Cette histoire s'est déroulée, il y a bien longtemps, au temps où les bêtes parlaient.
LA FERME :
Au bord du ruisseau du Pas, à l'orée des taillis de hêtres du bois de la Font-Négro, se nichait une fermette. Ah ! qu'elle était jolie, avec ses murs crépis à la chaux, avec ses volets en bois de hêtre qui servaient de paupières aux "fénestrous" décorés de rideaux clairs, avec son toit de lauzes, piqué d'une cheminée qui dégageait, toujours un mince panache de fumée bleue. Un mur en pierres sèches, dévoré par le lierre et des églantiers sauvages ceinturait une cour en terre battue, traversée par une allée en dalles de phonolite du Puy GRIOU. Quelques frênes et sapins, asiles pour les oiseux, dispensaient en été, une douce fraîcheur et, à la mauvaise saison, protégeaient de la pluie du vent d'autan, de la neige et des écirs.
LES HABITANTS :
L'heureux propriétaire, un solide auvergnat, aux fortes moustaches noires, le père BITOU, exploitait quelques arpents de terre qui avec l'aide des communaux de la Blatte Fumado lui permettaient d'élever trois rouges vaches de salers : la FLOURIDO marquée de tâches blanches, la Poumelo et la Quirelo. BITOU aimait bien ses vaches, il leur parlait comme à des personnes en les prenant par le cou, surtout les dimanches quand il rentrait du bourg où il avait bu chopine avec ses classards.
Sa femme, la mère BITOU, la BITOUNE comme on l'appelait, toujours coquette, remuante comme une souris, aidait BITOU pour les travaux des prés et s'occupait du jardin. Le jardin, son orgueil : des fleurs multicolores délimitaient les allées ; grâce au fumier des trois vaches et à l'eau claire du ruisseau du Pas, les légumes abondaient. La BITOUNE régnait aussi sur la basse cour.
LA BASSE COUR :
Le coq : Cantomati, au plumage noir, rouge et jaune, à la crête flamboyante, au jabot avantageux comme celui d'un sénateur, courageux mais un peu vaniteux, ne disait-il pas :
- " Je chante si juste et si fort que dès mon premier cocorico, le soleil pointe son œil derrière le Plomb, pour venir m'écouter ". -
Sa femme, haute sur pattes, répondait au nom de Poulotte. Leur fille très belle, qui ne cessait pas d'aller se mirer dans l'eau claire du ruisseau du Pas, était surnommée : Poulbelle. Dame oie étant morte depuis peu, le jars promenait son long cou, orné d'une collerette de plumes noires, en signe de deuil, et sa solitude, en se lamentant de sa voix nasillarde qui lui avait valu le surnom de: Jargon. A cause de leurs démarches dandinantes, un coup à droite, un coup à gauche, rappelant le geste des scieurs de long, la BITOUNE avait baptisé ses deux canards : Atu, Ayou ( à toi, à moi ). Quand ils n'étaient pas en liberté, dans la cour, les lapins de la famille nombreuse : les Culblancs, de leurs cages pouvaient voir les évolutions de la gent volatile.
Dans une soue bien propre, au fond de la cour, le porc Groinrose digérait, à longueur de journée, les plantureuses pâtées de, à l'abri des halliers de la Font-Negro, jusqu'au jour où...
LA SINISTRE NOUVELLE :
Ce matin, BITOU vît passer TOINE, le tueur de porcs, il l'invita à prendre un verre et lui dit :
- " La neige qui couronne encore la tête du Plomb et du Griou, ne vas pas tarder à fondre, tant que les nuits sont encore fraîches, il serait temps de tuer le cochon "
- " Dans deux jours, quand Cantomati aura chanté, je serais là", répondit TOINE, en vidant son verre.
Tchitchi, le chien de berger, intelligent et débrouillard, qui ne dormait que d'un oeil sous la table, avait entendu le sinistre dialogue. A l'idée, qu'il ne verrait plus son copain Groinrose, qu'il ne pourrait plus le taquiner en lui mordillant les jarrets, le Tchitchi décida de le sauver.
CONSEIL DE GUERRE :
Dans l'après midi, alors que les BITOU vaquaient dans les prés aux travaux printaniers, le Tchitchi réunit, au fond de la cour, loin de la loge de Groinrose, les animaux de la basse-cour. Il leur dit :
- " Nos maîtres veulent tuer, notre ami, Groinrose, dans deux jours , TOINE sera là, j'ai décidé de le sauver, vous devez m'aider , n'oubliez pas qu'après Groinrose, votre tour viendra. Vous devez tous quitter la ferme et prendre le maquis; en gardant les vaches, j'ai découvert un buron abandonné : La Font des Vachers, vous y serez bien, en attendant des jours meilleurs. Si vous êtes d'accord, entassez le maximum de provisions, nous partirons demain, dès la nuit tombée. Ne dites rien à Groinrose, pour ne pas l'alarmer, je l'avertirai au moment de partir. "
Emues, par le triste sort réservé à Groinrose, mises en face des sinistres respectives pour leurs avenirs, les bêtes de la basse-cour approuvèrent les projets de Tchitchi.
LE DEPART POUR LA FONT DES VACHERS :
Le lendemain, en prévision de la dure journée de "mangoune" (préparation de la viande de porc ) les BITOU se couchèrent tôt. Après avoir constaté leur sommeil, le Tchitchi sortit doucement. Tous les animaux l'attendaient, le brave chien avertit Groinrose, et ce fut le départ.
Quelle étrange procession s'ébranla, pour l'exil de la Font des Vachers.
En tête, tel un guide montagnard, croulant sous le poids d'une besace bien remplie, le Tchitchi montrait le chemin. Une casserole sous une aile, une poêle sous l'autre, Cantomati suivait. Un sac tyrolien sur le dos, plein de tourteau, la Poulotte donnait une aile à Poulbelle qui peinait avec son panier d'osier débordant de légumes. Jargon, un carton de pain sur l'échine, s'aidait dans sa marche, en s'appuyant sur un bâton. Otu et Oyou, chacun avec une musette remplie de son, se tordaient les chevilles sur les pierres roulantes du chemin. Les Culblancs, un baluchon sur l'épaule, trottinaient sur les bords herbeux du sentier. Gêné par le lard emmagasiné sous sa couenne, ému par le courage de ses amis, Groinrose peinait, suait.
Averties par Tchitchi et le téléphone arabe des oiseaux, toutes les bêtes de la forêt étaient venues pour encourager les déserteurs de la ferme. Et même, compatissants à la marche pénible d'Otu et d'Oyou, un hibou et une chouette les prirent sur leur dos et des déposèrent directement au buron de la Font des Vachers.
Il était près de minuit, quand la caravane animalière arriva au buron abandonné. Harassés, tous se débarrassèrent de leur baluchon, un peu anxieux, ils entreprirent un petit tour du propriétaire, sous les rayons de la lune.
LEUR NOUVELLE DEMEURE :
Le Tchitchi qui connaissait bien le vieux buron, fut agréablement surpris de voir, avec quel soin et quelle ingéniosité les bêtes de la forêt l'avaient aménagé pour le rendre habitable. Les renards et les lièvres avaient posé un toit de genêts sur les murs rebâtis par les sangliers et les loups. Les écureuils, les fouines, les blaireaux avaient entassé dans un coin de la fougère, de l'herbe sèche, de la mousse pour servir de lit aux nouveaux habitants. Des fleurs, piquées aux murs par les mésanges, les pinsons et tous les autres oiseaux,
souhaitaient la bienvenue aux exilés. Groinrose qui pleurait, ne savait comment remercier ses amis de la ferme et des bois. Le Tchitchi, avant de partir aida ses compagnons à s'installer pour dormir. Mais pourraient-ils trouver le sommeil après une telle journée '.
LE LENDEMAIN A LA FERME :
Cantomati n'ayant pas chanté ( et pour cause) pour réveiller le soleil et ses patrons, c'est TOINE, en frappant à la porte qui tira les BITOU de leur sommeil. Tout en buvant un café, TOINE aiguisait ses couteaux. Enfin prêts, tous les trois sortirent et se dirigèrent vers la loge de GROINROSE. Stupéfaction, elle était vide, comme les cages des Culblancs, pas une bête dans la cour.
La BITOUNE, en larmes se lamentait :
- " on nous a pris toutes nos bêtes ". BITOU tempêtait et ne savait que dire :
-" on nous a jeté un sort, c'est un coup de la "Fugico" ( sorcellerie) nous sommes maudits, nous sommes ruinés ".
TOINE qui ne comprenait rien, tentait de consoler les deux paysans, tout en rangeant ses couteaux devenus inutiles. BITOU qui avait aperçu le Tchitchi, lui commanda :
-" Cherche mon chien, cherche? ". Le chien qui riait sous cape, flaira le sol et partit dans la direction opposée à celle prise la veille par les bêtes de la basse-cour. Arrivé sur les rives du ruisseau du Pas, Tchitchi avoua son impuissance, il dit à BITOU :
- " Je ne sens plus de piste ".
Il fallu bien se rendre à l'évidence, le porc, les lapins et la volaille s'étaient volatilisés.
BITOU jurait, se lamentait, tandis que la BITOUNE, en pleurant, priait Dieu de lui rendre ses bêtes. '
LA VIE A LA FONT DES VACHERS :
Les animaux de la fermette avaient organisé petit à petit leur vie dans le buron abandonné.
Tel un coq de la marine, Cantomati préparait les repas avec les aliments dérobés aux BITOU ; il complétait les menus avec les pissenlits de la "fumado" (pacage autour d'un buron ) avec du "mourélou" (cresson) la verte chevelure des fontaines et des rûs, avec les champignons de printemps que, Jargon cueillait à longueur de journée. La Poulotte, véritable ménagère, comptabilisait les provisions, faisait le ménage, balayait la maison avec un balai de genêts. La Poulbelle, Otu et Oyou tressaient des petits paniers de jonc qu'ils remplissaient de mousse et dans lesquels ils piquaient des violettes, des primevères et toutes les fleurettes des bois. Les Culblancs ramassaient des feuilles mortes et de la bouse de vache qu'ils ensachaient dans des grandes feuilles de gentiane collées avec de la résine donnée par les sapins. Groinrose, une peu amaigri ramassait du
bois pour la cuisine et le chauffage car les nuits étaient fraîches au buron.
Chaque nuit, TCHITCHI, chargé des víctuailles dérobées aux BITOU, venait leur rendre visite. Les bêtes de la forêt, de véritables amis, leur prodiguaient des conseils fort utiles pour l'adaptation à la vie semi sauvage, au buron de la Font des Vachers.
Quelques jours avant Pâques, se tenait au Curadit, près de Mandailles, une importante foire ; accompagnée d'un renard, la Poulotte s'y rendit. Elle put vendre facilement les petits paniers de jonc remplis de mousse et plantés de fleurettes, le terreau ensaché dans les feuilles de gentiane ; avec l'argent récolté, elle acheta : du sel, des allumettes, du son et quelques friandises pour ses amis de bois.
LA VIE A LA FERME :
Si, avec la liberté retrouvée, la joie régnait à la Font des Vachers, à la fermette des BITOU, ce n'étaient que tristesse et désolation. Le père BITOU était triste, abattu, il travaillait sans goût, il ne sortait plus, le dimanche, il n'allait pas au bourg, boire sa chopine avec les classards. La BITOUNE si coquette, se négligeait, elle pleurait sans cesse et délaissait son jardin qui était devenu le domaine des mauvaises herbes.
La Flourido, la Quirelo, la Poumélo, en pacage dans les communaux de la Blatte Fumado, qui n'entendaient plus monter de la cour de la ferme, les joyeux piaillements des volailles, ruminaient tristement ; même le son des clochettes, autrefois si gai, sonnait comme un glas.
Seul le Tchitchi continuait, comme par le passé, à vaquer à ses occupations, chaque soir, il ramenait à l’étables les trois vaches.
Voyant son patron si triste, il se montrait plus affectueux.
L'AVEU DE TCHITCHI :
Des jours étaient passés, alors que BITOU buvait son café, tandis que la BITOUNE, assise devant la cheminée, récitait des patenôtres, le TCHITCHI vient poser sa tête sur les genoux de son patron qui lui dit, en caressant son dos :
- " Mon pauvre chien, toi seul nous reste. Vois comment ma ferme autrefois si vivante est devenue morne. La "fugico" qui a pris toute ma basse-cour, reviendra et prendra peut-être mes vaches. Ah, je donnerai cher pour que la vie reprenne comme avant, que ma ferme s'anime. "
Emu, le Tchitchi lui répondit :
- " Ce n'est pas la " Fugico " qui t'a joué un mauvais tour. Mais avec TOINE, vous vouliez tuer mon copain Groinrose, nous avons voulu le sauver, je les ai aidés à prendre le ,maquis, aujourd'hui, ils sont à l'abri, bien protégés par les bêtes de la forêt. Bien qu'ils apprécient la liberté, ils regrettent parfois la vie de la ferme. Ils reviendront si Groinrose a la vie sauve et que tu promettes de ne faire aucune misère à aucun d'eux. "
De grosses larmes coulaient sur les joues de BITOU et venaient mourir dans sa forte moustache noire, d'une voix rauque, coupée de sanglots, il cria presque :
- " Je ne les tuerai jamais, dis-moi où ils sont, nous partons les chercher. "
- " Ils sont dans le vieux buron de la Font des Vachers" -
Ragaillardie, BITOU prit vite des décisions.
" Je vais demander au père MARTI, de me prêter son ânesse Martine pour porter leurs bagages. Toi, la BITOUNE prépare une bonne pâtée car nos bêtes auront faim en arrivant, Toi, Tchitchi, cours les avertir de se tenir prêts."
LE DEPART DE LA FONT DES VACHER :
A grandes enjambées, pressant Martine, BITOU fut vite à la Font des Vachers.
Toutes les bêtes, averties par le Tchitchi, avaient déjà préparé leurs bagages.
A la vue de BITOU, Cantomati poussa un cocorico retentissant qui résonna longtemps sur les parois rocheuses du Griou, de l'Usclade et du Griounou et dans les combes boisées au dessous du col de ROMBIERE.
Après avoir visité le campement guidé par la Poulotte, après s'être extasié sur l'ingéniosité de ses bêtes, BITOU crut bon de faire un petit laïus :
-" le Tchitchi m'a tout raconté, mes braves bêtes vous nous avez donné, à nous les hommes, une leçon de courage et d'amitié. Comme promis la BITOUNE et moi, ne vous ferons aucun mal ? Allez, mettez vos bagages sur le dos de Martine, il est temps de partir ."
SUR LE CHEMIN DU RETOUR :
Ce n'était pas la triste procession qui, quelques semaines avant, quittait la ferme, mais une Joyeuse bande qui s'ébranlait, pour rentrer au bercail.
BITOU qui avait retrouvé son entrain, chantait une marche que scandaient les coincoins nasillards et discordants de Jargon, Atu, sur le dos de Martine, se laissait porter, Ayou sur l'épaule de BITOU, lui mordillait malicieusement la moustache. La Poulbelle, les Culblancs cueillaient des fleurs pour offrir à BITOUNE.
Les bêtes de la forêt étaient venues saluer le départ de leurs amis de la Font des vachers ;
-ils criaient tous : " ils ont gagné " tandis que, dans le ciel, les oiseaux, avec leurs ailes, faisaient le " V " de la victoire.
La chaude ambiance et les chansons aidant, BITOU et sa caravane animalière furent vite à la fermette cachée sous les halliers de la Font-Négro, juchée sur les rives du ruisseau du Pas.
LA VIE RENAIT A LA FERME :
Accueillis par la BITOUNE qui avait mis un caraco neuf et coiffé son chignon, Cantomati, la Poulotte, Ia Poulbelle, Jargon, les Culblancs, Groinrose, lui firent la fête, dégustèrent la bonne pâtée et lui promirent de lui raconter l'aventure de leur exil à la Font des vachers
Après une bonne nuit, la vie s'organisa, avec de nouveaux principes. Chaque matin, après avoir réveillé le soleil et la ferme, Cantomati, avec la Poulotte, Jargon aidaient la BITOUNE à sarcler le jardin si longtemps délaissé. La Poulbelle allait se mirer dans l'eau claire du ruisseau du Pas, au-dessus de la "gourgue" ( retenue naturelle de l'eau d'un ruisseau ) où barbotaient Atu et Ayou, tous les trois continuaient à fabriquer des paniers de jonc, à planter des fleurettes, que la BITOUN E allait vendre, chaque mardi, au marché de Vis sur Cère, avec les sachets de terreau confectionnés avec ardeur par les Culblancs.
Groinrose pour qui cette histoire était arrivée, menait une vie de pacha et s'amusait avec Tchitchi, son ami à qui il devait tout.
Les clochettes de la Poumelo, de la Quirelo, de la Flourido avaient retrouvé leurs sons de clarine et tintaient joyeusement dans les communaux de la Blatte Fumado.
Chaque Dimanche, BITOU allait au bourg boire sa chopíne avec ses classards, au retour, il parlait à ses trois rouges vaches de salers en les prenant par le cou.
Chaque année, pour la Saint Jean, ils allaient tous faire un pique-nique à la Font des Vachers. BITOU qui n'avait pas oublié l'aide apportée à son cheptel, régalait de friandises les bêtes de la forêt.
Ah, qu'il faisait bon vivre, pour les gens et les bêtes, dans la fermette à l'abri des halliers de la Font-Négro, juchée sur les rives du ruisseau du Pas.
BITOU ET LA BITOUNE ONT TENU PAROLE, ILS N 'ONT JAMAIS TUE DE BETES, ILS SONT DEVENUS VEGETARIENS.
Jean-baptiste Manhes