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GENERALITES

La Haute-Auvergne a été long-temps négligée par le touriste, dédaignée par le peintre et l'écrivain.

Une étrange réputation pesait sur cette contrée, écartait d'elle tout voyageur; et cette mauvaise renommée datait de très-loin. Dès le cinquième siècle, un grand évêque, aussi illustre dans les lettres que par sa piété, Sidoine Apollinaire , pressé de franchir les montagnes qui séparent la Limagne du Rouergue, écrivait à Elaphius : « Dieu étant notre guide, nous viendrons à travers les  flancs escarpés de tes montagnes, et nous ne craindrons ni les rocs placés sous  nos pieds, ni les neiges amoncelées au-dessus de nous, alors même qu'il nous  faudra tourner et retourner par les pentes des montagnes dans des sentiers brisés en forme de spirale. Car n'y eût-il aucune solennité, tu mériterais, comme dit Cicéron. que pour toi seul on allât visiter Thespies. » Cette horreur que le savant évêque de Clermont ressentait pour la Haute-Arvernie paraît avoir, jusqu'à nos jours, pénétré les voyageurs et les géographes.

Il semblait que du haut de ces tortueux sentiers dont parle Apollinaire, l'œil ne découvrit qu'un paysage décharné, triste et profondément tourmenté; que des crêtes chauves destinées à suspendre des neiges éternelles sur l'horizon, nos vallées descendissent en forme de déchirures, vêtues de roches concassées ; que sur leurs pentes abruptes s'étendît une terre ingrate , trouée çà et là par les ossements de la montagne et mal ombragées par quelques châtaigniers rabougris; que le fond des abîmes se dessinât par quelques maigres filets d'eau , seule image de fraîcheur scintillant parmi des huttes noires, espacées de loin en loin sur un sol misérable. Ainsi les contrées les plus stériles de la Savoie et de la Maurienne n'avaient pas à porter envie à cette terre déshéritée de la nature; et pour en compléter le tableau, naguère encore dans les spectacles des grandes villes, on représentait le paysan cantalien sous les traits grotesques d'un être semi-humain , mâchant le plus béotique langage, ou gambadant lourdement au son d'un insipide refrain.

Méchantes fictions que chaque jour fait évanouir, que mille causes ont enfin contribué à dissiper. Le géologue a fixé ses regards sur nos montagnes, et elles lui ont fourni les plus intéressants problèmes. Le botaniste a cueilli sur leurs flancs de riches moissons. L'agronome a voulu étudier ces pacages de la Haute-Auvergne d'où sortaient des races de bestiaux dont la belle structure l’étonnait. Il y avait là aussi de nobles et rapides coursiers, dignes représentants des types orientaux, qui chaque année dans un brillant concours, aux patriotiques applaudissements d'une élégante galerie, remportaient le prix de la vitesse sur leurs rivaux étrangers. On est venu à nos courses, à nos fêtes. Les alliances de familles, les relations d'amitié ont attire de nouveaux voyageurs. Maintes frayeurs 'ont disparu sur des routes élargies, dont les pentes ménagées présentaient à l'œil la variété des contours, l'élégance des coupes, sans la difficulté du parcours; et, chose étrange, cette région si impraticable a été reconnue comme offrant la ligne de communication la plus commode entre le Nord et le Midi de la France.

Alors s'est produite une sorte de métamorphose. La vieille Alcine et son affreux empire n'étaient pas transformés plus merveilleusement pour séduire le jeune héros d'Arioste que la Haute-Arvernie, de si triste renom, dévoilant aux regards du voyageur l'enchantement de ses horizons inconnus.

Au lieu d'un aride cahos, de cîmes décharnées, de vagues de rochers dressant leurs crêtes les unes contre les autres, les monts cantaliens, vus dans leur ensemble, ont développé l'harmonieuse majesté de leurs couronnements et de leurs rameaux vêtus de lumière et de gazon; entre ces rameaux , les vallées se sont déployées, semblables à d'élégants tapis de hautes herbes qui suivraient de moelleux contours; comme encadrement de ces vallées, on a vu pendre de part et d'autre des forêts touffues, gracieusement enguirlandées avec les rubans d'or que formaient autour d'elles de riches moissons. Mille reliefs détachaient sur le fond des paysages leurs formes pittoresques, leurs mousses d'un jaune tendre et leurs frais ombrages. (Chacune de nos rivières est coupée en milte endroits de chaussées ou digues qui élèvent te niveau des eaux et servent a les faire entrer avec une plus grande abondance dans tes canaux pratiqués sur tes côtés de ta digue, et d'où elles se répandent dans chaque prairie par un réseau de rigoles ingénieusement tracé. Remarque de notre savant collaborateur, M. Toumayre.)

Les méandres des rivières réfléchissaient dans leurs nappes limpides l'azur profond du ciel, et la dentelle de feuillée que le souffle du soir balançait au rivage. La grande voix des flots se faisait entendre sur les digues (.), répondant au bruit des cascades qui bondissaient dans les plis des montagnes. De tous côtés, entre les vergers chargés de fruits, au bord des eaux, sur les verts gradins des coteaux apparaissaient de blanches habitations, tantôt assemblées en groupe et dessinant, avec les plantations répandues entre elles, de suaves mosaïques, tantôt aventureusement jetées, comme de ravissants pavillons, sur quelques caps avancés, à vue lointaine. A l'aspect de tant de fraîcheur, d'élégance et de vie, n'a-t-il pas fallu convenir qu'entre les Pyrénées et les Alpes la Haute-Auvergne formait une délicieuse image de l'Helvétie; non sans doute aussi grandiose dans ses traits, mais si gracieusement découpée parla nature', et parée de si ondoyantes couleurs , qu'elle semblait une jeune et blonde sœur des brunes contrées de l'Alpe.

Ce n'est pas que tous les points de vue de la Haute-Auvergne charment également le regard. La beauté de la nature ressort des contrastes. Ces contrastes existent dans le Cantal. Comme une émeraude incrustée dans un chaton de moindre valeur, l'oasis cantalien a pour ceinture une zone moins heureuse ; elle l'enchâsse en rehaussant de tous les côtés ses bords autour de lui (2). L'aspect de cette ceinture n'est pas celui qui distingue le Cantal. Vers le Sud-Est il rappelle quelques sites des Cévennes, et on retrouve les mêmes formes dans la Lozère, la Haute-Loire et l'Ardèche; sur d'autres points se répète la physionomie de la Corrèze, de la Creuse on du Lot; mais la solennité de nos grandes montagnes, l'irradiation, la fuite et le mouvement de nos horizons du centre; le kaléidoscope admirablement varié que peint sur leurs reliefs le jeu de la lumière, nul autre paysage dans l'intérieur de la France ne saurait en reproduire la splendeur.

Ainsi le Cantal présente deux régions très-différentes au coup d'œil, comme elles le sont par leur nature géologique : le haut-pays , le bas-pays. A côté de ces deux régions la nature a disséminé des plans intermédiaires et de physionomie diverse qui méritent quelque intérêt. Parlons d'abord du haut-pays.