouge», d'un bond sortit du piège. Autour de lui, toutes les bêtes à quatre pattes, s'élançaient dans une ronde effrénée, aux sons des chants d'oiseaux. « Le Rouge », un peu ému, la larme à l’œil, en s'ébrouant, en étirant ses pattes meurtries dans la chute, mais aussi, un peu par les matériaux jetés par ses amis, remercia ses sauveteurs :
" Merci beaucoup mes amis, votre courage, votre vaillance, votre ingéniosité sont venus à bout du piège tendu par les hommes. Un moment d'inattention, et je n'ai pas vu la trappe".
Cette mésaventure qui se termine bien, fait la démonstration que le travail fait en commun, est plus fort que la traîtrise des humains. Plus tard, on pourra dire en parlant de vous que l’union créée autour de l’amitié fait la force, une force capable de déjouer tous les maléfices tendus par les hommes. Encore un grand merci à tous. « Le Rouge» vécut très vieux, un soir, il s'endormit au pied d'un sapin, une fleur entre les lèvres, le matin, la bergeronnette, son amie, vit s'envoler son âme vers le paradis des animaux.
Jean-baptiste Manhes