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Dans ses poèmes, Jean-Baptiste Manhès aime à comparer les mondes, l'ancien et le nouveau. C'est le cas dans ce délicieux déjeuner sur l'herbe qu'il nous sert ici en comparant le déjeuner sur l'herbe des touristes, ceux qui cachent leurs yeux derrière des lunettes de soleil, et celui du paysan potégé des ardeurs du soleil par son chapeau de paille.

dejeuner sur lherbeLe déjeuner sur l'herbe d'Edouard Manet (1863)

Le déjeuner sur l'herbe

Sur le bord du chemin, à l'ombre du feuillage,
A deux pas de l'auto, vil objet d'esclavage,
Sur le sol étalée, table de pique nique
La nappe de papier croule sous les plastiques ;
Sous cet écran tout blanc que l'oiseau curieux toise,
Les rayons du soleil font des ombres chinoises.
Assiettes et gobelets, disposés de guingois
Dressent sur le gazon la table au coin d'un bois.
Autour, heureux et gais, en tenue estivale
Hommes, femmes et enfants, en désordre, s'installent
Pour savourer enfin, en plein air, au soleil,
Le menu conservé au froid artificiel.
Saucisson et poulet, tout sort de la glacière,
On ne met plus au frais le vin dans la rivière.
Ces repas en plein air, pique niqueurs d'été
Que la guêpe effarouche, avant vous existaient.
Assis sur le talus, il était seul convive
Le berger du troupeau, toujours sur le qui-vive ;
Il partageait son pain, son fromage et son lard
Avec son chien fidèle, à l'ombre des feuillards;
Pour apaiser sa soif, bien vite, au pas de course,
Il allait se rincer à la limpide source.
A l'époque des foins, c'était au coin du pré
Que l'accorte servante déballait le panier,
Et les faucheurs repus, par le rude travail
Bien assis, savouraient boissons et victuailles.
Point d'assiette en carton, le lard et le jambon
Sur le pouce coupés, cré nom que c'était bon,
Et la douce fraîcheur, pareille à la cascade
De la gourde de vin bu à la régalade !
Pas de lunettes noires pour protéger les yeux
Mais le chapeau de paille pour estomper des cieux
Les rayons du soleil, pendant la méridienne
Réparatrice, avant que le travail reprenne.
Dans ces agrestes coins, après ces courts repas,
Il ne restait jamais ni os, ni papiers gras.
Pique niqueurs d'été, épris de la nature
Qui sur l'herbe venez, laissez-la verte et pure,
Sans vergogne imitez les paysans indigènes
Et sachez qu'un plaisir vaut bien un peu de gêne.

Jean Baptiste Manhes

 

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