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Le portrait de souverain est une tradition qui puise ses racines dans l’Antiquité. Le portrait peint ou sculpté du roi est diffusé, à partir du xve siècle, par monnaies, médailles, et bientôt gravures. Au milieu du XIXe siècle, le visage du prince-président, devenu en 1852 l’empereur Napoléon III, est largement popularisé par le timbre et la photographie.

Fallières (1906), Deschanel (1920) & Auriol (1947)

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La Troisième République, qui ne réservait à son Président qu’un rôle secondaire, reprit cette tradition. Il était naturel, au fond, qu’un personnage cantonné aux rôles de « représentation » fût, précisément, représenté : c’est son portrait qui représente la France jusque dans les plus petites communes du Cantal. C’est ainsi que les portraits d’Armand Fallières, Paul Deschanel et Vincent Auriol font respectivement partie des archives déposées aux Archives départementales du Cantal par les communes de Saint-Poncy, Saint-Remy-de-Salers et Arnac. Il n’est pas rare de retrouver, dans les greniers des mairies, jusqu’aux portraits du maréchal Pétain, chef de l’État français, qui n’ont donc pas tous fait l’objet d’autodafés ou de « damnatio memoriae » à la Libération.

Fortement codifié et stéréotypé, le portrait présidentiel subit néanmoins des évolutions insensibles mais réelles : ce qui semble invariant exprime la continuité du pouvoir, tandis que ce qui change nous renseigne sur l’image que l’homme veut donner de lui-même.

Armand Fallières (1841-1931), alors président du Sénat, fut élu président de la République en 1906 (contre Paul Doumer). Il se retira dans son Lot-et-Garonne natal en 1913 à la fin de son mandat ; il aurait dit à cette occasion : « la place n’est pas mauvaise, mais il n’y a pas d’avancement ». Alors que son portrait photographique officiel par Eugène Pirou est en pied, le portrait adressé aux mairies de France, réalisé par Nadar et reproduit en photochromogravure, est en buste. La tradition de faire intervenir un grand nom de la photographie dure jusqu’à aujourd’hui, avec la photographie officielle de François Hollande par Raymond Depardon en juin 2012. Fallières, dont on devine la faconde et la rondeur méridionale, est en frac avec le cordon et la plaque de grand-croix de la Légion d’honneur (comme tous ses successeurs jusqu’à Pompidou inclus – Giscard d’Estaing inaugurant la tenue de ville).

Paul Deschanel (1855-1920) est connu pour l’épisode cocasse de sa chute du train en 1920. Il ne resta président que quelques mois de cette année-là ; il semble que la pression de la fonction suprême ait eu un effet dévastateur sur sa santé. Plus svelte que Fallières, il ne porte pas de barbe ; chevelure et moustache sont soigneusement domptées. La photographie de J. Simont reproduite par héliogravure entend donner une image plus raffinée, plus parisienne. Deux livres apparaissent, en bas à gauche, pour seul décor. Sous la ve République, le livre est présent dans les portraits de De Gaulle, Pompidou, Mitterrand et Sarkozy.

On retrouve deux livres sous la main gauche de Vincent Auriol (1884-1966), le « Premier Président de la ive République Française » (1947-1954). Renouant avec la tradition d’Ancien Régime, le portrait est dessiné et mis en couleur. Ce n’est certes pas la tenue du président, mais le caractère inachevé du dessin (le bas du frac et les pieds de la table venant mourir insensiblement, les mains bien maladroites) et l’impression de l’affiche sur du mauvais papier d’après-guerre qui donnent une certaine impression de négligé ou du moins de sans-façon. Le portrait fut réalisé par René Brantonne dit Brantonne (1903-1979), illustrateur (notamment des couvertures de romans policiers de la collection « Fleuve noir ») et dessinateur de bandes dessinées : le choix de cet artiste révèle une volonté de gommer de la fonction présidentielle ce qu’elle avait d’empesé sous la IIIe République.

Archives départementales du Cantal :
E DEP 1433/15 (Fallières) ; 5 E 1381/10 (Deschanel) ; 5 E 1371/1
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