cp

Voir toutes les pages du dictionnaire statistique du Cantal

  La commune de St Simon aujourd'hui

  Ces pages ayant été numérisées nous ne pouvons garantir une fidélité exacte à 100% du texte malgré le soin apporté à sa correction.

Simond (st) ou Sigismond (st).

— La commune de St-Simond ou St-Sigismond fait partie de l'arrondissement et du canton nord d'Aurillac. Elle est bornée au nord par celles de Marmanhac et de Lascelle; au sud, par celle d'Aurillac; elle confine à l'est avec Polminhac et Giou-de-Mamou; à l'ouest, avec Reilhac et Naucelles.

Elle est arrosée par la Jordanne et ses deux affluents, rive droite, les ruisseaux d'Oyez et d'Auzolles; par le ruisseau de Boussac ou de Mamou à l'est de la Jordanne, et par ceux de la Baîsse et de Nozeroles, tributaires de l'Authre, à l'ouest.

La Jordanne traverse la commune sur une étendue de 10 k. environ, depuis Clavières jusqu'au-dessous de la Résinie. Elle est coupée de 14 digues destinées à l'irrigation et fait mouvoir 3 moulins. Le ruisseau d'Oyez prend sa source près de Broussous, commune de Lascelle; trajet : environ 4 kil.; il fait mouvoir deux moulins et reçoit lui-même à Oyez un petit affluent qui détermine le val de la Sagne. Le ruisseau d'Auzolles ou des Riailles commence entre Aiguesparses et la Bastide. Trajet : 2 kil. au plus. Le ruisseau de la Baisse ou de Reilhaguet se forme de deux branches naissant autour de la Bastide et se réunissant au-dessous de La Beau. Trajet: 3 kil. dans la commune. Le ruisseau de Nozeroles porte à son origine le nom de ruisseau de la Capeloune ou de Capalou : il descend du communal de la Gane , non loin de Dône , et se joint dans les prés de Nozeroles au petit cours d'eau qui vient de Dône même; trajet dans la commune : environ 4 kil. Enfin, le ruisseau de Boussac prend sa source près du hameau de Faliès, commune de Lascelle , et fait mouvoir deux moulins; parcours sur le territoire de St-Simond: 5 ou 6 kil. La direction générale de ces cours*d'eau est du N.-E. ou S.-O.

Le sol de la commune est généralement volcanique. Le trachyte y abonde et forme ses principaux escarpements. Le basalte se montre près de l'Estrade et de St-Simond; le calcaire, sur des points nombreux de la vallée de Jordanne et autour de Nozeroles.

La superficie de la commune se compose de 2,700 hectares, savoir : 750 h. en terres cultivées de bonne qualité, mais exposées, sur le versant de la vallée de Jordanne tourné vers le S.-E., aux ravages causés par les fortes pluies et les ravins; elles produisent du froment, du blé, du sarrazin , du chanvre, etc.; 1,600 h. en prés et pacages excellents, surtout dans la vallée de Jordanne; 150 h. en bois, et 150 h. en terres vagues et bruyères.

Ce territoire communal est partagé en trois régions principales : la vallée de Jordanne, le plateau occidental de Dône, et le plateau oriental de Boussac; le premier, coupé par les quatre bassins que forment les ruisseaux d'Oyez, d'Auzolles, de la Baisse et de Nozeroles; le second, par le bassin de Boussac.

La région la plus riche et la plus belle de la commune est incontestablement la vallée de la Jordanne. Nous avons décrit le cours supérieur de cette rivière (Voy. Mandailles, St-Julien. St-Cirgues, Lascelle); nous l'avons vue descendre de son helvétique berceau et courir au travers des splendeurs de l'horizon vers une contrée moins grandiose, mais aussi moins tourmentée l'eu à peu. la plaine s'est agrandie sur les deux bords du gracieux cours d'eau. Les pentes des montagnes ont perdu de leur âpretté ; leurs jets audacieux, leurs menaçantes saillies sont devenus plus rares. Leurs croupes se sont alignées pour s'avancer en chaînes parallèles de part et d'autre de la vallée. Ainsi transformé, le bassin de la Jordanne, en approchant de St-Simond, présente un tableau d'un style large et majestueux, où la nature semble avoir voulu procéder avec noblesse et harmonie. L'accidentation du paysage est ici plus sobre , il est vrai, que dans les parties supérieures de la vallée. Parfois, néanmoins, surgissent des sites et des reliefs de l'effet le plus pittoresque. Les lignes aériennes, les sommets géants de la montagne se montrent encore sur l'arrière-plan et en relèvent singulièrement la beauté. Mais la vallée s'éloigne de ces altitudes olympiennes par de suaves et longs fuyants qui entraînent l'œil vers le rideau des collines du bas-pays, vagues aux teintes bleuâtres, offrant comme le mirage et les nuances azurées d'une mer lointaine.

Au sein de ce paysage aux fraîches couleurs, qu'ombragent des milliers d'arbres et qu'animent d'élégantes habitations, s'ouvrent çà et là des perspectives d'une douceur et d'un attrait infinis; muettes idylles de la nature, auxquelles s'attachent les rêveries de nos jeunes années, et qui nous rendent plus tard de mélancoliques souvenirs, quand, devenu étranger à ces lieux, nous nous laissons aller à les contempler, appuyé contre quelque vieux peuplier, près de ces ondes amies qui passent comme nos jours, mais, plus heureuses qu'eux, retrouvent perpétuellement leur limpide sérénité. Alors, sur chacun de ces sites chéris où nous retournons du regard et de l'âme, les heures d'autrefois semblent revivre comme des ombres aimables mais tristes; et chacune d'elles nous rend pour un instant quelque illusion de noire bonheur écoulé, de notre jeunesse évanouie.

Sur les deux rives de la Jordanne se déroule un tapis non interrompu de prairies. Promenant paisiblement le filet argenté de ses eaux à travers ce large ruban de verdure, la rivière miroite tour-à-tour au pied d'heureux et riants villages, Clavières, rlouffiac, Oyez, Belliac, St-Simond. Les pentes orientales de la vallée sont festonnées jusqu'aux extrémités de la commune par une épaisse forêt de hêtres; l'autre revers, au contraire, ne présente jusqu'à St-Simond qu'une côte abrupte et nue, sillonnée de ravins et tachetée de roches noirâtres qui font ressortir la forte végétation de la vallée. Cette côte s'ouvre à deux reprise;! pour laisser place d'abord au vallon de Las-Vergnes, gorge profonde, toute remplie du bruit de son ruisseau, depuis les ruines du château de Niocel jusqu'aux élégantes mignardises architecturales du château d'Oyez; plus loin, au vallon d'Auzolles , solitude délicieuse le soir, quand un rayon de soleil vient jouer entre ses bosquets.

Tels sont les traits principaux du bassin de la Jordanne. Placez maintenant au milieu de la vallée cette gentille éminence de Belliac, où Gerbert enfant jouait parmi les petits pâtres, et qu'entoure un chapelet d'agréables petits enclos; le château de Lalaubie dessinant entre les arbres ses lignes nobles et régulières; la tour de Saint - Simond , invulnérable aux morsures du temps; les îles du Martinet, véritables Borromées de la Jordanne, vous aurez le paysage entier, ce paysage au caractère imposant, mais aux tons calmes et reposés, que le Lorrain eut aimé dans nos Alpes cantaliennes; vous aurez la Tempé de la commune de St-Simond.

Et cependant la patrie de Gerbert n'est pas là toute entière : dans le plateau occidental, les gorges de la Baisse et leurs beaux massifs de forêts, noués aux pieds du château de La Beau; l'humble glen de Nozeroles, où fut une commanderie de Malte, et dont les sites agrestes sont rafraîchis par son ruisselet, ne manquent pas de poétiques agréments. Dans l'autre plateau, le haut val de Boussac intéresse par sa physionomie pastorale et par la tour antique mais découronnée de Faliès, qui se dresse à son origine. Ne dédaignons pas non plus ces deux régions au point de vue économique; elles renferment une partie des treize montagnes à vacherie de la commune.

Un chemin de grande communication suit la vallée, faveur qu'elle méritait à tous les titres. Le plateau occidental est aussi desservi par un chemin qui conduit, d'une part, aux montagnes, et, d'autre part, dans la haute vallée de Marmanhac, en parcourant le territoire communal par deux branches et sur une étendue de 6 kilomètres. Malheureusement cet important chemin, autrefois chemin royal des montagnes, est aujourd'hui dans un état désastreux; et il se fait d'autant plus remarquer par son délabrement, qu'il se rapproche davantage du chef-lieu du département, où il aboutit par un ravin tortueux et en échelons. Sans doute, la cité de St-Géraud a cru devoir le conserver respectueusement en cet état, comme un précieux spécimen de voirie au temps

de son fondateur.

La commune de St-Simond se divisait au spirituel en deux paroisses : celles de St-Simond et de Dône; mais la paroisse de Dône a été supprimée en 1812. En revanche, la paroisse de St-Simond a été démembrée, il y a quelques années, pour former celles de Boussac et de Velzic.

Le revenu imposable de la commune, en 1858, est de 64,714 fr. 93 c.; l'imposition totale de 16,494 fr. 86 c., répartie de la manière suivante:

Contribution foncière , 13,418 f. 53 c.

— mobilière 1,737 19

— portes et fenêtres 847 87

Frais d'avertissement 22 15

Total 16, 025 74

Patentes 399 12

Total 16,424 86

Les contribuables de cette commune se divisent ainsi quant a l'impôt foncier:

Cotes de 500 f. et au-dessus ,5

— de 500 à 200 , . . , 5

— de 200 à 100         7

— de 100 a 50           37

— de 50 à 50             24

— de 50 à 20..           14

— de O à 20            271

La population de St-Simond est de 1,531 habitants, disperses dans 11 villages, 20 hameaux et 294 maisons. Le bourg renferme 571 habitants; la population éparse est de 1,160. Cette population se répartit comme il suit:

Garçons 400

Mariés , 296

Veufs 30 ,

Filles 474

Femmes 267

Veuves 64

Quelque salubre que soit cette commune, il faut remarquer que le nombre des naissances, entre les années 1846 et 1855, n'a dépassé que de 5 le nombre des décès (355-350).

On jugera par le tableau suivant de l'état physique de la population:

 

Les habitants de St-Simond, quoique établis sur un sol fertile, émigrent depuis des siècles. Leur émigration se dirige vers l'Espagne, Bordeaux, Cyon et Paris. Intelligents, actifs et économes, ils parviennent par leur industrie à recueillir des capitaux qu'ils placent ensuite en biens fonds. Ce qui vaut mieux encore , c'est que les émigrants de S-Simond conservent intacte leur réputation de délicatesse et de probité Le souvenir de la paroisse où ils sont nés reste dans leur mémoire; ils se font un bonheur d'y retourner et de rapporter à leur église un cœur pieux et des témoignages de leur munificence.

L'histoire de la commune de Saint-Simond se confond avec celle de la Haute-Auvergne, dont elle a suivi les destinées. En parlant de l'église, nous dirons l'origine de la paroisse. La paroisse a donné, là comme ailleurs, naissance à la commune. « C'est autour des églises et des monastères, dit un auteur, que se sont  formées les premières associations d'hommes libres qui, après quelques siècles, ont formé un troisième corps dans l'Etat, une société nouvelle, la  véritable. »

Nous ne trouvons dans nos annales qu'un seul fait qui intéresse d une manière particulière la commune de Saint-Simond. Le 5 mars 1289, l'abbé d'Aurillac formule une plainte contre Henri, comte de Rodez, parce qu'il est venu avec une armée nombreuse dans la vallée de Jordanne, dépendant du monastère, et y a fait pour plus de mille marcs d'argent de dommages aux vassaux de l'abbaye.

Le comte do Rodez avoue être entré dans la vallée, conjointement avec le bailli des montagnes établi par Alphonse, comte de Poitou et de Toulouse, pour y combattre des révoltés , des bannis et autres malfaiteurs et incendiaires qui ravageaient les terres voisines, notamment celles du comte de Rodez, et qui se retiraient ensuite dans la vallée de Jordanne et dans un fort appelé de Colombieres, qui en est proche.

Quel est ce fort de Colombières? On a de la peine à le découvrir. Dans la vallée de Jordanne, aucun château ne porte le nom de Colombières; aucun n'a reçu le titre de fort, à l ' exception de Laforce et de la Peyre. Si le fort était situé dans la vallée même , ou doit se décider pour la Peyre , dans la commune de Lascelle, qui paraît avoir existé en 1272, ou pour les ruines de l'ancien château d'Oyez, sur lesquelles on n'a point de données, mais qui occupaient une position importante. Si le fort de Comlombières était seulement proche de la vallée , ne serait-ce pas Niocel, dans le vallon d'Oyez?

Saint - Simond, chef-lieu, à 7 kil. N.-E. d'Aurillac, est un bourg composé d'une centaine de maisons et de quatre ou cinq quartiers ou ilots différents, connus sous les noms de Bourg, de la Gaudie, de Vernhes . de Cabrau. d'Auzolles. Ces groupes de maisons entourés de leurs jardins et de leurs vergers. occupent un vaste espace et forment un pittoresque archipel disposé sur les deux rives de la Jordanne. Un antique pont de pierre à trois arches, dont la dernière a' été refaite en 1807, conduit de la rive droite à la rive gauche, où setrouvent le bourg, l'église et son clocher, la place, la mairie, le presbytère et la maison d'école.

Au milieu de la place, que bordent les divers édifices dont nous venons de parler , on remarque un vénérable tilleul d'une circonférence de 11 mètres. Son tronc est partagé en deux et presque entièrement creux à l’intérieur, de sorte que l'arbre semble vivre par l'écorce; il porte néanmoins encore tous les caractères d'une végétation vigoureuse.

Ce tilleul est justement appelé du nom de Sully. Il fut planté comme ses contemporains, en bien petit nombre aujourd'hui, par les ordres du vertueux ministre d'Henri IV qui voulait, en offrant leur belle image sur les places publiques et les lieux élevés, inspirer partout le goût du reboisement; et marquer la faveur que le gouvernement royal accordait à l'agriculture. Le Sully de Saint-Simond est donc un témoin vivant du règne du bon roi. Aussi, nous nous arrêterons respectueusement sous son ombre pour songer un moment aux souvenirs qu'il rappelle , et retracer à notre mémoire quelques-uns des bienfaits que le glorieux auteur de la maison de Bourbon répandit sur le menu peuple de son royaume. Un historien qui a jeté récemment de vives lumières sur le gouvernement d'Henri IV - (Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson, 1856)- , et dont l'Académie française vient de couronner les savantes appréciations, résume dans les termes suivants les progrès que ce grand règne lit faire à l'agriculture:

« L'affreux désordre dans lequel l'anarchie avait jeté les finances publiques s'était également étendu à toutes les institutions , à tous les établissements qui font la force et la vie d'un Etat. L'agriculture n'avait pas moins souffert, n'était pas tombée moins bas que les finances, lorsqu'on 1595 ce désordre eut fait place à l'autorité réglante , au pouvoir tutélaire de Henri IV. Voici dans quel état ce prince trouva les campagnes:

Nous voyons, disait-il dans lo préambule de la déclaration du 16 mars 1595, nos subjects réduits et proches de tomber en une imminente ruine Les vexations auxquelles ont été en butte les laboureurs leur ont fait quitter et abandonner , non seulement leur labour et vacation ordinaires, mais aussi leurs maisons; se trouvant maintenant quasi tous les villages inhabités et déserts. »

Pour remédier à cet état de choses, le bon roi et Sully, son ministre, portèrent surtout leur attention sur le labourage et le pâturage, ces deux mamelles dont  la  était alimentée, vrais mines et trésors du Pérou. Ils prétendirent, non seulement remettre en culture les campagnes stérilisées par les guerres civiles, mais encore augmenter leurs produits dans une immense proportion, remplacer l'indigence des particuliers par le bien-être, la misère et la faiblesse de l'Etat par la prospérité et la grandeur.

Ils reconnurent que, pour fleurir, l'agriculture devait se trouver dans les conditions et obéir aux lois suivantes : Etre mise à l'abri de toute persécution de la part du gouvernement, des particuliers et des gens de guerre, et trouver sécurité et protection pour ses travaux ; garder entre ses mains ou se procurer l'argent nécessaire à une bonne exploitation, n'être soumise, par conséquent, qu'a des impôts supportables et trouver facilement de l'argent à emprunter; partager la culture entre les champs, les vignes et les bois, et l'exercer, non d'après la routine , mais d'après les règles de la raison et de l'expérience; porter avec une égale diligence les travaux des champs vers la production des grains et l'élève du bétail, lequel fournit à la terre l'engrais dont elle a besoin; protéger les produits de l'agriculture contre les inondations , leur assurer un transport facile d'une province à l'autre et de la  en pays étranger; donner à l'industrie la liberté des transactions et du commerce avec l'étranger. Toutes les mesures prises par Henri IV et Sully, toute leur législation tendirent à donner à l'agriculture ce développements et à lui fournir ces puissants moyens de succès.

La déclaration du 16mars 1595 défendit le laboureur contre l'excès des poursuites, soit du gouvernement, soit des particuliers; mit sa personne et les instruments de son travail hors de l'atteinte de ses créanciers en interdisant la contrainte par corps, la saisie des meubles et des instruments aratoires.

La déclaration du 24 mars 1597 et l'ordonnance du 4 août 1598, sur le port d'armes , le garantirent à l'avenir contre les sévices et les extorsions des gens de guerre qui, durant trente-six ans, avaient fait la désolation et la ruine des campagnes. Depuis cette ordonnance jusqu'à la fin de son règne, le roi ne se relâcha pas un seul jour de l'active surveillance et de la fermeté qui étaient nécessaires pour assurer au paysan des villages, et surtout à celui des fermes, la protection dont il avait besoin au milieu de son isolement. Pendant tout ce temps, le laboureur jouit d'une paix profonde ; il ne la vit troubler qu'un moment et sur un seul


point : c'était en 1610, au moment de l'expédition de Clèves et de Juliers. Henri apprit que des compagnies qu'il envoyait en Allemagne avaient pillé en Champagne quelques maisons de paysans ; il appela aussitôt auprès de lui les capitaines demeurés à Paris: « Partez en diligence, leur dit-il, donnez-y ordre, vous m'en  répondrez. Vive Dieu! s'en prendre à mon peuple, c'est s'en prendre à moi! » Le gouvernement donna au laboureur les facilités d'argent dont il avait besoin pour une bonne exploitation , en lui remettant 20 millions de tailles arriérées en 1508; en réduisant considérablement sa quote-part et sa charge par l'édit de 1600, qui remit à la taille la bourgeoisie et les nouveaux nobles; en diminuant les tailles depuis l'an 1600 et en portant la réduction réelle jusqu'à 6 millions par an dans les derniers temps; en abaissant l'intérêt de 8 et 10 p. % à 6 p. %» et en faisant relluer l'argent dans les campagnes.

Dans la direction et les développements que devait recevoir l'agriculture, Henri et Sully distinguèrent, avec une grande habileté , ce que le paysan bien guidé et favorisé pouvait faire par lui-même de ce que le gouvernement devait se réserver et exécuter directement. Ils lui fournirent les moyens et les conseils nécessaires pour qu'il conservât et augmentât son bétail, convaincu, non sans raison, que cette aide suffisait a multiplier les troupeaux eu .

En effet, le bétail doublant la fertilité et les produits de la terre par les , engrais, et se vendant à haut prix, le double gain que trouvait le laboureur  était un appât suffisant pour qu'il donnât ses soins à l'élève des troupeaux. La déclaration du 16 mars 1595 rendit insaisissables le bétail et les bêtes de trait nécessaires à l'exploitation : le paysan fut affranchi de la crainte de les perdre par les poursuites, ou de les vendre en temps inopportun, et dès lors il travailla avec ardeur à en accroître le nombre. Le droit et l'usage du pacage, qui fournissait en grande partie à la nourriture des bestiaux, lui fut facilité par l'article 37 de l'édit de mars 1600, lequel permettait aux paroisses de  racheter leurs terres communales et l'usage des terrains vagues au prix, en général très-vil, auquel ils avaient été vendus pendant les troubles. L'extension donnée aux prairies favorisa encore l'accroissement du bétail : le roi, appliquant en grand des idées de perfectionnement dont nous signalerons bientôt l'origine, forma des prairies artificielles d'abord dans ses domaines, et ensuite dans diverses contrées du royaume, à partir de l'an 1600. Enfin, le gouvernement mit les blés et les vignes du paysan à l'abri de toute dévastation et de tout ravage, par l'art 4 de l'ordonnance sur la chasse, lequel interdisait au noble la chasse dans les blés depuis qu'ils étaient en tuyaux , dans les vignes depuis  le premier jour de mars jusqu'à la vendange. Il défendit en même temps ses troupeaux et sa basse-cour, par l'article 6 de la même ordonnance, qui prescrivait au gentilhomme une chasse tous les trois mois, et plus souvent  même, s'il était nécessaire, pour la destruction des loups, des renards, et des autres animaux malfaisants.

L'agriculteur étant ainsi protégé et aidé, il ne s'agissait plus que de lui donner à lui-même une bonne direction et d'imprimer à ses travaux une marche intelligente, pour qu'il fit rendre au sol tout ce qu'il pouvait donner, et multipliât les produits dans une immense proportion. Le roi ne manqua  pas à ce soin, et il appliqua toute son autorité de chef de l'Etat à remplacer la pratique surannée et le préjugé, par le perfectionnement sage qui résulte de la combinaison féconde de l'invention et de l'expérience. Ici le roi paraît seul, parce que les innovations qu'il projetait pour l'agriculture en général se  trouvaient mêlées à la culture du mûrier en particulier, aux vers à soie, aux manufactures, lesquels étaient l'antipathie de Sully. En 1599, tandis que Henri semblait tout occupé de ses démêlés et de sa guerre prochaine avec le duc de Savoie, il appela auprès de lui Olivier do Serres, qu'il connaissait probablement de longue date. Divers passages des écrits de de Serres nous apprennent quels furent ses rapports avec le roi. Henri l'appela à la cour au commencement de 1599. Il l'entretint familièrement et discourut plusieurs fois avec lui; il lui commanda de publier ce qu'il avait découvert ou reconnu par l'expérience; il fit imprimer ses premiers essais par son imprimeur ordinaire, Jamet Mettayer; il accepta, et probablement provoqua la dédicace du Théâtre d'Agriculture , où il ne s'agit plus du mûrier et des vers à soie  en particulier, mais de l'agriculture dans sa généralité et dans son vaste ensemble. De ces diverses circonstances il résulte pour nous la preuve que Henri porta son attention sur toutes les parties de l'agriculture ; qu'il résolut d'y introduire de grands et profonds changements au moyen de la science; que, dans son projet de la régénérer, il se servit de l'aide et du concours de l'homme qui était le plus capable de servir ses idées et ses bienfaisants desseins.

Les préceptes de ce maître de la science, si excellents, si supérieurs, qu'ils  sont devenus la plupart des aphorismes et ont formé tous les agronomes venus après lui, comme ils se plaisent à le reconnaître - ( Voir les témoignages successifs de Haller, Bibliolhéque botanique publiée en 1771 ; des auteurs  du Supplément de l'Encyclopédie, article Agriculture, où il est dit pue le Théatre d’agriculture est  encore le meilleur livre et le plus complet que l'on ait fait sur ce sujet depuis qu'il a paru ; de l'abbé Rozier, tué pendant le siège de Lyon en I793, lequel disait dans diverses lettres de 1786 et du 5 mai 178S, en parlant de de Serres : «  Olivier de Serres est, dans son genre, aussi sublime que Bernard Palissy; je  l'ai chanté toute ma vie et je le chanterai jusqu'à ma mort. Ce vrai Columette français, bien supérieur à celui de la république romaine, traça d'une main savante les préceptes de l'agriculture : c'est le seul de  nos écrivains agronomes qui ait été vraiment praticien ; je dois cet hommage à mon maître....

) - ses préceptes embrassaient toutes les anciennes cultures, les réformaient, les perfectionnaient toutes.  En outre, de Serres avait été a la découverte des cultures nouvelles. Après avoir  reconnu celles qui renfermaient le principe de nouvelles richesses, il les annonçait, il les propageait parmi ses contemporains, et, en homme de génie,il en présentait, il en devinait les conséquences dans l'avenir. Que l'on en juge  par ce qui concerne la culture du mûrier, celle du maïs, celle du houblon,  celle de la betterave, dont le jus qu'elle rend en cuisant, semblable à sirop au sucre.  est très-beau à voir par sa couleur vermeille.

L'ouvrage d'Olivier de Serres, publié le 1er mars 1600, eut en dix ans cinq éditions tirées à un grand nombre d'exemplaires. Il parvint donc entre les mains de tous ceux qui étaient capables de le lire. Le roi, qui s'était fait dédier le Théâtre d'Agriculture, donna, lors de son approbation, des marques publiques de l'admiration qu'il lui inspirait; pendant trois ou quatre mois, il se le faisait apporter après dîner, et il le lisait une demi-heure. Cette marque de haute approbation contribua puissamment à la fortune du livre. Le public , insoucieux et froid d'abord pour les découvertes et les nouveautés, se prit d'engouement pour ce qui était goûté par le prince et la cour. La mode aidant, l'ouvrage se répandit par-, tout, et sa diffusion eut pour effet d'introduire un changement radical dans notre agriculture, de la faire passer de l'état de pratique inintelligente et grossière à l'état de science.  .

C'était beaucoup, c'était immensément déjà d'avoir donné à l'agriculture direction éclairée, capitaux, protection sans bornes, en un mot tout ce qui pourrait la mettre en demeure de produire davantage. Mais l'œuvre serait demeurée  incomplète, si le roi et Sully ne lui avaient préparé en même temps les moyens  de placer sans peine et de vendre avantageusement ses produits. Ces facilités,  ils les lui fournirent et ils complétèrent ainsi sa prospérité.

 Ils rétablirent les anciennes voies de communication qui avaient disparu  pendant les guerres civiles, et en établirent une foule de nouvelles par terre et  par eau. Nous n'entrerons ici dans aucun détail, parce que ce sujet sera expressément traité dans l'article du commerce. Nous nous bornerons à constater  que, grâce à ces voies de communication, l'agriculteur, au lieu de voir les  fruits de la terre, multipliés par son labeur, se vendre à vil prix, ou périr même inutilement dans une localité enfermée de toutes parts et sans issue, eut  moyen de les transporter dans les diverses provinces du royaume; qu'il put les livrer à ceux qui en avaient besoin, et recevoir en échange soit d'autres denrées  dont il manquait, soit de l'argent.

Mais, pour que les prix se soutinssent, il fallait que le laboureur pût vendre à l'étranger tout ce qui excédait la consommation de la  ; il fallait que le gouvernement établit la libre exportation, le libre commerce des grains.

A la fin du XVI° siècle, la liberté du commerce des grains avait pour adversaires les préjugés et la pratique du gouvernement sous les trois derniers règnes.  Les rois et les ministres avaient pensé que l'humanité et la politique demandaient également qu'on interdit toute sortie des grains, pour assurer la nourriture du peuple et prévenir ses révoltes. Cette même liberté avait contre elle  les passions intéressées de la population des villes, des bourgeois et des parlements, lesquels prétendaient non seulement avoir du blé d'une manière sûre,  mais l'avoir à bas prix, ne considérant le laboureur que comme une machine

propre à produire le grain nécessaire à leur alimentation.; s'inquiétant fort  peu que par suite de cette condition faite à l'agriculture, le paysan restât  pauvre et souffrant, et la culture du territoire à jamais restreinte.

 Toutes ces entraves mises à l'essor des idées et à la liberté d'action d'Henri,  furent rompues par la force de son génie et de sa volonté. La terre, pensa-t-il, est le dépôt des richesses premières, du nécessaire comme du superflu. L'abondance de l'Etat dépend de la multiplication de ces richesses. Pour activer leur  multiplication, il faut que le commerce leur ouvre des débouchés. Ces débouchés et le commerce lui-même n'existent pas sans liberté. Henri prit ces maximes pour règles de son gouvernement en ce qui concernait l'agriculture, ses produits, le placement de ses produits, et cela dès la première année de  son règne, alors qu'il ne pouvait consulter que son expérience et ses lumières,  alors que Sully n'en était pas même encore à ses débuts, à son premier apprentissage de l'administration. On trouve la preuve de ce fait important dans les lettres patentes du 12 mars 1595, lesquelles rappellent ce qui a eu lieu pendant les précédentes années, en même temps qu'elles prescrivent des mesures  pour les circonstances présentes. Voici ce qu'on y lit:

 « L'expérience, dit-il, nous enseigne que La Liberté Du Trafic, que les peuples  et subjects des royaumes font avec leurs voisins et estrangers, est un des principaux  moyens de les rendre aisez, riches et opulents. En ceste considération, nous ne voulons empêcher que chacun fasse son profit de ce qu'il a, par le moyen et bénéfice du  commerce. »

 Les habitants de ce royaume n'ont besoin pour leurs vivres et autres choses  requises à l'usage commun, d'aller emprunter le secours du voisin, lequel, de  son costé, est tous les jours contrainct d'en venir chercher en nos terres.

Henri et Sully veillèrent avec sollicitude , jusqu'à la fin du règne, à ce que l'agriculteur trouvât la plus constante protection pour la liberté de se transactions et le placement de ses produits. .

Cette liberté si large fut accordée sans interruption au commerce des grains,  sans que le pays eût jamais à souffrir ni même à redouter une disette.  bien que les années 1604 et 1607 eussent été calamiteuses, la première par une  contagion, la seconde par les débordements. Des approvisionnements faits dans  une sage mesure, une bonne direction donnée au commerce, qui porta les grains  des localités où ils abondaient sur les points où ils manquaient momentané ment, suffirent à Henri et a Sully pour préserver toutes les provinces, sans  exception, du manque de grains et même d'un renchérissement excessif de  cette denrée.

 Le placement avantageux, la vente à haut prix des produits agricoles, assurèrent au laboureur des facilités, et des avantages de diverse nature, tous a d'une haute importance. En premier lieu, il put appliquer à la culture assez  d'argent pour mettre les terres labourables et les terres propres à la vigne en  plein rapport, en pleine valeur.

 En second lieu, l'agriculteur eut a sa disposition l'argent nécessaire pour  acquitter exactement les impôts. Le gouvernement avait été obligé, en 1598, de lui remettre 20 millions du temps, environ 80 millions d'aujourd'hui, de  tailles arriérées, qu'il était hors d'état d'acquitter : la fin du règne, au contraire, ne présente plus de non valeurs ou n'en montre que d'insignifiantes.

 Enfin, le paysan trouva dans le produit de son travail , dans le prix avantageux de ses grains et de ses vins, le moyen de se procurer à lui-même, de donner  à sa famille des aliments abondants et solides. Au commencement de l'année  1600 , Henri disait au duc de Savoie, alors de passage à Paris: «  Si Dieu me  donne encore de la vie  je ferai qu'il ny aura pas de laboureur en mon royaume  qui n’ayt moyen d'avoir une poule dans son pot.  Dans les dernières années de  son règne, son intention était remplie, son vœu réalisé dans presque toutes les  parties du territoire. Le fameux mot de Henri IV n'était pas seulement celui  d'un père qui désirait passionnément le bien-être de ses enfants ou de ses sujets.  comme il les appelait indifféremment, c'était aussi la parole d'un prince consommé dans l'économie politique, ayant appris ou deviné de cette science les grandes  vérités qui n'ont été formulées qu'un siècle pins tard. Après toute une vie de  recherches, d'observations, de réflexions, Buffon, rendant compte de ce qu'il avait  sous les yeux, et jugeant l'état de la population agricole de son temps, s'exprimait en ces termes: « Les gens de la campagne, réduits à ne vivre que de légumes et de pain, languissent et dépérissent plutôt que les hommes de l'état  mitoyen, auxquels l'inanition et les excès sont également inconnus. Henri IV  voulut et obtint le contraire. Il pourvut à ce qu'une nourriture abondante et  substantielle donnât au laboureur des forces en proportion de ce qu'il en dé pensait; entretint chez lui la vigueur nécessaire pour qu'il tirât de la terre i tout ce qu'elle pouvait rendre, pour qu'il accrût la population, pour qu'il sup portât sans peine les fatigues de la guerre.

Le hardi et libéral système de Henri IV eut des conséquences mémorables.

L'agriculture, excitée par un gain légitime, fut florissante; les années, l'une - compensant l'autre, furent des années d'abondance; l'Etat reçut dans son sein  de constantes et fécondes ressources attirées par le commerce lucratif des grains  avec l'étranger. Aussi, la , sous les règnes qui suivirent celui de Henri IV,  put porter sans fléchir vingt-quatre ans de guerre contre la moitié de l'Europe,  et la termina par les glorieux traités de Westphalie et des Pyrénées. »

L'Auvergne fut une des provinces auxquelles les vues économiques de Henri IV profitèrent le plus. Depuis leur mise en pratique jusqu'à la fin du règne de cet excellent monarque, elle put exporter une quantité considérable de ses produits. Les guerres civiles avaient disparu de ses montagnes ; les repaires féodaux les plus redoutables avaient été démolis; la bourgeoisie de nos villes s'était enrichie par le commerce; elle avait porté ses richesses au sein des campagnes , acquis un grand nombre de fiefs seigneuriaux, donné une nouvelle impulsion à la culture; et l'état prospère du pays est attesté par le grand nombre de constructions qui datent de cette heureuse époque, et qui resplendirent alors au milieu de nos vallées.

Parmi les villageois qui viennent s'abriter au pied de nos Sully , bien peu sans doute ont quelque idée du règne qui ombragea leurs chaumières et protégea les troupeaux de leurs pères; néanmoins, et malgré tous les travestissements révolutionnaires, il est un visage de roi, franc et généreux, bon et spirituel , qui est resté dans la tradition populaire comme un type éminemment national : c'est le visage du Bourbon qui disait . Vive Dieu ! s'en prendre à mon peuple , c'est l'en prendre à moi ! et qui faisait partir en toute hâte ses plus braves- officiers pour venger à tout prix les paysans de Champagne.

 

L'église de St-Simond, restaurée en 1842, est une construction décente, mais d'un style maussade et sans goût. Elle possède quelques beaux ornements donnés par quatre-vingt-sept émigrants , et qui ont coûté près de 1 ,600 francs. Le chœur de cette église est situé sous une arcade ouverte à la base du clocher, la seule partie monumentale de l'église. « La tour carrée de ce clocher, dit  M. Déribier, est d'une grande ancienneté, et l'on peut croire qu'elle faisait  partie du château fort que saint Géraud avait en ce lieu, et dont le nom pri mitif n'est' pas connu.  Il résulte en effet d'une bulle de Nicolas IV, en date de 1289, que saint Géraud avait fait don au monastère d'Aurillac de son château de St-Sigismond. Cette tour est élevée de 21 m., sur 8 m. 30 de longueur, construite en pierres de taille d'un appareil entièrement symétrique, et admirablement conservée. Elle a quatre étages et n'est percée que de petites ouvertures. On y pénètre par un escalier extérieur aboutissant à une porte cintrée qui s'ouvre environ à 5 m. du sol; un autre escalier A vis de 88 marches monte intérieurement dans l'angle nord des parois et conduit à une plate-forme crénelée que recouvre un toit quadrangulaire moderne. Nous n'oserions aventurer nos présomptions archéologiques sur l'origine de la tour de St-Simond, après d'autres avis plus compétents (Voy. Naucelles, la Statistique du Cantal, par M. de Laforce; les Annalei d'Aurillac, par M. le baron Delzons); cependant, puisqu'on en est réduit à des conjectures, nous nous hasarderons à dire, examen fait du soubassement, plus rustique que le reste de la construction, après l'avoir comparé avec la base de la tour de St-Etienne, et en nous fondant sur d'autres données, que cette tour remonte à deux époques distinctes ; l'une, très-ancienne, antérieure à St-Géraud, par conséquent au siècle; ce serait la seule qui aurait appartenu au château donné à l'abbaye d'Aurillac par son illustre fondateur; l'autre partie, coulée en quelque sorte d'un seul jet avec son appareil symétrique et ses grêles créneaux, serait plus récente , quoique dépendant d'ailleurs du système de défense organisé sur le territoire de l'abbaye, au moyen des tours de Saint - Etienne , de Belhès, Naucelles, Broussette, Faliès. La tour est entourée d'un mur d'enceinte dont il reste encore quelques débris derrière l'église. Ce mur d'enceinte vient se rattacher, sur la place même, à des fondations parallèles aux parois de l'édifice sacré, et qui apparaissent encore au niveau du sol. En construisant une maison voisine, il y a quelques années, ou a découvert un caveau voûté tenant à ces fondements. Ils faisaient sans doute partie du château de St-Sigismond, qui devint un cloitre pour les moines envoyés d'Aurillac après la donation de saint Géraud. L'abbaye d'Aurillac avait coutume, en effet, de préposer dans ses possessions un certain nombre de ses religieux; ils étaient autorisés à choisir pour le gouvernement des âmes un d'entre eux, qui était confirmé par le pape. C'est ainsi qae les moines d'Aurillac avaient porté la civilisation de l'Evangile jusqu'aux extrémités de la vallée de Jordanne, où ils avaient fondé les églises de Lascelle et de Mandailles. L'existence du monastère créé par eux à St-Sigismond est attestée par les titres les plus anciens. Lecelérier de saint Géraud était seigneur de St-Sigismond et y prélevait rentes et dimes, dit M. Déribier. Le 22 juin 1755 fut vendu à M. de l'Olm de Lalaubie un pâtus joignant l'église, l'ancien mur du cloitre, etc. La vente fut faite dans la chambre capitulaire du chapitre de saint Géraud, par les membres du chapitre, Guillaume de Fontanges étant doyen, etc.

L'église de Saint-Simond est dédiée à saint Sigismond (saint Sigmund), roi de Bourgogne. Ce patronage, unique en Auvergne, dit encore M. Déribier, est dù  sans doute à Gerbert, qui était de Belliac, et avait été élevé au monastère  d'Aurillac. A son intercession, une église aurait été bâtie près du château que  possédait le monastère au lieu de Saint Sigismond , une paroisse érigée et  enrichie des reliques de ce saint. Cela est d'autant plus vraisemblable que  Gerbert était archevêque de Rheims lorsque les corps de saint Sigismond et  de ses deux fils, Giscinde et Gondebaud, furent exhumés du lieu où ils avaient  été ensevelis lors de leur martyre, arrivé en 526. Gerbert donna une partie de  ces reliques à l'abbaye d'Aurillac, et la plus grande partie à celle de Figeac,  qu'il affectionnait beaucoup. Elles furent placées sous le maître-autel; mais,  lors de la prise de la ville par les huguenots, en 1568, elles furent brûlées et  les cendres jetées au vent. Il y a longtemps qu'il n'en existe plus à Saint Simond.

La chapelle de Notre-Dame, dans cette église, fut fondée eh 1320 par Guillaume de Plagnes, cellerier du monastère, qui avait le droit d'en nommer le  chapelain. »

Vers la fin du XV° siècle , une autre chapelle , dite du Bac ou de l’Eyaldie, fut bâtie près du bourg, par un prêtre qui portait le dernier nom; elle était située au S.-E. du quartier de St-Simond, dit de la Gaudie. On pouvait encore en découvrir les vestiges il y a quelques années. Joseph Peytavy, chanoine archidiacre de Cambray en 1751, portait le titre de chapelain de l'Egaldie. On connaît, comme anciens curés ou prieurs de la paroisse, Bernard de Miral, curé en 1507; Delcamp, en 1520 ; Guillaume de Veyre, en 1554; N. Cortez, en 1634; Charles Verdier, en 1640; autre Charles Verdier, neveu du précédent, «n 1693; Jean Contrastin, en 1706; Pierre Contrastin, aussi prieur de Jussac, en 1725; N. du Fayet de La Tour, en 1756; Serieys, en 1773; Lathelize, en 1781; Latapie, curé en 1795 et encore en 1807. Plusieurs des noms qui précèdent sont encore portés par des familles de la commune. Les derniers curés ont été MM. Riom, Lavergne, Buch-Muiller, et M. Cadet, curé actuel (1858).

On voit à St-Simond, dans le quartier dit de Vernkes, le château du même nom, beaucoup plus récent que celui de St-Géraud, car il ne remonte pas au-delà du XVI° siècle. L'ancienne famille de Vernhes. à laquelle il appartenait, se fait connaître en 1531 , époque à laquelle Géraud de Vernhes était conseiller au siège présidial d'Aurillac, et épousa une fille de Pierre de St-Mamet.

Ce Géraud de Vernhes était très-riche; il possédait des propriétés très-étendues dans la commune de St-Simond, et, en outre, le Bac, le Bourlès, la Borie, Carnejac, et d'autres biens à Lascelle, Aurillac, etc. Il eut deux fils : Louis, qui fut lieutenant criminel et épousa Jeanne de Traverse, et un second fils, aussi du nom de Louis.

L'aîné ne laissa que des filles; et, par suite d'alliances successives, la propriété de Saint-Simond fut démembrée. Une partie passa à la famille du Barra, avec le château ; l'autre partie échut aux enfants de Guillaume de l'Olm do Lalaubie et d'Anne de Vernhes, mariés en 1663.

Le cadet de Vernhes possédait les autres propriétés de la famille de Vernhes dans la commune de Saint-Simond.

Son fils, Géraud de Vernhes, et son petit-fils , également du nom de Géraud, étaient conseillers au siège d'Aurillac.

En 1680 , Jacques de Vernhes , fils du dernier, épousa Jeanne de Rocques, dont il eut plusieurs enfants qui suivent : — En 1696, Louis de Vernhes, probablement son frère, était chapelain de Mm la dauphine. Jacques de Vernhes devint seigneur de Boussac, comme on le verra quand il s'agira de ce lieu

Parmi ses enfants, nous mentionnerons:

Delphine, qui épousa en 1711 Jean-Benoit de Falvelly, juge à Maurs.

Anne de Vernhes, mariée avec Alexandre de Cinq-Arbres de Cabrol.

Jean-Antoine de Vernhes, seigneur de Boussac, avocat en parlement et juge au siége présidial d'Aurillac; il s'allia avec Marie Capelle, bile de Jean Capelle, seigneur de Méallet, et de Françoise de Passefons.

Son fils, Jacques de Vernhes, avocat en parlement, épousa Bonnette de Salles du Doux.

La famille de Vernhes de Boussac s'est éteinte en la personne du petit-fils de ce dernier, Jacques de Vernhes, chanoine de St-Flour, mort il y a quelques années.

Le château de Vernhes a été vendu par la famille du Barra à plusieurs paysans du lieu.

Quelques maisons modernes embellissent Saint-Simond et ses abords. On distingue entre autres Mirabel, dont il sera question plus loin, et une autre charmante villa, isolée du bourg, agréablement posée au milieu d'un beau verger que la rivière entoure, et décorée fraîchement par la propriétaire actuelle, Mme Joséphine C. Une ancienne papeterie, transformée partiellement en moulin a grains, se trouve dans le voisinage.

Le bourg, quoique situé au fond du vallon, n'a malheureusement d'autre eau potable que celles de la rivière et d'une fontaine qui nait au pied du rocher de la Gaudie. Il serait cependant facile d'amener sur la place publique une source qui se perd dans le coteau voisin. On ornerait ainsi cette place, au grand avantage des habitants du lieu.

Maintenant que Saint-Sîmond nous est connu, nous allons entreprendre un voyage en zig-zag à travers la commune , pour visiter ses villages et hameaux. Obligés de nous régler sur l'ordre alphabétique, nous commencerons par remonter la vallée dans sa région la plus riante , en suivant le chemin de grande communication jusqu'à Belliac ; de là, nous nous élèverons sur les rampes escarpées du plateau occidental; à un angle du coteau, nous découvrirons un nouveau bassin plein de fraîcheur, et nous arriverons bientôt à: Aiguesparses, village situé au N.-E. et à 2 kil. 1/2 environ du bourg, presque  au faite de la montagne, d'où il domine la vallée de Jordanne et le vallon d'Oyez. Plusieurs de ses habitants se sont créés une fortune assez considérable dans l'industrie. Le village leur doit quelques jolies maisons.

D'A'iguesparses, nous n'avons que quelques pas à faire et quelques prés de montagne à franchir, en passant aux sources du vallon d'Auzolles, pour atteindre: La Bastide 2° Bastide (la), humble village en chaume, avec un petit château, situé au N. et à 3 kil. 1/2 environ du bourg, sur le plateau occidental de la commune. Il est abrité par un groupe de mamelons comprenant les points culminants de la commune. Un de ces sommets arrondis et revêtus d'une épaisse pelouse a servi aux observations géographiques de Cassini, qui passa plusieurs jours à la Bastide. Du haut de cette butte , on découvre un immense horizon qui embrasse plusieurs départements. Aussi, les officiers d'état-major chargés de lever la carte de  l'ont-ils de nouveau choisie pour y dresser un de leurs signaux. Elle a 973 m. d'élévation; celle des sommets voisins est de 980, 949 et 919 m., tandis que la hauteur moyenne du plateau, dans la commune, est de 860 m., et que le niveau de la vallée varie entre 630 et 650 m. environ. Les mamelons dont nous venons de parler sont pacagés par plusieurs vacheries. Quelques-uns d'entre eux avaient été considérés par M. Déribier comme des tumulus celtiques; mais les fouilles entreprises sur ses indications n'ont pas donné des résultats satisfaisants.

L'habitation de la Bastide, aujourd'hui abandonnée, se compose d'un corps de logis adossé à une tour carrée; elle est située à l'origine des deux branches du ruisseau de la Baïsse ou de Reilhaguet. Quoique dans une région élevée, cette demeure avait quelque agrément. Une haute futaie de tilleuls l'entoure de son voile et projette son ombre sur la montagne nue. Derrière ce rideau de feuillée, l'Alpe cantalienne s'étend indépendante et austère, planant sur les magnificences de la vallée d'Authre comme une sierra d'Espagne sur la vallée du Guadalquivir. A l'aspect du château, le paysage prend, au contraire, de la grâce et de la fraîcheur. Le petit vallon d’Eltalou qui s'ouvre à ses pieds joue entre les hêtres et les frênes parsemés dans ses prés. Plus loin, son lit de verdure s'articule davantage ; il ondule alors entre les bois jetés en pendentifs sur ses côtes, et va rejoindre à quelque distance le val de Vermenouze, issu des mêmes lieux. Celui-ci commence humblement dans la rocaille et dans la bruyère ; mais il prend peu à peu vie, couleur et gaîté. La voix vient à son ruisselet; il gazouille d'abord, il chante ensuite d'un ton plus vif, en sautillant sur la pente des prairies. Ainsi charmé par les ébats de son heureuse ondine, le petit glen contourne moelleusement les grands bois de La Beau et termine son cours, joyeux et mélancolique à la fois, en se réunissant au vallon, son frère, pour former avec lui le pittoresque bassin de Reilhaguet.

Les deux vallons dont il vient d'être parlé renferment de bons prés, mais quelques terrains marécageux vers la Bastide; les terres répandues sur leurs pentes sont maigres et légères. La croupe qui règne entre eux et le vallon d'Auzolles comprend des bruyères, des buges et quelques pacages.

Le château de la Bastide paraît avoir été construit en partie vers la fin du XV° siècle. N. Guy de Marcenat en était alors seigneur. Il épousa Antoinette du Cheylar, dame en partie de La Beau en 1508.

La famille de Leigonye a possédé longtemps le fief de la Bastide. Cette famille est ancienne et distinguée. Jourdain de Leigonye, savant jurisconsulte, vint fixer son domicile à Aurillac en 1618, et y épousa Delphine de Fortet, fille de noble Jean de Fortet. Son père avait été tué au siége de Cahors, en défendant la cause royale. Peu de temps après son mariage, il fut pourvu d'une charge de commissaire inspecteur des troupes de la province.

N.François de Leigonye, seigneur de Rangouze, la Bastide et Lasoulières, épousa en 1655 Marie de Senezergues; il exerça longtemps la charge de commissaire aux revues de la maréchaussée , et suivit le barreau avec distinction. Un de ses fils, aussi du nom de François, forma la branche des Leigonye du Rreuil. J.-B. de Leigonye du Brenil, né le 22 juin 1738, était conseiller du roi et juge au présidial d'Aurillac; il se maria avec demoiselle Marguerite de Mirabeau, fille de N. Pierre de Mirabeau, qui habitait à Mirabeau ou Mirabel, près St Simond, et vint se fixer en ce lieu. Son fils aîné, Joseph de Leigonye, est mort à un âge avancé, en 1851, après avoir longtemps administré la commune de St-Simond, où sa mémoire reste vénérée. La famille de Leigonye est représentée aujourd'hui par M. Augustin de Leigonye, fixé à Eutraygues (Aveyron), mais qui possède encore des propriétés à St-Simond, et pur les deux filles de M. Louis de Leigonye, son frère: Mme la vicomtesse Roger Ducos , née Marthe de Leigonye, et M"° Mathilde de Leigonye.

Guityaume de Leigonye, autre fils de François, seigneur de Rangouze et la Bastidê, continua la ligne des Leigonye de la Bastide; il épousa en 1689 Françoise de Sarret, fille d'Antoine de Sarret, seigneur de Fabrègues, président et trésorier général de . Investi de cette dernière charge, il y gagna la confiance publique, et mérita plus tard la direction de la grande voirie dans toute la Haute-Auvergne.

Parmi ses enfants , François continua la branche des Leigonye de la Bastide. Amable était capitaine de cavalerie en 1738 au régiment de St-Agnan , et chevalier do St-Louis; il avait épousé Gabrielle de Salvages.

Du mariage de François de Leigonye, célébré en 1733 avec Cécile de l'Olm, fille de N. de l'Olm , seigneur de Lalaubie, conseiller du roi, lieutenant principal en l'élection générale d'Aurillac, naquirent Louis-François, chevalier , seigneur de la Bastide, Rangouze et le Roussillon, mousquetaire du roi, puis pourvu de la charge de son père ; Jean-Joseph-Georges de Leigonye, seigneur de Rangouze, la Bastide et le Roussillon, ancien militaire, conseiller d'épée, chevalier d'honneur au présidial et gentilhomme ordinaire de la chambre du roi Louis XVI; Geneviève de Leigonye, mariée avec M. du Pruns, capitaine au régiment de Bourbondragons, en 1780

Jean-Joscph-Georges de Leigonye, seigneur de Rangouze, a écrit sur l'origine des fiefs et l'histoire de la Haute-Auvergne un livre curieux et plein de considérations originales, mais singulièrement empreint des idées féodales du comte de Boulainvilliers. Il céda le fief de la Bastide à son parent, M. Esquirou de Parieu, seigneur de Parieu, Puechmège, Montalat, Omps, Duyé et autres lieux, qui vendit alors ces biens seigneuriaux éloignés pour garder la Bastide.

M. Esquirou de Parieu, devenu ainsi acquéreur du fief de la Bastide eut un grand nombre d'enfants qui prirent leurs noms des propriétés patrimoniales Nous citerons parmi eux: L'aîné, M. Esquirou-Puecbmège, avocat et juge suppléant au tribunal d'Aurillac. Un second fils, reçu encore enfant dans l'ordre de Malte; il partit pour cette lie à l'âge de huit ou neuf ans, et ne revint que vingt ans après, à la suite de la capitulation de l'île devant Bonaparte ;-il avait alors le grade de commandeur.

Un autre fils, qui embrassa l'état ecclésiastique, M. l'abbé Duyé. Chassé de  par la tourmente révolutionnaire, il se rendit à Mittau, puis à Malte, où non seulement il reçut asile, mais fut admis comme membre de l'ordre, puis attaché en qualité de secrétaire a l'ambassade de Rome.

La famille Esquirou de Parieu est aujourd'hui représentée par M, Hippolyte de Parieu, maire d'Aurillac, membre du Corps législatif, et par ses enfants: M. Félix de Parieu, vice-président du Conseil d'Etat sous le second Empire; Mme la marquise d'Ussel, née Claire de Parieu, et Mm° Nelly de Parieu, mariée avec M. Victor de La Prade, membre de l'Académie française, dont les poésies ont acquis une juste célébrité dans la littérature contemporaine. La Bastide appartient à M. Félix Esquirou de Parieu, depuis son mariage avec M"° Thérèse Durand de Juvizy.

Les deux vallons où nous nous sommes promen°s il n'y a qu'un instant nous conduiront l'un et l'autre à:

Beau (la), joli- château en relief, sur un épais massif de hêtres vénérables. et de jeunes pins, au front d'un monticule qui descend par une pente vive vers le confluent des deux ruisseaux de Vermenouze et d'Eltalou. De la cour du château, la vue plonge dans les profondeurs de la gorge formée parleur réunion, et sur laquelle de grands bois épanchent leur ombre ; en arrière , les solitudes pastorales de la montagne s'élèvent insensiblement vers la Bastide; de vastes plantations d'arbres verts couvrent les pentes des coteaux voisins et présentent un heureux essai de reboisement. Le château ouvre sur des jardins en terrasse, dos parterres et d'agréables promenades. C'est une construction des temps modernes, flanquée d'une tour au milieu de la façade actuelle et appartenant, comme le château de Lalaubie, dans la même commune, au style architectural qui dominait en Haute-Auvergne vers la fin du XVI° et le XVII° siècles. Il serait curieux d'étudier l'origine de ce style, et plus intéressant encore de suivre dans ses transformations diverses l'architecture civile de notre province depuis les temps anciens jusqu'à nos jours. A l'époque dont nous parlons, les changements qui s'étaient opérés dans l'état social de l'Auvergne, en avaient amené de considérables dans la disposition que nos pères faisaient de leurs demeures. En les observant, on y aperçoit bientôt des marques frappantes de la décadence féodale et de l'élévation de la bourgeoisie. La rude hardiesse des temps vraiment féodaux a disparu ; les châteaux ne posent plus fièrement leurs pieds sur la crête des rocs; ils ont reculé ; ils se sont établis sur la molle inclinaison des vallées, ou dans des espaces commodes et abrités. Les tours n'ont plus leur majestueuse altitude d'autrefois, et cette forme primitive, légère et élancée comme la dague sur laquelle appuyait la main du chevalier. Elles se sont abaissées, renflées, découronnées. Aux tours carrées, remplacées pendant quelque temps par des tours hexagonales ou à huit pans, ont succédé définitivement les tours rondes, connues il est vrai de toute ancienneté. Leurs murs se sont remarquablement amincis; leur appareil régulier en pierres de taille, que le temps brunissait, a fait place à une maçonnerie enduite et badigeonnée; plus de meurtrières, mais des lucarnes ou des œils de bœufs; plus de créneaux, ou seulement des créneaux en miniature et d'ornement; plus de plates-formes du haut desquelles l'astrologue devisait avec les étoiles et la sentinelle veillait; mais une toiture conique et pointue, écrasant quelquefois le corps de la tour. On comprend que les temps héroïques et de belliqueuse puissance sont écoulés; mais on s'aperçoit aussi que l'époque de la bourgeoisie aristocratique est venue; on blasonne sa demeure; on y enchâsse des écussons; on y suspend bien haut des girouettes; de toute part on y tranche du seigneur, moins la cotte de maille et le gantelet, trop lourds pour les épaules et les bras de cette noblesse de fraîche date, la renaissance a jeté, il est vrai, quelque chose de ses formes et de son élégance jusque dans le dernier des châteaux; la commodité de la vie matérielle a beaucoup gagné; mais s'il y a plus de jour dans les intérieurs, moins de corridors sombres et tortueux, des portes plus larges, des escaliers plus doux, un parquetage moins raboteux, des appartements plus gais, on n'y retrouve plus ces salles immenses où vingt seigneurs pouvaient se réunir avec leur suite dans un même festin, ces fortes travées qui ne tremblaient pas sous le pied des chevaliers armés, ces lambris fouillés et sculptés avec un art admirable, ces tentures de cuir imprimées d'or et d'argent, et surtout cette ampleur patriarcale du foyer seigneurial, où, dans les longues veillées, une famille entière s'asseyait devant un tronc d'arbre embrasé. Une sorte de mesquinerie règne au milieu de cette élégance nouvelle. En un mot, le noble manoir ne se découvre plus alors que dans les ruines laissées çà et là par nos guerres civiles et religieuses, tandis que le sol se couvre partout de maisons anoblies.

Pour revenir au château de La Beau , dont nous nous sommes grandement éloignés par cette digression, disons qu'il a été l'objet de restaurations et d'embellissements qui donnent à cette habitation le plus grand attrait. Elle est située au N.-O. et à 3 kil. environ de St-Simond, entre ce bourg et Marmanhac, à demi-distance environ des deux vallées de Jordanne et d'Authre.

La Beau était jadis un fief appartenant, en 1333, a Pierre Rigal, qui en fit son hommage à N. Pierre de Tourtoulou. (C'est par erreur que M. Déribier du-Chàtetet a dit la famille de Tourtoulou éteinte. Deux de ses branches existent encore à Montpetlier sous le nom de Tourtoulon. Elles prouvent, par actes authentiques, leur filiation suivie depuis Guillaume de Tourtoulon qui, par suite de son mariage avec Bérengére du Sault, dame de Banières, vint se fixer vers 1412 au chateau de Banières, diocèse de Nîmes, en Languedoc. Entre autres actes, nous citerons : une vente faite le 29 septembre 1428 à Guitlaume de Tourtoulon, seigneur de Banières, pour sa femme, et coseigneur de Roquenatou, près d'Aurillac. (Nobili Guilhetmo l'urtoloni, domino de Banneriis, pro uxore.et condomino de Rupenatonis, propè Aureliacum.) Cet acle est passé devant Raymond Bonald , notaire à Anduze. — 2° Une transaction du 7 avril 14. . . entre Antoine de Tourtoulon, du lieu de Roquenatou, paroisse de Marmanhac, diocèse de Saint-Flour, et Pierre de Tourtoulon, frère dudit Antoine, habitant du lieu de Banières, paroisse de St-Jean-de-Gardonnenque, au diocèse de Nimes. Nobilibus viris Anthonio de Tortolo, loci Rupishato

nis, parrochiœ Marmanhaci, diocesis Sancli - Fl , et Petro de Tortolo, dicti Anthonii fratre,

h'jbitatore loci de Banneriis, parrociia SanctiJohannis-dt-Gardonerta, Piemausenris dioeesis.

).

Une partie de ce fief relevait néanmoins de la commanderie de St-Jean-de-Dône. Il donna son nom à une famille de La Beau, qui en a joui jusqu'à la fin du XVII° siècle. A cette époque, la propriété de La Beau passa dans la famille de Colinet d'Aurillac. Pierre Colinet, seigneur de La Beau, était, en 1703, lieutenant criminel au siège d'Aurillac. Ces fonctions furent exercées héréditairement et avec de rares talents, pendant un siècle entier, par plusieurs membres de sa famille. Jean-Baptiste Colinet, écuyer, seigneur de La Beau, devint par alliance et succession seigneur de Niocel. Ses descendants jouissent encore aujourd'hui du domaine de La Beau. Ce sont : MM. Eugène de La Beau, officier de cavalerie; Joseph de La Beau et Gustave de La Beau ; Mme de Chabrinhac, née Léonide de La Beau , et de Venzac, née Euxodie de La Beau.

Si nous nous rapprochons de la vallée de Jordanne, soit en cheminant à l'ombre des bois de pins, soit en faisant un détour et traversant la montagne de Perret qui porte une belle couronne de tilleuls à son front, nous toucherons à: 4° Belair , hameau à 1 kil. N. du bourg, sur le plateau occidental et près de l'ancien chemin royal d'Aurillac à Lapeyre. Il domine le vallon d'Auzolles ou des Riailles.

Ne nous arrêtons pas ; franchissons ce vallon; foulons la moquette de bruyère rose qui s'étend sur la côte opposée , nous nous trouverons sur une crête longue d'un quart de lieue qui nous découvrira tout-à-coup la vallée de la Jordanne, et plane magnifiquement sur elle. A 200 mètres sous nos pieds, voici:

5e Belliac, grand et joli village au N.-E. et à 1 k. 1/2 du bourg, sur la rive gauche Betl de la Jordanne et le chemin de grande communication d'Aurillac à Mandailles, . . vers le milieu du trajet qu'il parcourt dans la commune. Ce village, adossé à un coteau escarpé , nu et sillonné de ravins , se détache avec une grâce infinie sur les prairies; ses maisons, pour la plupart bien bâties, sont entourées de jardins et de vergers remplis d'arbres fruitiers. Du sein du village s'avance, vers le milieu de la vallée , une éminence couronnée de vieux tilleuls et dont le penchant méridional se cache sous des touffes épaisses de pommiers. Au pied de cette colline s'élevait encore , il y a peu d'années , une petite et bien simple maison nommée la maison du pape. Aucun signe ne révélait en elle une haute antiquité; mais son nom, joint à d'autres circonstances, a amené la conviction, unanime aujourd'hui, que le lieu qu'elle occupait avait vu naître un pontife illustre, Gerbert ou Sylvestre II.

«  Voici, dit M. Déribier, quelques preuves pour appuyer cette opinion. D'abord,  il existe dans le village une maison de chétive apparence et d'environ deux  siècles d'ancienneté , dite la maison du pape. Cette dénomination , dont on ne  peut retrouver l'origine, est corroborée par les titres qui la désignent ainsi.  D'anciens terriers que possède M. de Lalaubie, portent qu'en 1547 Jean Dan guilhelme de Belliac avait une maison avec une chambre nommée del Pontif,  des prés et des terres du même nom. En 1655, Jean de l'Olm, seigneur de  Lalaubie, partagea avec les habitants de Belliac un bien mis en vente, et acquit  pour sa part le bois appelé de Gerbert, contre les terres des habitants de Boussac;  ces documents, appuyés par la tradition, suffisent pour établir que Belliac a vu  naître le grand pape Gerbert. On rapporte, en outre, que l'abbé et les moines d'Aurillac étant venus à leur château de St-Simond, remarquèrent un entant gardant son troupeau et qui les intéressa par son intelligence. Ils le reçurent dans leur  monastère, l'instruisirent, et bientôt le génie de leur élève se trouva trop à l'étroit dans les murs d'un monastère, et remplit le monde entier: c'était Gerbert.»

La vie de cet homme célèbre, dont le nom marque une époque et se retrouve dans toutes les sciences , a été trop souvent racontée dans ces derniers temps pour que nous devions en reprendre le récit. Nos lecteurs pourront consulter l'histoire de l'abbaye d'Aurillac dans le premier volume du Dictionnaire statistique; ils y trouveront une notice abrégée de cette grande existence . On sait que la ville d'Aurillac a élevé une statue à Gerbert; mais , ne conviendrait-il pas aussi de lui consacrer un souvenir et d'inscrire son nom sur le monticule au pied duquel il naquit, et du haut duquel sa pensée méditative erra bien souvent sans doute sur la vallée de Jordanne? En vue de toute cette vallée, ombragée par des arbres antiques, dominant une route appelée à prendre quelque importance, la colline que nous appellerons à bien juste titre le Puy-Gerbert, semble le piédestal naturel d'une colonne élevée à celui qui, sous la tiare même , n’ oublia jamais sa patrie, et à qui la paroisse de St-Simond se glorifie de devoir son originel Puisse cette idée émise par nous trouver quelque écho dans le cœur de nos compatriotes.

Le village de Belliac , Oyez et Rouffiac au-dessus de lui ; Lalaubie, St-Simond, le Martinet et Mazic au-dessous , occupent les parties de la commune les plus fertiles en fourrages et en céréales.

Il est temps de visiter le plateau de l'Est. Nous traverserons donc la vallée. Courage ! Il faut gravir par de rudes chemins à travers les bois ; mais faisons halte ça et là, et tournons nos regards en arrière; la vallée est si belle! la rivière s'arrête vingt fois dans les prairies pour franchir de nouvelles digues où ses flots brillent, écornent et bruissent. Voyez comme cette falaise qui nous fait vis-à-vis est sèche ut aride , comme au contraire la verdure du bassin est fraîche à ses pieds; voilà là-bas Oyez, sculpté comme un groupe charmant à l'entrée de son vallon; puis, vers les sources de la Jordanne, dans le lointain, pas un des géants de la montagne qui manque au couronnement de l'horizon. Il ferait bon jouir de ce délicieux coup-d'œil pendant de longues heures; mais il faut marcher. Heureusement, nous rencontrons un meilleur chemin qui vient de St-Simond; il nous rendra ces points de vue en s'élevant sur la montagne dont il suit quelques moments le faite , — aspect monotone du plateau ; — nous descendons à: 5° Boussac, gros village à l'est et à 4 kil. environ du bourg , dans le vallon du mémo nom. C'est le chef-lieu d'une paroisse détachée il y a quelques années de celle de Saint-Simond. L'existence d'une chapellenie à Boussac remontait à une époque ancienne, car on trouve, à la date du 11 mars 1664, une sentence de l'évêque de Saint-Flour qui permet aux habitants de Boussac de construire une chapelle pour y faire célébrer la messe les dimanches et fêtes, excepté les trois fêtes de Pâques , les trois fêtes de Noël, les trois fêtes de la Pentecôte, les deux fêtes de Toussaint, le dimanche des Rameaux , le jour de la Purification de la Sainte-Vierge, les cinq fêtes votives de la paroisse de St-Simond, et les dimanches qui suivent immédiatement ces cinq fêtes.

Certaines propriétés étaient même affectées au service du culte catholique dans le village de Boussac. Malgré l'interruption de ce service depuis la révolution, la chapelle avait été conservée; mais elle avait besoin d'agrandissements qui ont eu lieu depuis peu. L'érection de la nouvelle paroisse de Boussac , qui compte 267 âmes, était commandée par la difficulté qu'éprouvaient en hiver les habitants du lieu pour franchir la croupe de montagnes qui les sépare de Saint-Simond, et par le voisinage des nombreuses montagnes à vacherie qui occupent le haut du vallon, montagnes peuplées en été.

Le bourg de Boussac est assez généralement couvert en chaume ; on y remarque néanmoins un certain nombre de maisons bien bâties. Il faut distinguer parmi elles l'ancienne habitation de la famille de Vernhes dont nous avons parlé. Voici comment cette famille est arrivée à Boussac:

En 1641 , N. Jean de Sermur, seigneur de Leucamp, était propriétaire en ce lieu ; — la même année, le seigneur de Giou y percevait des dimes et rentes; — le chapitre d'Aurillac et le seigneur d'Yollet en percevaient aussi.

En 1051 , Hugues de Conquans , seigneur de Conquans et de Boussac , vend à Annet Parizot, seigneur de Laforce , une maison qu'il possédait à Boussac; en 1650, il vend le reste de sa propriété à N. Fournier de la Royrle; la famille Fournier de la Royrie la revend, en 1694, à N. Jacques de Vernhes.

En 1694 , ce Jacques de Vernhes achète les rentes et droits seigneuriaux du chapitre et du seigneur d'Yollet.

En 1695, il devient acquéreur de celles du seigneur de Giou.

Ainsi, la seigneurie de Boussac passa entièrement sur sa téte.

La propriété de la famille de Vernhes a été léguée par M. l'abbé chanoine de Vernhes à M. de Falvelly. La maison sert aujourd'hui de presbytère.

Le village est environné de prairies un peu marécageuses et peu productives à cause de leur froidure. Les pentes septentrionales du val sont cultivées en céréales et comprennent des terres excellentes. Les montagnes situées sur l'autre versant ou vers la source du ruisseau sont aussi de très-bonne qualité. Le bois manque au-dessus de Boussac; il devient plus abondant à mesure que le vallon s'incline et se creuse davantage. Une des causes principales de la froide température de cette partie de la commune , nous paraît résulter de ce qu'elle s'ouvre au nord par un col dont elle abandonne a peine le niveau , de sorte qu'elle est exposée aux courants les plus froids. Au-dessus du village se trouve un grand marais formé par le ruisseau. ,

Boussac est traversé par le chemin vicinal do Saint-Simond a Polminhac.

Quittons Boussac. Comme nous ne reviendrons qu'une fois au bord de son ruisseau après nous être reposé dans les plus belles villas de la Jordanne , nous pouvons nous éloigner, descendre à St-Simond, pénétrer de nouveau dans la gorge qui s'ouvre derrière Mirabel ; regardez : elle est si profonde, si pleine d'ombre et de silence, si mystérieuse! On dirait que les elfes jouent et dansent en cercle derrière ses contours. Fouillons chacun de ses gracieux replis; montons le long île cette pelouse qui se courbe devant nous. A la téte d'un pré, découvrant comme l'œil du faucon les zones les plus lointaines du pays, nous apparaît:

Caluche, hameau situé à 1 k. 1/2 N. du bourg, sur le plateau et au bord septentrional du val d'Auzolles. Ce hameau touche à la bruyère ; mais le petit bassin qui s'étend à ses pieds offre, d'un bout à l'autre, un ravissant petit éden de verdure, d'ombrage et de solitude.

Ce paysage est si doux à suivre , l'herbe des prés si moelleuse, l'ombre des petits bois que nous rencontrerons si fraîche, l'oubli du monde si grand dans ce petit coin perdu des montagnes , que nous croirons sortir d'une rêverie en arrivant près d'Aiguesparsses; de là, par un affreux chemin, nous descendrons à Oyez, dans la vallée de Jordanne , et nous aboutirons en quelques minutes à:

Carrière (la), hameau agréablement situé à 4 kil. environ du bourg, dans la vallée même et à la base du coteau qui domine la rive droite de la Jordanne. Du milieu de ce coteau et à 50 m. environ au-dessus de la maison, s'élancent deux rochers jumeaux, de taille gigantesque et d'un effet bizarre; on dirait deux têtes d'enfants qui s'embrassent.

« Sur les mêmes hauteurs, dit M. Bouillet, entre les hameaux de Clairières et de la Carrière, on peut voir de très-beaux prismes de basalte, mais dont la  pâte offre un aspect tout différent de ceux de Casmeyrolles et de Cbambrettes. »

Continuons à longer le coteau occidental. Il est âpre et rude; mais aussi la vallée ne cesse pas d'être large et belle, la route facile; nous touchons à: 8° Clavières, gros village à 5 kil. N.-E. environ de St -Simond, sur la rive gauche de la Jordanne et à quelques pas du chemin de grande communication d'Aurillac à Mandailles, qui passe sur l'autre rive. Du sein du village surgit un bloc de rocher dont la terrasse, brodée d'arbustes, présente à elle seule un paysage en miniature et un belvédère naturel qui plane sur la vallée. Les flanes de ce rocher sont percés de petites grottes. En face et sur la rampe abrupte et aride de la montagne, s'élève une chaine de rochers trachytiques, semblable à un long rempart avec courtines et bastions. Dans ces rochers pénètrent plusieurs cavernes; l'une d'entre elles, composée de deux compartiments successifs, mérite l'attention par sa profondeur. Du haut d'un ravin, à l'opposite, tombe une cascatelle toute modeste et pudiquement voilée par une dentelle de feuillage. En voyant le petit arceau de rocher du haut duquel elle s'épanche, éclairé d'un demi-jour par une lumière tamisée ; le flot de la cascade égrener sur sa paroi une poussière irisée; des plantes grimpantes monter dans ses fissures en longues guirlandes; le duvet de gazon, ourlé en .quelque sorte à la base du roc, garder sur chaque brin d'herbe une perle de rosée, on placerait volontiers en ce lieu la mystérieuse retraite de la Naïade.

Le cours de la Jordanne ayant peu de pente au-dessus du village de Clavières, et coulant entre des rives basses sur un lit de galets, a dégradé notablement son beau communal, qui est maintenant réduit à l'état d'une large grève. Il en est de même un peu plus haut, à Lavernière; de même en d'autres lieux. Ne serait-il pas possible d'arriver à un régime administratif des communaux tel que des terrains d'une pareille importance fussent préservés du ravage perpétuel des eaux? L'incurie qui existe sous ce rapport n'est-elle pas manifestée par ce seul fait que dans la vallée de Jordanne une prairie située sur la rive gauche de ce cours d'eau a été vendue récemment 30,000f., tandis que, sur la rive droite, un commun d'étendue égale situé, dans les mêmes conditions que la prairie et en face d'elle , commun entièrement gazonné il y a 25 ans, ne présente plus aujourd'hui qu'un lit de cailloux au bord duquel le chemin de grande communication sera de plus en plus resserré? Comment la rive gauche est-elle protégée à si peu de frais, et la rive droite si peu? Comment la sauvegarde administrative est-elle à ce point insuffisante, quand le propriétaire se défend avec tant de facilité? Nous serions heureux si cette réflexion jetée en passant sur la route de Mandailles pouvait appeler un examen plus sérieux sur la question de l'endiguement de nos rivières au bord des nombreux communaux qu'elles baignent, qu'elles pourraient fertiliser et qu'elles détruisent; allez à Vic , à Fontanges, en cent autres lieux , la même question se représentera. Est-elle indigne de fixer les regards? Et quand l'endiguement de nos fleuves est a l'ordre du jour, celui de nos rivières serait-il considéré comme d'une insoluble difficulté ou comme dénué d'intérêt?

Clavières n'appartient temporellement que pour une faible partie à la commune de Saint-Simond. Ce village dépend spirituellement de Velzic. La famille Capelle y possédait une très-belle propriété.

Nous reviendrons de Clavières à nos solitudes ; il nous faut visiter: Coste. 9° Costes (las), humble petit hameau nouvellement construit, à 1 kil. N. du bourg, sur l'escarpement septentrional du petit vallon d'Auzolles. Ses habitants ont défriché la bruyère qui l'entourait, et sont parvenus à y créer, comme un îlot de culture.

Continuons à gravir le coteau vers l'ouest; nous nous arrêterons à:

10° Croix-de-l’Arbre (la), autre pauvre chaumière près de Belair, sur le plateau occidental, et à 1 k. N du bourg, où l'on descend par une pente abrupte. Avec deux ou trois champs arrachés à la bruyère pour fournir la subsistance de ses habitants, quelques grands hêtres pour lui prêter son ombre, un rayon de soleil levant pour la réchauffer, un bois de pins pour l'abriter contre la bise , elle regarde, résignée, toutes les richesses du beau paysage de St-Simond, qui lui apparaît comme un songe de bonheur à travers un pli du vallon d'Auzolles.

La Croix-de-l'Arbre est citée dans un titre de 1542. Le chemin royal d'Aurillac à Lapeyre y passait, et ce lieu, traversé aussi par le chemin de Marmanhac, était sans doute une station que la piété de nos pères avait marquée du signe chrétien. Peut-être en chevauchant vers son château de la vallée de la Jordanne, quelque Biron s'est reposé sous l'ombre des vieux hêtres qui ombragent la chaumière; mais aujourd'hui l'antique manoir de Lapeyre est ruiné, la route de la montagne est réduite à l'état de sentier, la croix a disparu, et l'habitation qu'elle protégeait s'est un peu ressentie de toutes ces infortunes.

De la Croix-de-l'Arbre nous ne ferons qu'une courte promenade sur le plateau, en continuant a nous diriger vers le S.-O. ; nous passerons à la source du ruisseau de Nozerolles, d'où nous jetterons les yeux sur le petit paysage qu'il arrose, et nous poursuivrons notre route vers:

11° Dône, ou St-Jean-de-Dône, gros village sur le plateau occidental, à 4 kil. 0. du bourg. Il est situé dans une ondulation de la montagne, où naît une des branches du ruisseau de Nozeroles, appelée anciennement ruisseau de Maizials. Des prés de bonne qualité, des terres seigle et trois montagnes à vacherie l'entourent. Le hêtre y devient d'une beauté majestueuse; il encadre magnifiquement les propriétés des environs et y dessine de longues et symétriques allées. L'antique chemin de Lapeyre et du Col-de-Cabre passait dans le village. Son importance est indiquée par la largeur de la voie, régulièrement bordée de part et d'autre par des haies, des murs ou des plantations.

Dône ou Donne, aujourd'hui simple section de la commune de St-Simond, était encore une paroisse au commencement de ce siècle. Cette paroisse comprenait alors les villages ou hameaux de Dône, la Veyrine, Nozeroles, Roudadou, La Beau et l'Oradour. Elle fut supprimée en 1812. L'église existe encore; mais elle a été convertie en habitation, excepté un des bras du transept qui est resté à l'état de chapelle. On voit encore la croix vers laquelle se dirigeaient les processions.

Le village de Dône a une grande ancienneté. Une famille en portait le nom au XIVe siècle; car on voit en 1314 Guirbert de Dône, consul d'Aurillac, représenter cette cité dans le procès qu'elle eut avec l'abbaye. En 1542, le village de Dône se composait de seize feux. Les familles Aiguesparses, Lacoste et Delmas y étaient les plus importantes par leurs possessions emphytéotiques. Dône dépendait alors par indivis de l'abbaye d'Aurillac et de l'ordre de St-Jean-de-Jérusalem , qui y avait, depuis très-longtemps déjà, une commanderie. C'est à cette commanderie, sans doute, qu'est due la création de la paroisse, qui fut placée sous le vocable du saint patron de l'ordre et en prit le nom.

Les commandeurs du Temple d'Ayen ont longtemps Joui de Dône, qui a été plus tard affecté aux frères servans, avec de bons revenus.

N. François de Besson était commandeur de Dône en 141S. Svmphorie  Champier, en 1474; N. frère Louis d'Anteroches, en 1521. On trouve ensuite comme commandeurs : Georges de Vauzelles, chevalier, commandeur du Temple d'Ayen et de Dône en 1543; il est indiqué comme présent a la revue faite par le grand maitre Villiers de l'île Adam, lors des préparatifs de la défense do Rhodes.

Voici comment t'historien de l'ordre de Malte parte de cette revue:

« Le grand maître mit toute sa confiance dans la protection du ciel et dans la valeur de ses chevaliers. En homme de guerre et en grand capitaine, il n'oublia aucune des précautions nécessaires pour n'être pas surpris par les infidèles. Il commença ces soins si dignes de son courage par une revue générale de  ce qu'il y avait de chevaliers et de troupes réglées : il n'y trouva qu'environ 600 chevaliers ct 4,500  soldats, et ce fut avec cette poignée de gens de guerre qu'il entreprit de défendre la place contre les  inondations de ces armées effroyables que Soliman mettait en campagne dans toutes ses entreprises.

On sait avec quelle admirable valeur le siège de Rhodes fut soutenu par Villers, de l'Ile d'Adam; mais il n'est pas indifférent de connaître le rôle que jouèrent dans la défense de la place ces chevaliers d'Auvergne, parmi lesquels se trouvait le commandeur de Dône.

Le bastion d'Auvergne, l'un des plus importants de l'enceinte et qui avait été lié à de nouvelles fortifications, fut confié à la garde du chevalier de Mesnil; sur les remparts, Raymond Roger, de la langue d'Auvergne, fut chargé de commander le quartier de sa langue; le grand maitre, à la tête de ses gardes, commandés par le chevalier de Bonneval, de la même langue, se réserva de se porter dans tous tes endroits où il serait besoin de sa présence.

Dans les rangs ennemis, le pacha Achmet, grand ingénieur, fut chargé de l'attaque des bastions  d'Espagne et d'Auvergne; mais comme ils paraissaient défendus par un grand nombre de chevaliers,  le sultan voulut que ce dernier pacha fut soutenu par l'aga des janissaires.

Un assaut terrible est préparé ; il est convenu entre le vizir Mustapha et le pacha Achmet, que pendant une attaque du premier contre le bastion d'Angleterre, Achmet, pour partager les forces des assiégés, fera mettre le feu aux mines creusées sous le bastion d'Auvergne, et par ses ruines tachera de monter sur les brèches et de s'y loger; cette entreprise s'exécuta le 17 septembre, mais elle ne réussit pas.

Le pacha Achmet ayant fait mettre le feu aux mines, celle qui était sous le poste d'Auvergne fut  éventée et n'eut point d'effet; en même temps, comme les Turcs serrés et en bon ordre s'avançaient  pour forcer les assiégés, le chevalier du Mesnil, capitaine du boulevard du bastion d'Auvergne, et le  chevalier de Grimereaux firent tirer l'artillerie de leurs postes si à-propos ct si souvent au travers des  bataillons épais des janissaires, que ces soldats , quoique braves et l'élite de l'année, n'en pouvant  plus essuyer la fureur, se dispersèrent d'eux-mêmes et regagnèrent leurs tranchées.

 Soliman perdit ce jour-là 3,000 hommes.

Cependant les Tures parviennent à surprendre le bastion d'Espagne, qui avait été abandonné par mégarde. Quelques soldats ennemis avaient déjà gagné le haut de cet ouvrage. Le grand maître en étant  averti, fait pointer l'artillerie du bastion d'Auvergne contre l'ouverture que te canon ennemi avait faite  à celui d'Espagne, empêche le gros de l'armée turque d'en approcher, et d'une autre batterie qui voyait  le bastion, il fait tirer sur ceux qui s'en étaient emparés et tachaient de s'y loger.  Ce poste fut abandonné, et Soliman dut faire encore sonner la retraite.

Le commandement général de l'armée est donné au pacha Achmet , le plus habile ingénieur de l'époque. Ce nouveau général s'attache au bastion d'Espagne, voisin de celui d'Auvergne. Son artillerie, pendant quelques jours, bat cet ouvrage avec tant de fureur, qu'il en ruine toutes les défenses ; il n'y a que la barbacane de la fausse braye que le canon, à cause de son peu d'élévation, ne peut endommager. Le général infidèle résolut de pousser la tranchée jusqu'à cet ouvrage, qui couvrait le pied de la muraille;  mais cette tranchée étant vue du poste d'Auvergne fut foudroyée par le canon des chevaliers. Les Turcs,  pour s'en mettre à couvert, élevèrent au-delà de la tranchée une muraille épaisse; mais ils ne purent  achever ces différents travaux sans perdre un nombre infini de soldais.  L'attaque du basiton d'Espagne  fut une de celles qui donnèrent lieu aux actions les plus héroïques. »

Nous ne poursuivrons pas ce récit. Rhodes succomba. Mais on voit que l'Auvergne, en cette circonstance, comme à d'autres époques de notre histoire militaire, ne faillit pas à la gloire de la France.

Frère Annet de Nabazat, en 1618; frère Aymery de l'Etang,   

en 1657; frère Balhe, commandeur du Temple d'Ayen, en 1079; frère René de Métivier, chevalier, magistrat de l'ordre de Malte et commandeur du Temple d'Ayen, en 1702; frère libéral Geouffre, d'Aurillac, en 1734; frère Jean-Baptiste de Josset, servant d'armes, commandeur du Temple d'Ayen et d'Ourzeaux, capitaine du port de Malte, en 1709.

Les anciens curés de Dône ont été Jacques Aiguesparses, en 1527; François Danrigal, en 1541 ; Antoine Pertus, en 1001 ; Pierre l'Escure, en 1001 ; N. Rays, en 1745 ; M. Lafage, en 1707; M. Latapie, en 1790. Interrompues pendant la révolution , les fonctions du culte furent reprises dans cette paroisse en 1805, et exercées jusqu'en 1812 par M. Beynaguet, en qualité de prêtre auxiliaire servant. Dône fut ensuite réuni, comme nous l'avons vu, à Saint-Simond.

M. Géraud d'Humières , capitaine au régiment de mestre-de-camp-cavalerie, habitait Dône en 1734 et y possédait une belle propriété. Le village s'est embelli de quelques maisons bien bâties; mais, en comparant les vestiges grandioses de ses anciens chemins aboutissant a Aurillac, St-Simond, Marmanhac et Reilhac avec leur état actuel, on s'aperçoit que ce village a très-peu gagné à passer de la tutelle de l'ordre de Malte sous l'administration communale de St-Simond.

Partons de Dône. Notre course est longue, car notre capricieux itinéraire nous mène vers l'extrémité opposée de la commune, au village de:

12° Estrade (l'). C'est le troisième que l'on rencontre au - dela de Saint-Simond, en suivant le chemin de grande communication; il est situé à 4 kil. du bourg, en face de Rouffiac, mais sur la rive droite de la Jordanne et au-devant du hameau de la Carrière. Quelques vergers, des prairies bonnes, quoique marécageuses, et l'ombrage de grands noyers en égaient le coup-d'œil.

En abordant le coteau derrière l'Estrade, nous pourrons, grâce à nos bonnes notions du pays, parvenir à:

13° Fontrouge, hameau construit depuis quelques années, à 3 kil. N. environ du bourg. Il est bâti sur le versant occidental et presque à la tète d'un val de montagnes qui vient se terminer par une échancrure au pied du mamelon d'Oyez. On soupçonnerait difficilement l'existence de ce petit bassin à travers le ravin blanchâtre et calcaire où les sources égouttées de ses pentes viennent se perdre dans un cahos de rochers; il a cependant quelque étendue, quelques bons prés, une ou deux montagnes à vacherie sur la croupe qui le sépare du bassin d'Oyez, et quelques terres à seigle sur le versant opposé qui touche à la vallée de Jordanne.

De ce dernier point, on aperçoit en face de soi, sur les pentes du coteau qui vient expirer à la rive gauche de la Jordanne:

14° Force (la), hameau et château à 4 kil. N.-E. du bourg. L'habitation est La Force, séparée du château, seul objet qui mérite la curiosité; ce château ne consiste que dans une tour quadrangulaire arrondie sur ses angles, et à peu près en ruines aujourd'hui. Elle surgit en quelque sorte d'un bloc de rochers, en saillie sur une fraîche et verte prairie qui décline rapidement vers le village de Rouffiac. On y gravit par des escaliers taillés dans le roc, coupé à pic sur un côté. Ses murs portent aujourd'hui une magnifique parure de lierre qui pénètre même au-dedans de la tour, en revêt les parois, pousse plusieurs guirlandes sur les plafonds et le long des cheminées , formant ainsi une tapisserie intérieure du goût le plus original. La tour communique avec une petite terrasse triangulaire, cette plate-forme surplombe le rocher et la prairie, commande la rivière, le village de Rouffiac, et offre un coup-d'œil des plus imposants sur le haut de la vallée. Au rocher qui supporte le château se rattache un groupe d'autres rochers ; le site entier est presque enveloppé par un massif de grands arbres qui, de loin, le dessine à l'œil sur la pente orientale de la vallée.

La Force était un ancien fief qui relevait de l'abbé d'Aurillac. N. Guillaume de la Force, damoiseau, l'occupait en 1395. Pierre Cambon, bourgeois d'Aurillac, fit hommage à l'abbé d'Aurillac, en 1465, des fief, château et forteresse de la Force, ainsi que du château vieil situé entre Belliac, Salesse et Rouffiac. On ne retrouve pas l'emplacement du château vieil.

La famille du Trieu jouissait de La Force à la fin du XV° siècle; Catherine du Trieu porta cette seigneurie en dot, en 1553, à Gabriel Saunier. Elle était possédée, en 1590, par N. Antoine Parisot, bourgeois d'Aurillac. Un autre bourgeois d'Aurillac, Pierre Piganiol, était plus tard seigneur de la Force. Ce Pierre Piganiol eut pour fils Jean-Aymar Piganiol, gouverneur des pages du comte de Toulouse, en 1709. et qui s'est distingué par ses écrits sur la géographie politique et historique, particulièrement par sa Description de la France , ouvrage en 15 volumes, le plus remarquable et le plus complet que l'on possédât de son temps en ce genre. Il est précédé d'une introduction au droit public du royaume, intéressante à consulter. Aymar Piganiol avait aussi composé une description très curieuse de Versailles et de Marly. Comme il possédait, outre ses autres charges, celle de contrôleur des guerres au régiment des gardes suisses, il voulut se fixer à Paris et vendit, en 1751, le fief et château de la Force à N. Guy de l'Olm, seigneur de Lalaubie. La famille de Lalaubie a possédé cette propriété jusqu'en 1832. M. Gustave de Lalaubie l'a vendue à M. Saphary, qui l'a revendue à M. Establie. Ce domaine est riche en foin et d'un bon produit.

J'ai promis au lecteur un voyage en zig-zag. En route donc vers le côté opposé de la vallée; nous traverserons Oyez et, escaladant un vieux chemin, nous jetterons un regard, mais un seul, sur: - 15 Granges (las), hameau couvert en chaume , et qui n'a guère , pour nous, avantage que de nous procurer un point de vue sur le vallon d'Oyez et sur le rocher d'Aulquier, qui le domine à l'opposite.

Redescendons à Oyez, rapprochons-nous du bourg par la vallée en suivant le chemin de grande communication. Ce chemin , chaque jour amélioré, offrira dans peu de temps , un beau ruban plane et presque rectiligne au bout duquel on aperçoit le Puy-Gerbert et ses vieux tilleuls. Traversons Belliac, et, en quelques minutes, nous serons sous les platanes de: 16° Lataubie, château à 1 kil. N.-E. de Saint-Simond, sur le revers occidental de la vallée de Jordanne et dominant le chemin de grande communication; il se détache sur une côte nue, osseuse et rongée par les ravins, qui, descendant perpendiculairement derrière lui, se couvre tout-à-coup de massifs d'arbres et de verdure. L'élégante façade du château, partagée par une tour, se déploie devant la vallée, qu'elle regarde du haut d'une vaste cour et d'un jardin en terrasse. On me pardonnera de suppléer à toute autre description par les lignes suivantes, écrites loin d'ici, sur la terre étrangère , et que je retrouve dans mon carnet de voyage.

« Lalaubie,  heureuse demeure dont les tours rappellent les âges lointains, dont  les allées, longues voûtes de feuillée , touchent aux coteaux arides comme le  bonheur de ce monde à l'infortune; toi, dont les eaux jaillissent comme la sève  dans une jeune vie, et qui poses gracieusement le pied sur les prairies; reine  de ta vallée, ô Lalaubie! chaque matin , l'onde de la Jordanne t'envoie son  charmant sourire, et, chaque soir , elle t'endort de son lointain murmure.  Noble château qui jadis protégeait le gai village auquel fut justement donné le  doux nom de Beauiieu, et dont Gerbert enfant foulait les prés fleuris; ô La Laubie, j'ai tant aimé mon beau pays sous ton vert marronnier, près des vieux  ans de celle qui t'avait embelli et fait de toi un si heureux séjour , qu'en  tous lieux tu es pour moi la sainte image de la France. J'ai vu Venise et ses  lacunes bleues où se mirent palais, couvents et campaniles; les Alpes de Vicence où le soleil mourant jetait ses brumes d'or , et les caps illyriens ombrageant l'Adriatique ; j'ai parcouru la Styrie aux naïves légendes, et senti  sous mes pieds le Danube bondir en larges cataractes.  (- On remonte les rapides du Danube entre les rochers de l'Ile Worth , surmontés par les ruines du château de Werfenstein. et ceux de la rive gauche que hérissent les murs du Strudet. Cent mètres plus bas seulement, on vient d'effleurer le redoutable tourbillon du fleuve au pied du repaire de Haultein, en rasant, pour y échapper, la tour de Langenslein que hante le moine noir. Ces lieux, profondément encaissés par des forêts de sapins qui les tiennent dans l'ombre , effrayants par les périls qu'ils présentent, peuplés de sombres légendes, saisissent l'Ame au plus haut point - .)

J'ai vogué sur les  flots des lacs de l'Helvétie, et suivi jusqu'au pied des Alpes de Rhétie le musée  de villas des lacs italiens; sur les monts du Tyrol, j'ai partagé la coupe des  chasseurs et me suis reposé dans leurs riants chalets aux chants des Zilleriennes, mais aucun lieu ne me laissa jamais tel souvenir que toi, ô Lalaubie! – (Le Zillerthal est la vallée la plus poétique du Tyrol par ses mœurs naïves, franches, cordiales, généreuses: par ses costumes et par ses danses pittoresques. La beauté des Zitleriennes est célèbre dans toute l'Allemagne; etles ont une vraie passion pour le ebant: il n'est pas de chalet où ne soit suspendue une mandoline, et on y accueille toujours l'étranger par un serrement de mains, un échange de verres et quetque délicieuse romance - .)

Je crois devoir m'abandonner à M. Déribier pour la chronologie des propriétaires de Lalaubie.  Cette propriété , dit- il , appartenait, au XIV° siècle,  à N. Raymond Moysset, damoiseau, qui, en 1510, la céda à N. Aymar de Merle,  fils de Foulques, seigneur du château de Merle, en Limousin , pour la dot de  sa sœur Isabeau. N. Guillaume de Merle , un de ses descendants, vendit, en  1597, le fief de Lalaubie à Antoine de Pouzols, de la ville d'Aurillac. Géraud  de Pouzols, qui en jouissait en 1454. en fit l'investiture à un certain Carrier, du  village de Belliac, et son fils , Antoine de Pouzols , aussi seigneur de Fabrègues ( il vendit Lalaubie, en 1520, à Géraud Aymar, seigneur de Lasmaries,  en Rouergue. Ce fut Raymond de Seguy ou d'Anglards qui en passa la vente,  en 1592, a Michel de l'Olm, fils de Jacques de l'Oint et d'Antoinette de  Cambefort, de la ville d'Aurillac, et fit entrer ainsi Lalaubie dans la famille  de l'Olm, dans laquelle cette terre est restée depuis 200 ans. 

(Michel de l’Olm.(Orthographe de M. Déribier, qui est la vraie, de l'Olm : de l'Orme (de Ulmo). Là plupart des noms de familles et de lieux, en Haute-Auvergne, sont des noms d'arbres ; La Vergne, Fraissy, Perrier, des Perrier, du Noyer, du Fau, Serieys ou del Serieys, de. La famille de l'Olm de Lalaubie porte un orme dans ses armoiries, ce qui justifie encore l'étymologie.)

 

.. Michel de l'Olm, seigneur de Lalaubie, avait épousé en 1585 Anne Parizot,  fille du seigneur de La Force. Son fils, Jean de l'Olm , se maria en 1626 avec  Souveraine d'Estanne , fille de Géraud d'Estanne, juge à Aurillac.

 Guillaume do l'Olm , seigneur de Lalaubie, était un avocat distingué; il épousa, comme on l'a vu, en 1665, Anne de Vernhes. Son frère, Géraud de  l'Olm , était chanoine de Saint-Géraud. Ce serait lui qui aurait fait bâtir lo  château actuel de Lalaubie, s'il faut considérer comme indiquant la date de sa  construction, le millésime de 1681 qui se trouve sur son horloge solaire.

 Louis de l'Olm, fils de Guillaume, était lieutenant civil et criminel et garde scel de l'élection d'Aurillac; il s'allia en 1616 avec Marie do Passefons, fille  de Guy de Passefons, écuyer, seigneur de Carbonnat et de Gazard,

Guy de l'Olm , seigneur de Lalaubie et de La Force, fils de Louis, occupait,  comme son père, la charge de lieutenant en l'élection d'Aurillac; il obtint, en  1730, de Joachim d'Estaing, évêque de Saint-Flour, la permission de bâtir une  chapelle dans le château de Lalaubie. De son mariage avec Gabriel le Pages des Huttes, il eut sept enfants. L'ainé , Henri de l'Olm , seigneur de Lalaubie  et de La Force, était conseiller d'honneur au bailliage d'Aurillac; il épousa en  premières noces Marie de Senezergues de Puy-Castel, et, en secondes noces,  Marguerite de Chazelles, fille de N. J.H., comte de Chazelles, baron de Courdes,  et de N de Peyrac de Jujeal ; il portait habituellement le nom de sa propriété  de La Force.

 Son second frère, connu sous le nom de Nozeroles à cause d'une autre propriété de sa famille dans la commune de Saint - Simond , servit en qualité de garde du corps le roi Louis XVI.

Henri-Louis Guy de l'Olm de Lalaubie , troisième fils de Guy de l'Olm de  Lalaubie , épousa demoiselle Emilie de Métivier de Vais (voir, pour la famille o de Métivier, St-Santin-Cantalès), et eut seul des enfants. Habile médecin, il a de plus, rempli pendant longtemps les fonctions de maire d'Aurillac, et, à ces  deux titres, il a laissé à sa famille un beau patrimoine d'estime et de considération publique. Il fut anobli par lettres-patentes du roi Louis XVIII, en 1816.

Pendant plusieurs siècles , des membres de la famille de l'Olm de Lalaubie ont  occupé aussi des emplois honorables et joui d'une grande considération.

(1) Les bourgeois d'Aurillac possédaient de très-bonno heure, comme on peut le remarquer , tous les flefs des environs, ce qui prouve la richesse de la cité à laquetle ils appartenaient. La majeure partie des familles notables du pays est issue du sang de cetto importante bourgeoisie.

M. de l'Olm de La Force n'ayant pas eu d'enfants, la totalité de ses biens, et  notamment Lalaubie , La Force et Nqzeroles, dans la commune de St-Simond, • ont passé à son frère, Ilenri-Louis Guy.  (Manuserit Dèribier.)

M. Henri-Louis Guy de l'Olm de Lalaubie est mort en 1829, occupant encore les fonctions de maire de la ville d'Aurillac. Il a laissé trois enfants : Ludovic de Lalaubie, avocat, marié avec Mtte Alexandrine Montjolly , et qui a hérité de Lalaubie; Gustave de Lalaubie, à qui La Force avait été légué, et qui a acquis Mirabel, près Saint-Sîmond, où il réside; et l'auteur de cet article, Henri de Lalaubie, avocat, marié en premières noces avec M"e Louise Teillard, en secondes noces avec M"e Louise Delzons , fille de M. le baron Delzons, juge, et petite-fille du général Delzons, tué en Russie; le domaine de Nozeroles lui est échu en partage.

Leur oncle, M. de La Force, avait donné l'usufruit de Lalaubie à sa veuve. Après le décès de M, de Lalaubie, elle réunit auprès d'elle ses neveux, et conserva le foyer de la famille avec un tendre cœur de mère. Jusqu'à sa mort, arrivée en 1854, elle ne cessa d'être une providence pour ceux qui l'entouraient, pour tous, l'expression même de la bonté, de la bienfaisance et de la vieille hospitalité. Dans ce château de Lalaubie qui lui doit ses belles allées , sa cour spacieuse ornée de grands platanes et l'entière restauration de ses appartements; dans ce château , toujours charitable aux pauvres, elle reçut, jusqu'à sa dernière heure, des hôtes nombreux et de tous rangs. Les heures qu'ils y ont passées leur ont-elles laissé quelques souvenirs agréables? Nous l'espérons; et , s'il nous arrive ici de les rappeler, c'est qu'ils feront revivre aux yeux d'un certain nombre de nos lecteurs bien des visages amis qui souvent reparaissent aux nôtres. Mme de La Force est descendue dans la tombe après une longue carrière; mais avant elle, après elle, que de vides se sont faits parmi ces hôtes bienvenus dont la présence animait le séjour du château. Le nécrologe de Lalaubie est long, bien long même pour nous, appartenant à la dernière génération qui l'habita. Tous les âges figurent dans ce nécrologe , et ceux qui pouvaient être épargnés par la mort y tiennent presque la place la plus grande. De suaves et gracieuses figures qui s'épanouissaient au printemps de la vie couimo le calice des roses aux rayons du matin, qui semblaient destinées pour de longs jours encore à réfléchir et répandre autour d'elles quelque chose de la douceur et de la sérénité du ciel, se sont flétries au souffle de la mort comme des physionomies plus graves, mais empreintes de bonté.  Eminé, Smaragdi, Maritza , s'écrie un illustre voyageur en parlant des  jeunes filles de Scio, qu'étes-vous devenues? Où sont vos joies innocentes et  les rires de vos printemps ? Le vent des tempêtes a soufflé et tout a disparu! u Et nous aussi, en songeant à plus d'une veillée du château, nous aussi, avec plus d'amertume, nous pouvons dire quelque chose de semblable! Ombres amies, dans l'historique du château de Lalaubie, pouvais-jc oublier son âge d'or, et vous qui en fites le charme? Non, votre souvenir longtemps habitera ces lieux. Quant aux heures du soir je viens à y passer, chaque croisée s'anime à mes yux d'un nimbe lumineux ou quelqu'une de vous m'apparaît portant encore dans ses traits le sourire des joies passées; d'autres fois aussi, dans une rêverie plus mélanco25 Livraison. 24

lique, il me semble vous voir réunies, comme aux jours d'autrefois, émues de joie, tressaillant do gaîté, quand tout à-coup , au tintement d'un glas funèbre, vous pâlissez , devenez muettes , et chacune de vous se lève tristement pour prendre son rang dans la procession de la mort et s'évanouir dans une tombe. Adieu, château de Lalaubie, adieu ! Le dernier de tes beaux jours a lui, la dernière ligne de ton attrayante existence est écrite!

A quelques pas de St-Simond, dans la direction d'Aurillac, les deux chaînes qui comprennent entre elles la vallée de Jordanne, laissent échapper de leurs flancs deux longues terrasses à peu près parallèles, qui dominent avec des inclinaisons diverses le cours do la rivière. Ces deux terrasses, région moyenne de la vallée, forment deux plaines cultivées en céréales et dominées de part et d'autres par une draperie de forêts qui revêt l'escarpement supérieur de la montagne. Du côté de la rivière, la terrasse occidentale se termine par un paysage accidenté de mamelons ou de petits promontoires qui en relèvent l'effet. La route d'Aurillac côtoie ces monticules et règne en corniche sur les prairies; à l'opposite, le gradin détaché de la chaîne orientale se relève également sur ses bords, mais par une ligne monotone, d'où ses rampes descendent uniformément dans la vallée. Des bois, des prés, des terres couvrent cette pente et ne laissent aucun espace sans culture. Nous avons fait remarquer ailleurs (Topographie du Cantal), que nos vallées présentaient fréquemment, surtout dans la région calcaire, une succession de plans analogues; nous laissons à la géologie le soin de l'expliquer.

Après avoir quitté Lalaubie, franchi le pont de St-Simond, salué de nouveau la vieille tour qui commande le bourg, adressé une pieuse pensée à la bonne vierge du rocher de la Gaudic, nous nous élèverons sur la terrasse orientale. La tradition rapporte que les bois qui hérissent de ce côté les parois de la montagne, renferment des merveilles; que des anneaux en fer scellés dans le roc indiqueraient le lieu d'antiques sacrifices. Mes recherches, je dois le dire, n'ont abouti a aucun résultat de ce genre ; mais il y a dans ces bois, dont la plupart ont une belle venue, des éboulements curieux à étudier, de pittoresques rochers et de jolies plate-formes vêtues de mousse et de fleurs qui font saillie sur la vallée et offrent de ravissants points de vue sur le village de St-Simond ou 1rs sites qui l'environnent. °

A l'extrémité de la petite plaine que nous suivons, un petit col solitaire nous rendra tout-à-coup le frais horizon de la vallée. De ce point, une clairière de gazon entre des massifs d'arbres, nous permettrait de descendre vers Mazic. En gravissant à notre gauche, nous arriverions à Mazeirac; mais nous devons en ce moment franchir les deux plis de terrain qui sont devant nous et jeter un coup d'œil sur:

Marcou. 17° , petit hameau aventuré à la cime d'un mamelon, qui sépare la vallée de Jordanne d'un défilé parallèle. Il ne se compose que d'une maisonnette entourée de beaux bâtiments d'exploitation. Ce lieu, situé à 2 kil 1/2 environ du bourg, est très-ancien, car le codicille de saint Géraud en fait mention. Il avait toujours appartenu au monastère d'Aurillac et relevait du cellerier, Louis de Cardailhac, en 1533. Le propriétaire de  est aujourd'hui M. Charles de Leigonye de Pruns.

Rapprochons-nous de St-Simond; dans ce but gagnons les bords de la Jordanne; franchissons la rivière au pont du:

18° Martinet (le). Nous nous arrêterons quelques instants dans la maison de campagne voisine. C'est une des plus élégantes villas de la commune. Assise sur le bord d'un bassin de verdure, elle s'appuie contre des coteaux du haut desquels s'élance une colline conique terminée par un rocher en forme de tumulus. Des promenades tracées le long de la Jordanne la rattachent au rocher de Recouve, dans lequel sont incrustés en quelque sorte ses jardins de plaisance. Apre, nu et aride naguère, ce promontoire de Recouve, au pied duquel bouillonne la rivière, est maintenant défoncé, disposé en gradins et paré d'un luxe de plantations. Des allées le découpent en tous sens, ondulent avec lui, se reposent sur des plateformes, pénètrent dans des grottes artificielles, descendent vers la rive, ou, par des zig-zags taillés dans le roc vif, montent vers des belvédères hardiment suspendus sur la vallée dont ils découvrent les romantiques lointains. Ainsi, les coquetteries de l'art ont été multipliées d’autant plus en ce lieu que la nature s'y montrait plus rude. Mais, aucune de ces gracieuses créations ne séduit les regards comme le petit archipel qui se montre à leur pied dans le lit de la Jordanne. Ce groupe d'iles semble sortir du milieu des prairies, pareil à une gerbe defeuillée. Les iles sont au nombre de trois, couvertes de grands arbres et formant un bocage épais que partagent plusieurs canaux. Elles touchent à une digue courbe, où la rivière laisse glisser comme un réseau d'argent. Au-dessus de la cascatelle l'onde dort, limpide et profonde. Une des iles, atteignant par sa cime le faite de la digue, avance sur la nappe d'eau un petit cap plein de grâce, auquel est habituellement amarrée une balancelle. Des ponts en bois grume sont jetés d'une ile à l'autre; ils font communiquer de délicieux petits sentiers, qui, serpentent dans le bocage, vont effleurer ses grèves, pénètrent dans ses réduits les plus mystérieux, ou, par de suaves éclaircies, laissent apercevoir tantôt la brillante cascatelle, tantôt les plages d'émeraude que baigne la rivière , tantôt des groupes étranges apparaissant de loin sous l'arche naturelle des canaux. Des sièges rustiques sont disposés çà et là; des berceaux de branchage occupent la pointe de chaque île ; l'archipel entier est d'ailleurs plein d'ombre, de fraîcheur et de murmures; aussi nous avons cru devoir déjà donner à cette miniature polynésique le nom de Borromées de la Jordanne.

Le Martinet a appartenu à la famille Daudé, puis à M. Rampon, avoué à Aurillac. Il est maintenant la propriété des petits-fils de ce dernier, MM. Dominique Mirande, avocat et docteur en droit; Alfred et Ernest Mirande.

C'est à M. Auguste Mirande, docteur en médecine, leur père, que cette agréable résidence doit tous les embellissements dont nous avons parlé.

Au-dessus du Martinet surgit des flancs de la montagne un roc colossal appelé le roc de Courbalesse; ce nom rappelle une aventure tragique restée dans la mémoire des paysans de la commune. A côté du roc de Courbalesse, on distingue un pli de vallon qui offre un phénomène bizarre. Couvert de verdure et arrosé par des eaux abondantes dans sa région supérieure, il se termine par un ravin sec et rocheux La porosité du sol est si grande que , malgré sa déclivité extrême, il absorbe les eaux et produit ainsi une perte moins étonnante pourtant que celle» du Rhône ou du Rhin.

Le Martinet possédait autrefois une usine à cuivre dont on distingue encore les débris sur les bords de la Jordanne. La commune de Saint-Simond comptait alors trois fabriques : celle dont il s'agit et deux papeteries, l'une à Belliac, l'autre à St-Simond. Mais le perfectionnement des procédés mécaniques dans les Vosges, le Puy-de-Dôme et d'autres départements, a produit une concurrence trop redoutable pour les papeteries rudimentaires de la vallée de Jordanne. Celle de Belliac ne fonctionne plus depuis quinze ou vingt ans; celle de Saint-Simond, appartenant au sieur Delrieu, s'est réduite à la fabrication du carton. L'usine à cuivre du Martinet a été détruite. Tel est l'état industriel de la commune. Voisine d'Aurillac, ayant à son service les eaux les plus belles, il est à désirer qu'elle se relève de cette décadence.

En élargissant la route de Mandailles, entre le Trou-de-Pilou et le Martinet, on a découvert un aqueduc ayant 1 m. 33 c. en quelques endroits, et voûté ; il percevait les eaux de la rivière, près de Saint-Simond, et se prolongeait jusqu'au-delà de Fabrègues. C'est dire qu'il régnait sur un espace d'au moins 2 ou 3 kil. Quelle était la destination de cet important ouvrage? On ne peut l'indiquer; mais, n'aurait-il pas été creusé , comme le grand canal qui traverse Aurillac, à l'époque où l'abbaye régissait la vallée de Jordanne? S'il en est ainsi, nous pouvons en induire que les moines d'AurilIac, au milieu de leur science, ne négligeaient pas de faire fleurir, par des entreprises larges et hardies, l'agriculture et l'industrie dans leurs domaines.

Elevons nos regards vers la montagne, à l'est. La longue zône de forêts qui en couvrait les flancs s'éclaircit. Deux brèches de verdure se dessinent à son extrémité; nous les avons déjà franchies pour aller à Marcou . Au sommet de l'une d'elles, on aperçoit quelques bâtiments, c'est:

 19° Mazeirac hameau , chef-lieu d'une propriété qui appartient à M. de Sarrazin. Il est situé à 2 k. environ du bourg, au bord du plateau. Derrière la ferme, s'étend la quatrième région des montagnes à vacherie de la commune (les trois autres entourent Boussac, la Bastide et Dône (1). Le plateau de Mazeirac est principalement occupé par des calms ou camps, espaces tantôt livrés à la culture au moyen de l’essartage . tantôt couverts de genêts et abandonnés au pacage des moutons.

Mazeirac domine:

20° Mazic, maison de campagne qui va, dit-on, être remplacée par un château. Assise à mi - coteau , appuyée contre une forêt, elle jouit des perspectives inférieures de la vallée de Jordanne; le site qui l'entoure avec ses hauts reliefs et leur verte fourrure, ses deux gorgelettes qui viennent se confondre au pied des buis dans une anse de gazon baignée par des sources abondantes, forme un paysage accidenté que l'on a enclavé en partie dans un parc. Nous reproduirons ici le manuscrit de M. Déribier : « Mazic est une très  ancienne demeure. Un Bertrand de Mazic fut, en 1269, témoin pour l'abbé  d'Aurillac et Astorg de Conros. Merals de Mazic traita, en 1456, avec N. Antoine de Pouzols, curé de Rodez.

La famille de Cambefort a possédé Mazic dès le commencement du XVIII° siècle. Au XVI°, vivait Pierre de Cambefort, appelé par le père de Jésus le docte Cambefort. Il avait publié plusieurs ouvrages, entre autres l’Apologie de Gerbert  et la Vie de François Chrapt de Rastignac. Son fils écrivit un livre sur la pragma■tique. Géraud de Cambefort, chanoine de Châtillon, se distingua par ses connaissances variées. Il fut, en 1696, secrétaire de M. de Maubourg, intendant de Lorraine, et exerçait la charge d'avocat au parlement de Metz. On a conservé de lui quelques écrits. Antoine de Cambefort, seigneur de Mazic en 1712, eut de Bonne Dauphine, sa femme, six enfants, parmi lesquels Pierre de Cambefort, prieur de Jussac. »

« La famille de Cambefort, dit l'auteur de l'article Aurillac (Dict. stat., 1er vol., p. 149), est une des plus anciennes de la bourgeoisie d'Aurillac. Elle compte au moins 650 ans de bonne bourgeoisie. Nous trouvons un Cambefort en 1202. »

Cette famille est encore représentée à Aurillac par plusieurs branches.

Celle de Mazic avait pour chef, il y a quelques années, M. de Cambefort de Mazic, qui est resté longtemps maire de Saint-Simond. Sa fille unique, Mlle Fanny de Cambefort de Mazic a porté par mariage l'importante propriété de Mazic à M. Emile de Sarrazin , fils de M. Jean-Louis de Sarrazin, officier de marine, et petit-fils de Gilbert de Sarrazin-Chalusset, chevalier, seigneur de Chalusset et autres lieux, chevalier de Saint-Louis et colonel de cavalerie dans l'émigration. (V. le Nobiliave d'Auvergne, p. 131.)

Regagnons St-Simond. — 2 kilomètres à parcourir en côtoyant la vallée; partout une végétation forte, entretenue par une abondante irrigation. — A notre gauche, les rochers sculptés du Martinet avec leurs vertes broderies. — En face, l'horizon des cimes cantaliennes, du sein desquelles s'échappe la Jordanne. — Nous touchons au presbytère, nouvelle construction de quelque élégance; nous traversons le pont; la perspective s'élargit et se découvre; à quelques centaines de pas devant nous, s'élève:

21° Mirabel, blanche et régulière maison de campagne , qui offre un riant coup-d ‘œil. Elle se détache sur les premières ébauches d'un jardin anglais en cours d'exécution. Aux bords de ce jardin , s'incline par des pentes moelleuses le velours d'une longue et onduleuse prairie. La rivière l'entoure d'une ceinture transparente , où viennent se réfléchir les tons changeants du ciel. Dans ses gracieux contours elle rencontre deux digues, et ses profondes nappes d'eau sont comme ciselées par deux étincelantes cascatelles. Rien de plus variable que l'aspect de ces deux chutes; rien aussi ne donne plus de vie au paysage. Lorsque une nuée sombre éclate sur la vallée , que les roulements du tonnerre se font entendre ct que l'éclair jette ses lueurs pâles sur l'horizon, la Jordanne se met à l'unisson de la tempête; alors ses flots grossissent à vue d'œil ; elle ne glisse plus, mais bondit sur les digues; ses vagues s'illuminent de reflets effrayants, et sa voix retentit de mugissements sauvages qui remplissent au loin la contrée. Mais l'orage a passé; la nature est rentrée dans le calme; les teintes roses du soir quittent à regret le front des collines ; déjà, là haut, entre les bois, l'étoile brille comme l'œil d'un ciel serein. En ce moment rien de plus doux et de plus harmonieux que le bruit de cette onde, naguère folle de fureur, et qui maintenant semble caresser l'air et s'abandonner à la brise.

Au-delà de Mirabel, le val d'Auzolles creuse comme un golfe dominé par des côtes escarpées et grandioses; ces côtes se terminent tout à coup à une cime aiguë, d'où la pente de la montagne décline rapidement et va se croiser avec la silhouette de deux mamelons délicieusement groupés devant elle. Abritée par ce rideau d'agréables collines et de montagnes altières, la petite et profonde gorge s'épanouit et verse dans la grande vallée ses flots de verdure et de fouillée. Le ruisseau qui lu baigne, après avoir joué dans ses prairies, avive encore le hameau d'Auzolles, sautille de rochers en rochers et va se confondre avec la rivière.

Sur l'autre bord de la Jordanne la scène change de caractère. En avant du bourg, le pont bâti par les moines dessiné pittoresquement ses arches massives entre les arbres. Un peu plus bas, quelques maisons capricieusement disposées près de la rive, frappent la vue. Mais la figure monumentale du clocher les domine; il se dresse, imposant et majestueux, au-dessus du chevet de l'église. Par ses quatre baies qui planent sur les campagnes lointaines, il envoie jusqu'au sein de chaque famille ses volées joyeuses ou tristes, palpitations pieuses de la paroisse, messages de vie ou de mort, signes d'espérances qui commencent radieuses ou de vieillesses souffrantes et courbées qui finissent. Ainsi fait le campanile antique depuis près d'un millier d'années. Sur la teinte grisâtre de ses murs, le beau tilleul que fit planter Sully découpe son feuillage en verdoyante pyramide. Chaque printemps ajoute à sa couronne, chaque dimanche d'été rassemble sous ses rameaux les habitants de la paroisse qui s'y retrouvent et devisent sur l'intérêt du jour, en attendant l'office où ils vont implorer la miséricorde de Dieu. Toute l'histoire de St-Simond est dans les trois choses que nous venons de nommer. La tour, vieil abri de sa foi; l'arbre, témoin de ses préoccupations terrestres; la cloche, voix de Dieu qui a si souvent interrompu les soucis du monde en marquant l'heure successive des générations, voix amie qui n'a cessé de s'associer à leurs fêtes et de mêler ses lamentations à leurs douleurs.

La propriété de Mirabel, centre de l'horizon que nous venons de parcourir, appartenait dans le principe à une famille de Mirabeau, sur laquelle nous n'avons point de données. Elle passa, comme nous l'avons vu, à la famille de Leigonye, par le mariage de J.-B. de Leigonye avec Marguerite de Mirabeau. La famille de Leigonye l'a conservée jusqu'en 1853. A cette époque, M. Augustin de Leigonye vendit l'habitation et une partie du domaine qui en dépendait à M. Gustave de Lalaubie, propriétaire actuel, qui y a déjà fait de notables embellissements.

Quittons de nouveau les sites éblouissants qui nous entourent, quittons ces eaux limpides et brillantes dont le bruit flattait si agréablement notre oreille, remontons vers la montagne dans la direction de l'ouest. Le chemin suit une côte aride que se disputent la pierre et la bruyère. Au dessus de nous, du sein d'un petit bois, jaillit une dent de rocher colossale, qui, vue de quelques points, ressemble à une femme en prière; elle est percée d'outre en outre par une grotte curieuse. Un peu plus haut, la crête de la montagne offre un panorama magnifique sur les méandres de la rivière et les villages qui en accidentent le coup d'œil. Dône n'est pas éloigné; mais ce village nous est connu. Le petit vallon de la Capeloune marque sous nos pas ses premières inflexions; il s'ouvre à notre gauche, ondoyant comme une rivière de gazon entre deux rideaux d'arbres et deux chaînes de collines faiblement articulées. Abandonnons-nous à son cours. La route est commode, l'herbe molle; le paysage a peu d'accidents, il est vrai; quelques sinuosités entre lesquelles le vallon s'incline insensiblement, un rayon de soleil éclairant paisiblement ses prairies, un chant d'oiseau qui de temps à autre en interrompt le silence, rien de plus. Le glen des montagnes est aussi modeste que la fleur qui croît à l'ombre de ses haies; mais il n'a pas moins d'attraits. Je crains bien que l'ermitage auquel il aurait pu emprunter son nom n'ait jamais existé. Je n'en ai pu trouver les vestiges; quoi qu'il en soit, on se choisirait volontiers une retraite en ces lieux, pour jouir du calme et de la paix que l'on y respire.

Après avoir reçu le ruisseau de Dône, appelé de Maizials dans les titres du XVI° siècle, le vallon de la Capeloune se creuse davantage et prend un caractère plus accentué. On aperçoit à droite:

17° Nozeroles ou Nozeirolles, hameau situé agréablement à mi- coteau, sur le penchant du Puy-de-la-Rodde. Le paysage qui se déroule devant lui diffère peu dans ses traits des régions voisines : pelouses fuyantes à l'œil dans le fond du vallon ; ruisseau qui scintille et babille dans l'herbe; coteaux diaprés de moissons jaunes et de genêts verts; romantiques échappées de vue ça et là sur les plaines du bas pays, moirées dans le lointain de nuances diverses, tel est l'effet général de ce bassin en miniature; mais ce qui fait le charme de Nozeroles, c'est précisément la solitude qui l'entoure. Pas de site habité qui soit en vue; on dirait  une petite Arcadie détachée du reste de la terre, où les bruits du monde n'arrivent que par quelque écho affaibli venant de la cité voisine et faisant diversion aux paisibles géorgiques de la contrée.

Le domaine de Nozeroles renferme de bons prés et des terres calcaires; la montagne à vacherie qui en dépend domine le vallon et le reste de la propriété. Arrondie en forme de coupole, elle offre de très-beaux points de vue sur la ligne entière des sommets du haut pays qui se développe au nord-est dans sa majestueuse grandeur.

Nozeroles était anciennement un village. Il y existait, dès le XIV°  siècle, une famille distinguée qui en portait le nom ; car on voit, en 1585, les consuls d'Aurillac rembourser à Jean de Nozeirolles 25 deniers d'or qui lui avaient été empruntés pour soutenir la guerre contre les Anglais. Ce même Jean de Nozeirolles était consul d'Aurillac en 1399. En 1456, Jacques et Jean de Nozeirolles reconnaissent tenir en emphytéose de Catherine-Léonarde, abbesse de St-Jean-du-Buis, un affar dépendant du mas de Nozeirolles.

En 1343, reconnaissance de Jean de Nozeirolles à Georges de Vauzelles, commandeur de Dône, pour ses biens et habitation sis au village de Nozeirolles. La maison reconnue par Jean de Nozeirolles était dite del commandaire (du commandeur), et voisine de la fontaine.

Le monastère d'Aurillac possédait aussi des droits sur les terres de Nozeirolles. En 1577, Antoine de Nozeirolles reconnaît tenir certains héritages de l'aumônier du chapitre

Les propriétés de la famille de Nozeirolles passèrent en partie à celle de Passefons de Carbonat, qui les possédait en 1685, et quelques années plus tard à Louis de l'Olm de Lalaubie, qui avait épousé Marie de Passefons de Cartonat.

Il y avait néanmoins, en 1701, au village de Nozeirolles une autre propriété dite du Gaèl, nom que l'on retrouve plusieurs fois dans ces lieux. Cette propriété a été acquise, il y a une quarantaine d'années, par M. Henri-Louis de l'Olm de Lalaubie. L'ancien village a donc été réduit à une seule habitation appartenant aujourd'hui à l'auteur de cet article, qui a remplacé l'une des vieilles maisons par une maison neuve, et opéré quelques autres transformations.

Dans la propriété de Nozeroles et sur le même versant du vallon, au lieu dit la Grange-Rouge, se trouvent quelques ruines; elles indiquent l'existence du village du Puech. Des titres de 1622 mentionnent ce petit village; il relevait alors de l'aumônier du chapitre d'Aurillac, et on y connaissait les sieurs ciel Puech et Viguerie, bourgeois d'Aurillac. Il a passé plus tard à la famille de Passefons de Carbonat, puis à la famille de Lalaubie. A peu de distance, on a découvert une carrière de pierre de taille d'un grain très-fin. Cette pierre a déjà servi à la construction d'un bâtiment public et d'autres édifices. Nozeroles est situé à 5 kilomètres de Saint-Simond et limite la commune à l'ouest. Une faible distance le sépare de Dune, ancien chef-lieu de la paroisse, dont il a dépendu jusqu'en 1812. Dans la direction de ce dernier village par la montagne, à quelques pas de l'habitation et au sein d'une petite baie de verdure qui s'ouvre a ses côtés, on remarque une fontaine dédiée a la sainte Vierge. Cette fontaine a donné lieu dans la tradition locale à une légende qu'on nous permettra de rapporter ici.

 

La Font du Gaël.

 

Au XVI° siècle, l'humble petit glen occupé par le hameau de Nozeroles présentait l'aspect d'une agreste solitude où les bruits de la cité voisine pénétraient à peine. Semés sur toutes ses pentes, des bois de hêtres et de chênes le couvraient de leur ombre. Deux ou trois mas épais sur les coteaux ne troublaient pas le silence de ces lieux, et le ruisseau de la Capeloune y faisait entendre en paix sa faible voix.

Le vallon dépendait en partie de la commanderie de St-Jean-de-Dône, dont le chef-lieu était situé au village de ce nom, vers les sources du ruisseau.

A l'endroit même où se trouve aujourd'hui l'habitation moderne de Nozeroles, existaient deux maisons contigües. L'une appartenait à une famille dont l'ancienneté se perdait dans la nuit des temps. Quelqu'un de ses membres, sans doute, au temps des Celtes ou des Gaëls, avait colonisé cette partie du territoire arvernien ; car ses descendants portaient, comme nom patronymique, le nom de du Gaëlt. Ils habitaient la maison du Gaël; et, sur le coteau qui dominait cette maison, alors comme aujourd'hui, on indiquait la grange du Gaël, la font du Gaël.

L'autre famille était celle de Nozeroles, distinguée depuis le XIII° siècle dans . l'histoire du pays.

La solitude du vallon , l'isolement de ceux qui en avaient fait leur séjour, l'obscurité de ses bois, les vastes étendues désertes de la montagne qui l'entourait avaient de tout temps frappé l'imagination. Aussi, de vieilles traditions, les unes sacrées , les autres profanes , s'étaient-elles perpétuées dans les alentours; et, si la croyance populaire conservait la légende d'un saint ermite qui avait établi sa cellule prés du ruisseau de la Capeloune, les fadas, les trêves, le dra hantaient encore, disait-on, certains parages, redoutés comme a l'époque du vieux culte druidique.

Dans un pli du coteau, derrière Nozeroles, jaillit une modeste fontaine que nous avons déjà nommée la Font du Gaël. Elle sort du pied d'un rocher ombragé par des trembles, et son onde paisible rafraîchit et féconde le sol des environs. Cette fontaine avait été , du moins on le suppose , l'objet des superstitions celtiques; mais là, comme en d'autres endroits, le christianisme leur avait substitué de pieuses dévotions. Les pasteurs de St-Jean-de-Done avaient consacré la Font du Gaël à la sainte Vierge , et ils avaient érigé au-dessus d'elle un petit oratoire en vénération dans la montagne.

A peu de distance de la Font du Gaêl, sur la plaine , on aperçoit un cercle de pierres semblable à un cromlech environnant des ruines. De nos jours, le pâtre se repose indolemment dans cette enceinte en surveillant le troupeau voisin. Les bergères s'y rassemblent souvent; elles y passent de longues heures à folâtrer ou à jaser à qui mieux mieux en faisant tourner leurs fuseaux, jusqu'à ce que l'ombre du soir les invite à se séparer. Mais alors, ces ruines étaient l'effroi de la contrée. Si quelque voyageur attardé s'en approchait vers l'heure de minuit, chaque pierre du cercle magique se dressait devant lui comme un fantôme et semblait lui interdire l'accès de l'enceinte. Là, disait-on, avait vécu dans des plaisirs mondains, là, reposait hors d'une terre consacrée une femme, selon d'autres une fée d'une beauté d'ange, mais d'une âme de démon. Son ombre, quelquefois, reparaissait aux lieux qui avaient été son criminel séjour. Par le calme des nuits, quand la lune montait blanche et limpide dans le ciel, une forme légère et gracieuse se levait lentement du sépulcre de pierres. Puis, tour à tour apparaissait un essaim de génies, fées, elfes ou sylphides qui venaient célébrer avec elle leurs infernales Théories (t). Bien peu de gens dans le pays doutaient de ces apparitions. Aussi , le peuple avait donné aux ruines le nom de Castel- Vieil ou Castel de-la-Trève, et nul lieu n'inspirait une terreur pareille.

A l'époque dont nous parlons, les deux familles qui habitaient Nozeroles étaient représentées par deux dames respectables, Madeleine du Gaël, Marguerite de Nozeroles, veuves toutes les deux , et unies par une amitié que n'avaient altérée ni les ans ni les susceptibilités du voisinage. Le sire du Gaël était mort après avoir rendu de grands services à la cause catholique dans les guerres religieuses de la province. Il laissait une fille encore enfant, Mathilde du Gaël, dont les beaux cheveux blonds, les yeux bleus, le regard limpide et la blanche carnation rappelaient le type le plus pur de la race gaëlique. Le sire de Nozeroles avait été consul d'Aurillac, et sa haute réputation d'honneur et de probité l'avait rendu plus d'une fois l'arbitre de graves différends dans ces temps de discorde. Il n'avait eu qu'un fils, Edouard de Nozeroles, un peu plus âgé que Mathilde, enfant aux cheveux noirs et bouclés, au regard fier, à la taille élancée, mais bien prise et vigoureuse.

Or, les deux veuves qui avaient autrefois connu le monde s'étaient vouées à la retraite après la mort de leurs maris. Vivant dans la société l'une de l'autre, elles ne cherchaient plus désormais leur bonheur que dans l'amour de leurs enfants et dans leur mutuelle intimité. Sans être riches , chacune d'elles jouissait d'un patrimoine suffisant pour lui assurer une existence honorable. Leur genre de vie, d'ailleurs, était si simple; elles avaient si peu de besoins. On ne les voyait guère qu'à la paroisse de St-Jean-de-Dône, le dimanche et les jours de fête. Les autres jours, le monde était borné pour elles au petit coin de paysage qu'embrassait l'horizon de leurs demeures.

Sous leurs yeux grandissaient leurs enfants, toujours mêlés aux mêmes jeux, ne se quittant jamais, se portant rattachement le plus tendre et le plus candide: Edouard, vif. prompt, toujours prêt a braver le danger; la compagne de ses jeux, douce, caressante, modérant Edouard d'un mot ou d'un geste. Quand Edouard s'abandonnait à l'impétuosité de son caractère, Mathilde mettait sa petite main sur la bouche de son ami, ou le prenait par la main et se faisait suivre de lui comme d'un agneau. Mais aussi, que l'ombre d'un danger menaçât Mathilde ou lui causât seulement frayeur, Edouard était aussitôt devant elle, protégeant sa petite sœur et couvrant sa retraite.

Chaque soir, Madeleine et Marguerite passaient ensemble leurs veillées, filant leurs quenouilles comme le faisaient encore nos grand'mères. Elles se réunissaient ordinairement sous la grande cheminée de la maison du Gaël. Leurs domestiques les entouraient. Leurs enfants , assis devant elles sur des escabeaux, la tète appuyée sur leurs genoux, écoutaient les histoires de la ville et les légendes des saints , ou prêtaient une oreille plus attentive encore quand il s'agissait de contes de fées, qui les charmaient vivement ou les faisaient tressaillir de frayeur. Arrivaient ensuite leurs pittoresques commentaires sur tout ce qu'ils avaient entendu , et la soirée se terminait par la prière commune. Ainsi, la joie régnait au foyer domestique, et l'ami de ce foyer, le vieux grillon semblait chanter le bonheur de tous.

Les jours et les années se succédaient au milieu de ce bonheur si calme, dans la solitude de Nozeroles. Edouard était devenu un grand et beau jeune homme. Il avait acquis une instruction suffisante pour l'époque; mais ses goûts le portaient vers une existence active, et, à défaut de la carrière des armes, où il serait entré s'il n'avait fallu quitter sa mère et Mathilde, la chasse occupait une grande partie de son temps; il s'y livrait avec ardeur, et s'y était fait un véritable renom. Mathilde, a son tour, avait atteint cette heure de la vie où, sur le front d'une jeune fille, les grâces naïves de l'enfance ont déjà fait place à des attraits plus sérieux. Sa figure , en conservant toute la délicatesse et toute la fraîcheur du premier âge, avait gagné en noblesse et en expression. Ses traits, pur miroir de son âme, en réfléchissaient la candeur et la profonde sensibilité. Les deux jeunes gens n'ayant cessé de vivre ensemble, continuaient à s'aimer d'une affection fraternelle, et cette affection , pour avoir pénétré plus avant dans le cœur de l'un et de l'autre, n'avait pas, du moins en apparence, changé de caractère. Il fallait cependant prévenir les dangers qu'une liaison si intime pouvait avoir tôt ou tard pour eux. Les séparer et se séparer d'eux, leurs mères le sentaient, eût été trop pénible- N'étaient-ils pas, l'un et l'autre , l'âme et la vie de leurs deux familles, le rayon de bonheur qui luisait sur leur existence? Comment, d'ailleurs, jeter dans un monde inconnu ceux auxquels ce monde était si indifférent, si étranger, et qui n'avaient jamais formé un souhait hors du cercle, où ils avaient vécu? Il y avait donc mieux à faire, c'était de consacrer cette union si douce qui existait entre Edouard et Mathilde. Aucun obstacle ne s'y opposait; car les rangs, les positions de fortune étaient analogues. Si même quelqu'une des bonnes dames avait pu se préoccuper de calculs d'intérêt, l'idée de réunir en une seule propriété la partie du vallon qu'elles habitaient devait la séduire. Tout s'harmonisait donc dans le sens d'un mariage qui devait combler le bonheur de tous. Souvent, les entretiens des deux respectables matrones étaient tombés sur ce projet, et l'une et l'autre étaient d'avis d'en accélérer la réalisation.

Quant aux jeunes gens, ils s'étaient toujours regardés comme destinés l'un à l'autre; la perspective de ce mariage leur était donc familière. Et en effet, quel autre qu'Edouard aurait pu se permettre d'aspirer au titre d'époux de Mathilde? Comment, de son côté, Mathilde aurait-elle pu concevoir la pensée même d'aimer un autre qu'Edouard, Edouard, en qui se personnifiaient pour elle toutes les qualités de l'homme, Edouard, à qui s'attachaient tous ses souvenirs ? Edouard et Mathilde parlaient donc de leur union future avec un aimable abandon. Elle était devenue pour eux le sujet de mille chimériques desseins. Cette pensée, d'ailleurs, n'apportait aucun trouble dans leurs âmes si pures. Edouard avait conservé son franc et courageux dévouement pour Mathilde; Mathilde, son empire sur Edouard. Quand Edouard prenait le bras de Mathilde dans leurs promenades, leurs jeunes cœurs se répandaient en doux épanchements ou l'on aurait à peine distingué tout autre sentiment que celui d'une tendre amitié. Si pourtant Edouard devenait boudeur, Mathilde , après l'avoir gourmandé, lui disait avec une malice enfantine qu'elle ne voudrait jamais être sa femme , sur quoi Edouard s'emportait et se désespérait; mais il ne tardait pas à être rassuré par un sourire expressif de Mathilde

Ces jours d'innocentes amours étaient des jours heureux s'il en fût jamais; trop pure était leur félicité pour que l'ennemi du genre humain ne cherchât pas à en empoisonner les saintes émotions.

Il y avait alors, nous l'avons dit, au village de St-Jean-de-Done une commanderie de l'ordre de St-Jean-de-Jérusalem. Cette commanderie avait d'abord appartenu aux templiers; mais , après la ruine de leur ordre, elle avait passé aux chevaliers de St-Jean qui occupaient alors l'île de Rbodes.

Le commandeur de Dône, messire d'Anterochce, était un bon et joyeux vieillard, plein de cœur et de loyauté , qui avait porté aux turcs de rudes coups d'épée sous le vaillant grand maître Pierre Aubusson. Trop vieux pour renouveler de pareils exploits , il aimait du moins à en réyeiller la mémoire à l'aide de quelque poudreuse bouteille de Chypre ou de Naxie, rapportée par lui à son retour de Rhodes. En bon frère d'armes , ce digne vétéran ne manquait jamais de célébrer le verre en main les victoires de son ordre. Aussi, de nouveaux succès remportés sur les infidèles lui avaient fourni l'occasion de réunir autour de lui de nombreux convives.

Or, le commandeur, quelque peu parent avec la famille de Nozeroles, professait pour cette famille et pour celle du Gaël une estime méritée. Dans les visites qu'il leur avait faites, la bonne mine et la tournure mâle d'Edouard lui avaient plu. « Mon garçon, lui disait-il souvent, a quoi penses-tu donc de rester comme tu le fais enfoui dans ta bicoque, lorsqu'il y aurait gloire et honneur à conquérir pour toi sous d'illustres drapeaux ? Si tu veux m'écouter, je puis t'aider à faire ton chemin. » Et là-dessus, le commandeur pressait Edouard de s'attacher à l'ordre de St-Jean, où se trouvait alors la fleur de la chevalerie d'Auvergne. Pour exalter son enthousiasme, il lui contait souvent ses propres faits d'armes; et. comme Edouard écoutait complaisamment ses narrations un peu prolixes, comme il ne paraissait jamais les soupçonner de quitter le champ de l'histoire pour s'élever aux hauteurs de l'hyperbole, le bon vétéran l'avait pris en grande affection. Edouard ne pouvait donc manquer a la commanderie dans la circonstance solennelle dont nous avons parlé.

Le commandeur avait également près de lui son neveu, Georges d'Anteroches. Il revenait de Rhodes, où il avait fait ses premières armes parmi les gentilshommes appartenant à la suite du grand maître. Doué de facultés aimables et qu'avait exercées la pratique du grand monde , Georges possédait en outre des qualités solides; mais il y joignait malheureusement un caractère vain et présomptueux. Ses voyages et son long séjour en Orient, l'honneur qu'il avait eu de faire partie d'une cour où se trouvaient des chevaliers renommés, les brillantes expéditions auxquelles il avait assisté devaient le mettre en relief dans les pauvres montagnes de son pays. Aussi, ne négligeait-il pas d'en tirer avantage. Ayant accompagné quelquefois son oncle à Nozeroles, il n'était pas resté insensible aux charmes de Mathilde; sa confiance en lui-même était trop grande pour ne pas lui persuader qu'il réussirait auprès d'elle, s'il daignait quelque jour lui offrir ses hommages. Au fond de son âme, en effet, il se croyait une incontestable supériorité sur Edouard , si ignorant du monde? Cependant, la distinction naturelle du sire de Nozeroles , l'expression noble et fière de sa physionomie en imposaient secrètement au neveu du commandeur, et lui faisaient craindre de marcher sur les brisées de son jeune parent, dont les projets au sujet de Mathilde n'étaient pas bien connus de lui , mais pouvaient être entrevus par sa perspicacité.

En ce moment, tous les seigneurs voisins de la commanderie de Dône avaient répondu à l'invitation du vieux compagnon d'armes de d'Aubusson; ils s'étaient empressés de venir fêter avec lui les échecs de l'islamisme. Le repas, servi abondamment, entremêlé de libations fréquentes, ainsi qu'il fut toujours dans le haut-pays d'Auvergne, amena bientôt une gaîté bruyante. Les têtes s'échauffèrent, et, soit par sympathie pour la valeureuse langue d'Auvergne, soit que les chaleureuses paroles du commandeur fissent impression sur l'esprit de ses hôtes, peut-être encore à cause des rasades de Chypre et de Malvoisie qui se succédaient rapidement à la gloire de l'ordre , les prouesses des chevaliers de St-Jean prirent des proportions fabuleuses. Dix fois pour une furent exterminées les armées de l'islam ; on jeta le sultan à la mer du haut des remparts de Rhodes ; on le bloqua dans sa capitale, et deux ans devaient s'écouler à peine avant le jour où la bannière chrétienne flotterait sur le dôme de Sainte-Sophie, plantée par la main du grand maître.

Mais , cette exaltation guerrière devait être accompagnée d'élans plus doux dans les pensers des jeunes convives. Rhodes, en effet, dont le ciel est si beau, dont les brises ont tant de parfums, ne rappelait pas seulement les figures sévères et le pas retentissant de ses moines-soldats dans la rue des Chevaliers; Rhodes, patrie des roses, porte une rose dans son nom. « Ses jeunes filles, dit un voyageur, ont la taille souple et abandonnée; leur port est d'une molle nonchalance. » Cette ile fut chérie d'Anacréon. Un de ses disciples composait, au milieu des pampres et des orangers du Yalisus, les strophes suivantes:

Je veux les jeux,
Le bruit, le rire,
Surtout ma lyre,
Présent des dieux.

Puis des chansons,
Des fleurs, de l'ombre,
Un bosquet sombre,
De verts gazons.

Voilà ma vie:
C'est mon plaisir,
C'est ma folie t
Ma seule envie,
C'est d'en jouir
Et puis mourir.

Georges d'Anteroches connaissait tous les travoudiais ou lais d'amour de l'île; il chanta , d'une voix qui ne manquait pas de mélodie, les vers suivants d'un autre poète rhodien:

 

Je souffre, je gémis, je m'abreuve de pleurs,
Et rien ne peut guérir mes amères douleurs.

O vous! monts élevés, qui cachez mon amie,
Beaux arbres, ornements de son heureux séjour,
Recevez-moi près d'elle en sa verte prairie,-
Car je pleure, je brûle et je languis d'amour.

Deux ans se sont passés depuis que je l'adore,
Deux ans finis pour moi, sans espoir, sans plaisirs:
Hélas! pourquoi compter le temps qui s'évapore?
Chaque heure en s'envolant emporte nos soupirs.

Je souffre, je géimis, etc.

 

La mémoire du sire d'Anteroches lui fournissait plus d'un thème romanesque au sujet des belles Rhodiennes, et tous ne lui étaient pas étrangers ; aussi captivat-il longtemps , par ses récits , l'attention de la jeune noblesse qui l'entourait. Malgré quelques légers murmures du commandeur, un toast fut porté : « Aux » fleurs d'amour des vallées de Linde et du Yalisus, » et les flots embaumés qui se balancent entre ces bords heureux et les rivages d'Amathonte semblèrent, un moment encore , onduler dans la conversation des convives. Tout à coup, le sire de Tourtoulou, guerrier dont la mine renfrognée portait deux ou trois larges cicatrices, mais dont l'œil brillant et les saillies de gaité n'annonçaient pas une extrême austérité, prit la parole et dit: « Messeigneurs , tandis que les soldats du saint ordre de Rhodes se laissent éblouir par les noires prunelles des Rhodiennes, Mahomet envahit la chrétienté; l'islamisme est à nos portes !... »

Un cri d'étonnement répondit à ces mots.

« Oui, messires, continua le sire de Tourtoulou d'un ton moitié grave, moitié  plaisant, les houris de l'élysée musulman promènent leurs pieds légers sur les montagnes de la commanderie. Plusieurs fois déjà, l'une d'elles a été vue portant ce beau costume oriental qu'elles revêtent sans doute dans le paradis du Prophète : vous avez tous ouï parler de la comtesse de Castel-Vieil?

— « Sans doute, répartit Georges, cette circé dont la beauté fut célèbre parmi nos pères , et qui était bien digne de devenir une sultane dans le ciel de l'Alcoran.

— « Eh bien ! la comtesse de poétique mémoire apparaît de nouveau dans nos environs. Tantôt, Adèle à son humeur folâtre, elle mène la ronde des fées autour des ruines de son antique manoir; d'autres fois, surtout vers le Rieu-Sec, dit-on, elle fait entendre ses chants de sirène. Il y a peu de jours, André le vacher, rôdant sur le coteau qui domine Nozeroles pour y chercher une bête de son troupeau , rencontra tout à coup la gentille enchanteresse. Assise au pied d'un vieux tilleul, elle tenait une harpe dans ses mains, et en tirait des sons admirables. Mais, quand elle se vit surprise, elle jeta au pauvre vacher un regard si terrible que le malheureux fut pris d'une frayeur mortelle, s'enfuit a toutes jambes et arriva plus mort que vif au buron.

— « Je le crois bien, le rustaud! reprit Georges, ce n'est pas pour lui que la belle revient habiter la terre ! — Il est évident, toutefois, que cette perfide houri médite de ravir au nom chrétien l'un de ses champions; mais vers qui donc dirigerait-elle ses traits?... Je dois d'abord me mettre hors de cause puisque j'arrive en ce pays. — Quand à vous, cher sire de Tourtoulou, je supposerais que

vos nobles balafres sont de nature a effaroucher cette sensible beauté. (Ici, le sire de Tourtoulou grimaça un gros rire en tordant son épaisse moustache.)

« Mais j'y suis, ajouta-t-il en jetant sur Edouard un regard narquois... Vous dites qu'elle voltige souvent du côté du Rieu-Sec. En vérité, beau cousin, il n'est ici qu'un galant chevalier pour qui l'incomparable Titania ait pu quitter les cieux. Ah! je commence à comprendre votre résistance aux prestiges d'une gloire lointaine. Au fait, cousin Edouard, les Renaud et les Roger, ces vaillants paladins, ne se sont-ils pas laissé enlacer dans des chaînes de fleurs avant d'étonner le monde par leurs exploits? Certes, s'ils avaient eu le cœur trempé du même acier que leurs armures, Tasse et Arioste auraient perdu le sujet de leurs plus beaux chants. Je bois à la nouvelle Armide, cousin Edouard !... » et le jeune neveu du commandeur vida de nouveau une coupe de vin de Chypre.

— « Je vous jure, dit Edouard, pour qui la conversation prenait une tournure inattendue, que l'Armide dont vous parlez n'exerce absolument aucun pouvoir sur moi, et je n'aspire nullement à la romanesque fortune du héros du Tasse. J'ai entendu parler, comme messire de Tourtoulou, d'une femme que l'on aurait vue quelquefois la nuit dans le voisinage de Nozeroles ; mais, je l'avoue,  j'ai douté de la réalité de l'apparition, et, au surplus, je l'ai attribuée à l'égarement d'esprit de quelque malheureuse insensée. »

Le ton d'Edouard était sincère. Il déconcerta les rieurs. Le sire d'Anteroche ne put s'empêcher néanmoins de décocher encore quelque fine allusion à l'adresse de son parent, comme s'il n'eût pas été parfaitement édifié quant au caractère surnaturel de l'apparition, mais l'eût expliquée d'une manière peu charitable pour Edouard. Celui-ci parut ne pas s'en apercevoir. Les convives se retirèrent.

Au sortir du village de Dône, dans la direction de l'ouest, se déroule une longue pelouse du gazon le plus fin. Deux rideaux de hêtres majestueux bordaient alors cette pelouse. Leurs troncs s'élevaient de part et d'autre comme une magnifique colonnade, et leurs rameaux dessinaient en se joignant une nef de feuillée d'un aspect imposant. La lune, dont le disque montait en ce moment dans le ciel, jetait ses rayons çà et là dans le vide laissé par quelques arbres, et formait des ilôts de lumière au milieu de l'allée obscure.

Edouard revenait seul par ce chemin. Les émotions du joyeux festin auquel il venait de prendre part, la vive peinture des mœurs de l'Orient, l'image des brunes Grecques de Rhodes, le laisser - aller de la causerie avaient produit dans sa tête une sorte de vertige. La fée de Castel-Vieil prenait place surtout dans son ardente imagination. D'une part, les contes de son enfance lui laissaient d'elle un séduisant portrait ; d'autre part, tout ce qu'il avait appris de ses récentes apparitions ne pouvait s'appliquer à un être de ce monde. Il avait, lui-même, entendu par le calme des nuits ces chants si suaves, cette harpe harmonieuse dont on avait parlé a la commanderie. Chaque note semblait en ce moment vibrer dans sa pensée. Ses souvenirs prenaient peu à peu une teinte fantastique , et je ne sais quelles visions commençaient à se mêler dans ses rêveries aux plus aimables réminiscences des poètes qu'il avait lus. Tout à coup, ces visions qui le poursuivaient se changent en une vivante réalité. A quelques pas devant lui, dans une des clairières illuminées par les rayons de la lune, il aperçoit très-distinctement une femme aux cheveux noirs, aux traits ravissants, aux formes telles que Raphaël ou Veronèse n'auraient pu les rêver plus régulières, plus délicates et plus sveltes. C'est bien elle, c'est bien la fée enchanteresse de Castel-Vieil ; il ne peut s'y tromper; nulle figure humaine n'a eu tant d'attraits; nul visage de femme n'a fasciné à ce point le faible cœur de l'homme ; ses yeux doux et vifs comme ceux de la gazelle dardent sur Edouard de voluptueux sourires; ses bras gracieux sont coquettement croisés sur son sein; elle passe, et l'herbe sous ses pas semble à peine frôlée par un souffle léger; elle a traversé la clairière; elle est a demi cachée par le tronc d'un grand hêtre; elle tourne encore la tête vers Edouard; elle lui jette encore un regard; ses lèvres murmurent à la brise quelque parole d'amour qu'il ne peut entendre; puis l'adorable fantôme a disparu.... La vue perçante d'Edouard plonge vainement dans l'ombre adoucie par les reflets de la lune; la feuillée se balance mollement sur sa tête; la montagne étend autour de lui ses vastes nappes de verdure que baigne une lumière veloutée; le clair de lune est splendide; les branches des arbres, les grappes pourprées de la bruyère se dessinent avec une admirable netteté ; mais nul être animé ne parait dans la solitude immense de la nature.

Edouard resta pendant quelque temps immobile, sans pouvoir sortir de sa rêverie. On eût dit que toute vie terrestre avait été suspendue en lui par la présence de la magicienne; il revint cependant peu à peu au sentiment de son existence, et, ne pouvant en croire son propre témoignage, mais dans une agitation difficile à décrire, il reprit le chemin de sa demeure.

Les deux bonnes veuves se trouvaient en ce moment chez Marguerite de Nozeroles; elles étaient assises autour d'une table à ouvrage. Mathilde, près d'elles, s'occupait d'un travail à l'aiguille qui dénotait son goût et son habileté. Quand Edouard fut entré et eut salué ces dames, sa mère s'approcha doucement de lui, l'embrassa affectueusement et lui dit, en lui présentant un bouquet: « Mon Edouard , c'est demain le jour de ta fête; te serait-il possible de deviner quelle est la main qui a composé pour toi ce bouquet? »

Edouard regarda le bouquet et n'eut pas de peine à deviner; les fleurs avaient été choisies avec le tact le plus délicat, et leurs nuances mariées avec beaucoup d'art. Au milieu du massif, elles avaient été disposées de manière à former l'initiale d'Edouard; tout autour, l'artiste avait comme ciselé une couronne de myosotis , fleur qui porte un nom plus tendre : Aimez-moi comme je tous aime; une guirlande circulaire de feuilles de lierre bordait le bouquet; les petites lianes dont ces feuilles dépendaient avaient été tressées autour des tiges de fleurs de manière à les serrer étroitement et à dispenser de tout autre nœud.

Edouard remercia Mathilde ; mais, tout ému de ce qui venait de se passer dans l'allée de Dône , il le fit en termes embarrassés, étranges , presque égarés, et, un instant après, il laissa tomber le bouquet sur la table comme s'il eût à peine fixé son attention.

Le ton singulier du jeune sire de Nozeroles ne pouvait échapper à sa fiancée. Aux paroles de Marguerite de Nozeroles, les joues de Mathilde s'étaient couvertes d'un vif coloris; penchée sur son ouvrage, elle semblait vouloir y cacher sa rigueur ; mais, quand elle entendit Edouard , elle releva soudain la tête, le regarda longuement, ses couleurs disparurent, elle pâlit, ses bras fléchirent; elle reprit son œuvre pourtant, mais une larme coula sur ses joues; pour cacher cette larme, elle détourna la tête, se leva et sortit. Les deux vieilles dames ne s'aperçurent pas de cette scène muette.

Le lendemain, Mathilde boudait Edouard; Edouard était distrait, contraint, agité. Pour pénétrer la cause de son inquiétude, Mathilde eut recours aux mille ressources de ce petit manège dans lequel les femmes excellent en pareil cas. Mais Edouard n'avait pas de secret ; Edouard n'était pas inquiet! C'était évident !... il répondait, causait, souriait avec tant d'aise et d'à-propos !.... La pauvre jeune fille était à la torture- Pour la première fois , elle ne pouvait sonder le cœur de son ami d'enfance; pour la première fois, ce cœur avait un pli.

Afin de retrouver un peu de calme, Edouard partit pour la chasse; mais ses rêves brûlants cherchaient autre chose que le gibier. Entré dans les bois de Reilhaguet, errant au milieu de leurs profondeurs sans savoir où se dirigeaient ses pas, il rencontra une pelouse émaillée des fleurs les plus jolies et les plus odoriférantes. Malgré le soin que la pauvre Mathilde avait mis à composer son bouquet, ce parterre naturel offrait aux yeux du jeune chasseur des richesses qui en effaçaient l'éclat. Lassé de sa course , ne pouvant prendre goût au plaisir qu'il avait vainement cherché , obsédé par l'image qui se présentait sans cesse à son esprit, Edouard s'assit au pied d'un arbre sur le gazon fleuri; ses yeux, appesantis par la fatigue et la chaleur brûlante du jour, cédèrent au sommeil et parurent se fermer. Mais, aussitôt il crut revoir en songe la suave et délicieuse figure qui lui avait apparu la veille. Elle portait ce riche et somptueux vêtement de sultane ou de péri que les contes arabes semblaient avoir naturalisé dans le pays des fées. Un turban de gaze blanche, enrichi de pierreries inestimables, pressait sa noire chevelure; une tunique de moire verte brochée d'or serrait sa taille, autour de laquelle était nouée négligemment une ceinture cachemire qui en faisait ressortir la grâce et la finesse. Elle laissa descendre sur le jeune seigneur des regards d'une langueur indicible, et parut se pencher vers lui comme pour effleurer ses lèvres ; mais l'aboiement d'un chien retentit en ce moment aux oreilles d'Edouard, et, le tirant de son rêve, fit évanouir l'aimable apparition.

Edouard revint à Nozeroles la gibecière vide, ce qui était rare. Les préoccupations qui l'assiégeaient à son départ n'avaient pas disparu , loin de là. Mathilde lui parla, et sa voix était bien douce , bien affectueuse; mais Edouard n'avait plus d'abandon avec elle. Mathilde pleura sans rien dire de sa peine. Edouard sentit le mal qu'il lui causait, et fit de son mieux pour la rassurer; une lueur de joie reparut sur la figure de Mathilde.

Mais, ce n'était qu'une éclaircie dans un ciel naguère serein, maintenant orageux et chargé de nuages. Plusieurs jours s'écoulèrent, et cependant Edouard restait pensif, morose. Il recherchait l'isolement; il fuyait sa compagne d'enfance, et déjà , quand la félicité de ces deux cœurs semblait près d'atteindre son comble, Mathilde souffrait, Mathilde était malheureuse, Edouard ne l'était pas moins!

Cet état de choses, qui affectait douloureusement les deux respectables veuves, mais qu'elles ne pouvaient s'expliquer, n'avait pas échappe à une autre personne. — Georges d'Anteroches était du méme âge qu'Edouard , son parent et son voisin. Des goûts analogues pour la chasse les réunissaient ; Georges venait souvent à Nozeroles.

Le refroidissement d'Edouard pour Mathilde devenait sensible. Georges le remarquait attentivement ; mais, à ses yeux, la cause en était toute naturelle. On a vu quels soupçons il avait conçus au sujet d'Edouard, par quelles circonstances étranges ces soupçons avaient acquis, depuis leur origine, un fondement sérieux. Les changements survenus dans la manière d'être du jeune sire de Nozeroles, son agitation, quelques demi-mots échappés au trouble de son esprit avaient achevé de convaincre le neveu du commandeur. Il ne doutait donc pas de l'existence d'une intrigue; seulement, au point de vue où il s'était placé, cette intrigue perdait tout caractère merveilleux. Dès-lors , la conduite d'Edouard lui semblait mériter assez peu d'égards pour qu'il ne se crût pas en droit de venger la noble et charmante délaissée en lui faisant agréer ses propres sentiments.

Or, on le sait, l'inconstance n'exclut pas toujours la jalousie. Quoique Mathilde n'accueillit d'abord qu'avec une très-grande froideur les hommages de Georges, quoiqu'elle tournât toujours ses yeux avec tristesse et amour vers Edouard, celui-ci se tenait pour blessé d'une rivalité dont il démêlait la trame. Il sentait que, si sa tête, si je ne sais quoi en lui l'entraînaient vers l'être mystérieux qui le fascinait pour le malheur de sa vie, son cœur appartenait toujours à Mathilde; et, comme Mathilde n'apercevait plus quelque retour de l'affection d'Edouard que dans l'émotion causée par la présence de Georges, elle en vint à prolonger de temps à autre une conversation avec le sire d'Anteroches, et à paraître écouter avec quelque plaisir les épisodes de ses voyages ou le badinage de sa causerie. Georges, s'exagérant ces apparences favorables, se flatta bientôt d'obtenir un plein succès auprès de Mathilde. Quant à sa mère, ne serait-elle pas très-honorée d'une alliance qui rattacherait la maison du Gaël à l'illustre et antique famille d'Anteroches?

Les desseins de plus en plus clairs du neveu du commandeur avaient amené entre Edouard et lui une sourde hostilité. La plus légère circonstance pouvait la faire éclater.

Un jour, Edouard et d'Anteroches chassaient ensemble; mais d'Anteroches était heureux; Edouard ne tuait rien; son amour-propre s'irritait de plus en plus.

On entre dans les bois de Reilhaguet. Les deux chasseurs pénètrent très-avant dans ces bois. Edouard, séparé un moment de son compagnon, reconnaît devant lui la clairière où la fée lui avait apparu. Dans un mouvement de délire, il invoque le secours de la magicienne ; des paroles sacrilèges sortent de sa bouche.

Au même instant, deux perdrix rouges, au plumage moiré des plus vives couleurs , s'envolent du milieu des gazons. Edouard reprend son arme, tire, et les deux perdrix vont tomber à quelques pas de lui.

La fortune s'attache à Edouard ; elle abandonne complètement d'Anteroches; chacun de ses coups s'égare; les plus beaux vols de gibier le narguent impunément. Son tir malheureux est relevé sans cesse par l'habileté du sire de Nozeroles.

Les deux jeunes seigneurs reviennent vers les prairies marécageuses qui bordent le Rieu-Sec. Des aulnées qui l'ombragent s'échappe lourdement un superbe héron; il rase la terre et s'embarrasse dans les branches en passant près de Georges. Ce coup lui suffirait, car à lui seul il vaut le reste de la chasse; mais, au moment de lâcher la détente , le pied glisse au chasseur qui tombe dans la fondrière. En ce moment, l'échassier succombe sous le plomb d'Edouard.

Cependant, les chiens ont lancé. Un lièvre blanc et d'une grosseur extraordinaire est sorti d'un hallier. Ses ruses, ses inextricables lacets déconcertent vingt fois les rapides limiers et excitent l'ardeur de leurs maîtres. Le lièvre a gravi les coteaux; sa course devient moins rapide ; on sent qu'il va bientôt être forcé; il saute sur un rocher; Achmet, le beau lévrier de Georges, est sur le point de l'atteindre. Mais, tout à coup, Lora, la chienne favorite d'Edouard, bondit sur le roc et culbute le lévrier qui roule du haut en bas. Tiré d'embarras par cet accident, le lièvre fuit encore; mais Edouard est au poste où il va passer ; il l'attend, et le malheureux animal ne peut se dérober a ses coups.

Le sort était trop favorable au sire de Nozeroles , trop fatal au neveu du commandeur pour que celui-ci ne fût pas vivement froissé. Il n'y avait pas jusqu'à la manière brutale avec laquelle Lora venait de précipiter du haut du rocher le lévrier de Georges qui n'eût pour lui quelque chose d'irritant. Ce chien, ramené de Smyrne par le neveu du commandeur, était en effet l'un des plus nobles de sa race; il ne quittait jamais son maître, et faisait l'admiration de tous ceux qui le voyaient. Les deux jeunes seigneurs examinèrent sa blessure, puis se remirent en marche côte à côte, mais sans se parler. Le sire d'Anteroches éleva le premier la voix:

— « Beau cousin, » dit-il d'un ton où se décelait à la fois le dépit et un peu de moquerie, il est dangereux, à ce qu'il paraît, de chasser sur vos terres?

Edouard fixa son rival, et, remarquant son air railleur:

— « Cela peut dépendre du sens que vous attachez à vos paroles, sire d'Anteroches.

— « Mais ce sens est assez clair, cher sire, après le double désagrément que je viens d'éprouver.... D'ailleurs, je n'ai point envie de parler par métaphore, et pour deux motifs:

Le premier, parce que ce serait manquer à certaines convenances que peut» être vous ignorez dans vos campagnes.

Le second, parce qu'il y a des périls qui n'effraient guère un gentilhomme.  Les deux compagnons se turent; on arriva près d'une ruine.

— « Ah ! par Mahomet, s'écria soudain le sire d'Anteroches, je ne m'étonne pas de mon infortune; nous sommes ici, je crois, sur le territoire enchanté d'Armide. C'est bien là que résidait cette souveraine des cœurs, cette sirène incomparable, n'est-il pas vrai, mon sournois et taciturne cousin?

— « Ce sont les ruines de Castel-Vieil, » dit sèchement Edouard.

— « Eh bien, cher sire, continua Georges en frappant du pied l'enceinte,

« convenez-en , il fallait une baguette magique pour avoir fait de ces pierres le palais de l'adorable comtesse. Si l'on en croyait les apparences, on supposerait là quelque chose comme la masure d'un vacher. C'est un grand pouvoir, sire de Nozeroles, que celui de la beauté!

—Le château de cette femme calomniée, répartit Edouard, plus vivement piqué que Georges ne pouvait le soupçonner, de cette femme dont les attraits furent sans doute le seul crime, mais qui vit à ses pieds plus d'un grand personnage, ne serait peut-être pas assez beau pour loger de nos jours un humble hospitalier. » Il faisait allusion aux reproches déversés sur le luxe de plusieurs commanderies.

— « Vous prenez feu , beau cousin; quelle chaleur de sentiment pour ta défunte comtesse! En tout cas, cher sire, comme j'ai le malheur de ne pas absolument partager votre respect pour sa mémoire, je vous prierai de vous abstenir de certains rapprochements que j'aurais peine à tolérer.

— « Mais, sire d'Anteroches, » reprit Edouard sans se laisser intimider, il pourrait y avoir du moins , près des grandeurs de l'ordre , des gentilshommes qui se seraient probablement trouvés très-honorés d'obtenir un sourire de la perle de beauté qui habita ce château.

— « Messire de Nozeroles, les gentilshommes dont vous voulez parler portent leurs regards un peu plus haut, entendez-le bien, et n'ont pas l'habitude de voir dédaigner les hommages qu'ils adressent , en dépit même d'autres gentilshommes qui ne sont pas toujours très-dignes de leur faire obstacle.

Messire d'Anteroches, il y a dans vos paroles une fatuité qui ne mérite qu'un genre de réponse; vous plairait-il de l'accepter?

— Oh ! oh! très-volontiers, sire de Nozeroles.

— A quand donc, et où?

— Vous y tenez absolument? Eh bien, s'il vous convient, ce soir, à dix heures, dans l'allée de Dône.... Mais, la lune est dans son plein; ce sera l'heure des sylphides et des fées; vous auriez , peut-être , un plus agréable rendez-vous? Je serais désolé de le troubler, ajouta-t-il d'un ton sarcastique.

—« A dix heures, répondit brièvement Edouard, et les deux jeunes gens se séparèrent.

Edouard rentra chez lui, le visage sombre et l'âme courroucée; il chercha cependant à déguiser la violence de ses sentiments par une gaîté d'emprunt; mais ce masque ne lui allait pas. Mathilde a bientôt compris l'état de son âme; elle a saisi quelques paroles amères contre d'Anteroches; le sang d'Edouard bouillonne sur ses joues; la houle de la colère se trahit dans les contractions de son visage; elle l'a vu fourbir des armes. Quelque malheur se prépare. Oh! elle en est la cause, elle le sent; elle veillera!

Vers dix heures, par un beau clair de lune, Edouard s'échappe furtivement de la maison de sa mère; il se dirige vers la montagne de Nozeroles qui le sépare du théâtre du combat ; il a déjà gravi les premières pentes de la montagne.

Mais, du côté de la ruine, à peu de distance, une symphonie aérienne se fait entendre. Edouard , vivement ému, s'arrête , se détourne. Au pied d'un sorbier chargé du grappes rouges, il reconnaît la fée de ses visions. Elle lui fait signe; jamais ses yeux n'ont exprimé tant d'amour; jamais elle n'a déployé tant de coquetterie; elle l'appelle, et sa bouche soupire délicieusement le nom d'Edouard. Comment résister? Edouard ne s'appartient plus, sa raison s'égare, il se laisse entraîner, il est sur les pas de la fée, il cherche à l'atteindre; mais, plus légère, elle se dérobe à sa poursuite. Edouard arrive à la ruine. Un bruit sourd retentit, semblable à un tonnerre souterrain; des flammes jaillissent du sol; une lueur rougeâtre se projette jusqu'au seuil d'une ouverture pratiquée dans la ruine. Mais la fée jette un dernier et irrésistible appel à Edouard, puis s'élance à travers l'ouverture. Edouard n'hésite plus, il s'y précipite après elle.

Cependant, Mathilde a suivi Edouard; elle l'a vu d'abord se diriger, armé, vers le lieu du rendez-vous ; elle l'a distingué de nouveau sur la montagne; mais alors il est sur les traces d'une femme; elle l'entraîne vers la ruine; l'un et l'autre s'ensevelissent dans cette ruine redoutée! Ah ! maintenant, tout se révèle à son âme; l’enfer seul a pu lui ravir celui qu'elle aimait. Désespérée, toute en larmes, elle se soutient à peine... Le ciel a pitié de son affreuse douleur et lui envoie une inspiration qui ranime ses forces. Elle accourt vers la Font du Gaël; elle se jette aux pieds de la Vierge protectrice de sa famille; son amour, sa piété, tout son être enfin passent dans sa prière.

A peine a-t-elle imploré la Vierge sainte, que la statue grandit, s'anime et se meut; ses yeux rayonnent d'une bonté divine; ses doux regards s'abaissent sur l'infortunée jeune fille; elle détache un rameau du tremble qui ombrage la fontaine, le plonge dans l'eau et, le remettant aux mains de Mathilde, lui dit d'une voix ineffable :  « Vas, ma fille, vas vers la ruine. Armée de ta foi et de ce rameau béni, ne crains rien des démons ; celui que tu aimes te sera rendu. »

Mathilde se relève alors remplie d'une sainte vertu. Elle veut élever les yeux vers sa bienfaitrice; mais la statue a repris sa forme et son immobilité. Il n'y a pas cependant d'illusion. Le rameau béni est dans ses mains. Chaque goutte d'eau attachée à ses feuilles brille comme le diamant le plus pur ou plutôt comme un incomparable talisman ; car, à travers ce merveilleux cristal, toutes les ombres se dissipent; nul flambeau n'a chassé à ce point l'obscurité , nulle loupe n'a eu une puissance semblable pour découvrir à l'œil les choses invisibles.

Armée du saint rameau , Mathilde marche vers la ruine. Un brouillard épais tourbillonne autour d'elle; mais, à l'approche de la jeune fille, ce brouillard disparaît.

Des ombres blanches s'agitent dans l'enceinte ; un bruit d'ailes froisse l'air ; des fantômes hideux se montrent tour à tour; mais c'est en vain, devant la pieuse enfant, ces fantômes sont obligés de fuir.

Mathilde arrive à l'ouverture par où l'on descend sous les voûtes de la ruine. Une vive lumière l'éclaire; un escalier d'émeraudes, incrusté d'opales, de turquoises et de saphirs, conduit en spirale dans l'intérieur. Elle arrive dans une grotte magnifique, toute en lapis-lazuli, en stalactites, en coquillages qui étincellent sous des feux de diverses couleurs. Elle aperçoit Edouard et la fée nonchalamment assis l'un près de l'autre, sur de moelleux coussins recouverts des étoffes les plus précieuses ; devant eux, des bayadères, vêtues de légers tissus de gaze et de satin, se livrent à des danses enivrantes ; un petit page noir lutine à côté de la fée; des nymphes telles que l'imagination des poètes arabes pourrait seule les représenter, s'avancent vers le dais qui protège le trône. Une d'elles tient dans ses mains un plateau d'or et de diamants. Sur ce plateau , repose une coupe du cristal le plus pur ; on y voit briller en reflets vermeils un philtre merveilleux qui doit transsubstantier l'heureux mortel amené dans ces lieux, et lui communiquer la nature des génies avant qu'il s'unisse par un féerique hymen à la reine immortelle de ce séjour. La fée a pris la coupe; elle y a trempé les lèvres; elle passe à Edouard le nectar délicieux. Ebloui par tout ce qui l'entoure, Edouard , quoique transi d'un secret effroi, vient de saisir la coupe; il la porte à sa bouche; un instant de plus, il est perdu ! !... Mais, tout à coup, la main qui a pris la coupe est arrêtée par une autre main ! Dans le tremblement qui lui est imprimé, une partie du liquide s'échappe du vase ... Horreur! C’est du sang, du sang noir et infect que ce vase contient. Edouard tressaille et se retourne: Mathilde est à côté de lui. C'est elle qui l'a saisi; elle tient le rameau divin où mille gouttes d'eau forment autant d'admirables miroirs ; elle le lui présente avec ce calme surhumain que Dieu donne parfois au sexe le plus faible dans les circonstances extrêmes. A travers ce précieux talisman , tout charme disparaît ; la grotte n'offre plus que son aspect réel. Cette rocaille étincelante, ce sont les parois humides d'un tombeau ; ces coquillages, ces stalactites, ces lapis-lazuli, ce sont des crapauds, des serpents, des salamandres. Ces bayadères, ces aimées aux danses voluptueuses, ce sont des squelettes hideux dont les os craquent en guise de castagnettes; ces nymphes qui apportaient à Edouard le nectar des génies, ce sont des larves dégoûtantes nourries dans les cercueils; ce page noir qui lutine n'est autre chose qu'un petit démon cornu, roux et monstrueux. Cependant, une goutte détachée du saint rameau tombe sur la houri ; aussitôt, elle jette un cri plus horrible que celui du chat-tigre , et, d'une main de marbre, repousse le jeune étourdi séduit par sa beauté. Ses traits et son corps subissent progressivement une effroyable transformation : son visage se crispe, se ride et se glace; ses yeux deviennent vitreux; sa bouche exhale un affreux venin ; son corps se roidit et se tend comme un cadavre. Le petit démon saute alors en ricanant sur ses genoux pliés, et vingt goules semblables à des vers gigantesques s'élancent sur chacun de ses membres pour les ronger. A ce spectacle, Edouard frissonne de tous ses membres et se serre contre Afathilde; mais, elle, tranquille et intrépide, tenant d'une main la main de celui qu'elle n'a cessé d'aimer, oppose de l'autre le rameau sacré à ces spectres épouvantables. En vain ils l'assiègent, en vain ils la menacent : la vertu du sacré talisman les tient à distance et ouvre le passage. Sous la protection de la Vierge sainte, le jeune couple remonte les degrés qui mènent hors de la grotte. L'aurore blanchissait déjà le faîte des montagnes , l'alouette chantait ses premiers chants dans les genêts fleuris. la caille appelait ses petits, la rosée brillait au front de chaque plante, le ciel était d'azur, et la nature entière, en reparaissant dans sa fraîcheur virginale, purifiait le cœur et l'élevait vers Dieu. Edouard voulut jeter un regard en arrière; il ne vit plus a. la place de la grotte qu'un cahos de pierres et de ronces. Mathilde était à genoux près de lui, toute pâle des terribles émotions qu'elle venait d'éprouver, et rendant à la bonne Vierge de ferventes actions de grâces. Edouard la releva et la tint longtemps pressée sur son cœur. Puis, l'un et l'autre, allèrent ensemble prier à la fontaine. Leurs mères, qui avaient passé la nuit dans de cruelles alarmes, les trouvèrent en ce lieu. Tout fut bientôt expliqué, tout fut pardonné. Le grillon du foyer, qui avait cessé de chanter, égaya de nouveau les veillées, et redoubla ses chants joyeux le jour où l'ut célébré le mariage d'Edouard et de Mathilde.

Quant à Georges d'Anteroches, le dénouement arrivé dans les ruines de Castel-Vieil rendait impossible, on le comprend, son duel avec Edouard. Celui-ci fit à son cousin le sincère aveu de son égarement, et les deux jeunes hommes, qui avaient à effacer des torts réciproques , se serrèrent cordialement la main. Mais Georges se voyait obligé d'oublier Mathilde; il était, d'ailleurs, profondément frappé du double prodige qui venait d'éclater sur le territoire de la commanderie : prodige des ruses infernales pour jeter le trouble et le désespoir au sein de deux vertueuses familles , miracle de la bonté divine qui avait fait triompher la piété d'un cœur pur sur le génie des démons. Cédant aux impressions que de pareils événements avaient produites sur son âme, il renonça définitivement au monde, fit profession religieuse et fut armé chevalier dans l'ordre de St-Jean ; il devint un des principaux dignitaires de l'ordre, et mourut en héros sur le bastion d'Auvergne, lors du siège de Rhodes par Soliman.

Le rameau sacré resta longtemps suspendu à la niche de la Font du Gaël et chassa tous les fantômes de la montagne. Il fut plus tard solennellement transféré dans l'église de Saint-Jean-de-Dône, où on l'a vénéré jusqu'aux temps révolutionnaires. Malheureusement, les événements de Castel-Vieil s'effaçèrent peu à peu dans la mémoire des hommes, et l'oratoire de la Font du Gaël fut négligé. Mais il a été relevé il y a peu d'années, et plus on n'a vu ni trêve, ni fée, ni dra dans les environs de Nozeroles. La ruine de Castel-Vieil existe encore sur la montagne; mais son aspect au printemps, lorsque du sein des pierres l'églantier fait jaillir ses branches couronnées de roses , et que la pastourelle assise sur les peuleen de l'enceinte répond au la-ri-la lointain du berger, n'offre plus, au lieu de scènes de terreur, que la riante poésie de la nature.

 

Mars I858.

 

Reprenons notre itinéraire. Traversons encore le territoire de la commanderie; suivons la croupe de la montagne; arrivons à Aiguesparses. De là nous planerons sur l'embouchure du vallon d'Oyez, dans la vallée de la Jordanne. Les hauteurs qui séparent ces deux bassins déclinent brusquement en face de nous et viennent se terminer par une petite éminence qui supporte:

23° Oyez ou Oyetz, village et château â 2 kil. 1/2 de St-Simond. Le château Oyes s'élève au point extrême de l'éminence. Une terrasse soutenue par de grands murs basaltiques l'entoure. Cette terrasse présente au sud-ouest, c'est a dire vers le pignon du gracieux manoir, une plate-forme arrondie qu'ombrage un beau tilleul, et d'où l'on embrasse la perspective de la vallée. Le château d'Oyez mérite d'intéresser à plus d'un titre. C'est en quelque sorte le bijou architectural de la commune de St-Simond. Il rappelle, avec une véritable élégance, la manière du XV° et du XVI° siècles; non cependant qu'il y ait eu de l'unité dans son ordonnance. Il est facile de voir que ceux qui l'ont construit ont entendu respecter certains fragments d'un château plus ancien; ce qui est plus sensible encore, c'est que des bâtiments récents et d'un effet peu agréable à l'œil ont été liés â l'édifice principal. Mais la pensée de l'architecte du XVI° siècle se révèle encore avec toute sa grâce dans le corps de logis. Cette partie du château est flanquée, vers la vallée, d'une tour ronde, étrangère à son style et à son époque; elle appartenait au donjon primitif. Une petite tourelle octogone est suspendue en encorbellement à l'angle méridional. Entre ces deux tours règne une façade ornée de croisées sculptées; elles sont disposées sur deux reliefs verticaux et parallèles qui s'élèvent de bas en haut de la façade. Ces croisées ont une grandeur inégale, et au-dessous de celles du côté droit, on a percé une petite porte qui donne accès sur la terrasse. Chaque ouverture est séparée de l'ouverture supérieure par un bandeau de pierres taillées en balustres et en arceaux gothiques géminés et tréflés. Deux frontons triangulaires, accompagnés de clochetons, surmontaient les deux croisées les plus hautes et faisaient saillie sur la toiture. Mais il ne reste aujourd'hui qu'un seul de ces frontons et quelques pierres à l'aide desquelles il est possible de redresser le second.

Du côté opposé du château s'élève une autre tour ; mais cette tour est de forme hexagone comme les prismes basaltiques des environs d'Oyez. Dans l'une de ses faces, tournée vers l'ouest, s'ouvre la porte d'entrée. Cette porte, voûtée en anse de panier, décorée de nervures flamboyantes qui en dessinent le tympan , ornée de clochetons et flanquée sur ses côtés de colonnettes légères, forme encore un charmant échantillon du style gothique fleuri; avec les croisées dont nous avons parlé, elle détermine l'époque du château et lui donne un caractère artistique dont les types sont rares dans les campagnes de la Haute-Auvergne.

A l'intérieur de cette demeure seigneuriale, on peut encore voir quelques jolis morceaux de sculpture et une belle cheminée. La chapelle occupait une petite pièce voûtée en ogive dans la grosse tour de l'est. Cette pièce est aujourd'hui transformée en salle a manger.

Il existait un château d'Oyetz au XIV° siècle; et, d'après M. Déribier , ce château a souvent porté le nom de La Salle. N. Pierre d'Oyetz épousa, en 1357, Marguerite d'Alhars, à qui son père donna par contrat de mariage l'affar  d'Alhars et des rentes. Jean d'Oyetz, mari de sa cousine Marguerite d'Oyetz, qui était héritière d'Hélis de Sailhans, fit, en 1418 hommage au comptour d'Apchon pour ce qu'il tenait de lui au Falgoux. Autre Jean d'Oyetz ou de La Salle vivait en 1499. Plus tard, en 1543, le château passa dans la famille de de Cambefort par le mariage de N. Guillaume de Cambefort avec Marguerite de La Roque, fille et héritière d'Antoine de La Roque, seigneur de Niocel, et nièce de Nicolas de Caissac. seigneur de Sedages. On voit, en effet,  dans leur contrat que Marguerite reçoit en dot le fief et haubert de La Salle d'Oyez ; elle hérita aussi de la terre de Niocel dans le vallon d'Oyez.

Ce fut Guillaume de Cambefort qui fit bâtir, à ce qu'il paraît, le château actuel d'Oyez sur les ruines d'un autre. La famille de Cambefort était riche, puissante, et avait des alliances étendues, comme on a pu le remarquer même dans cet article. Aussi ne doit-on pas s'étonner qu'elle eut montré dans cette construction plus de goût et de recherche qu'on n'en mettait ordinairement autour d'elle. Guillaume, ajoute M. Déribier, eut pour fils Antoine, qui suit; Nicolas, seigneur de Niocel et commissaire des guerres, décédé en 1649, et Catherine, qui épousa N. François de Sermur, baron de la Besserette et de Thinières. Antoine servit avec distinction comme capitaine de cent hommes et commandant d'artillerie. Les guerres civiles lui causèrent de grands désastres, et de son temps déjà le château tombait en ruines; il mourut en 1634. Son fils, aussi du nom d'Antoine, lui succéda; il avait épousé Jacqueline Audin, qui était  veuve en 1645, et vendit, cette année, diverses rentes pour faire restaurer le château. La tour carrée (probablement la tour hexagone), fut alors coupée par moitié et recouverte en appentis. Un frère d'Antoine, Jean de Cambefort, se maria, en 1645, avec Anne de Fracor, et vint s'établir à Aurillac. A dater du XVIII° siècle et jusqu'à nos jours, Oyez a appartenu à la famille Peytavy,  dont une branche avait pris le nom de La Salle. Joseph Peytavy était archidiacre de Cambrai. Le château avait été cependant partagé avec une autre famille; mais cette division a cessé depuis peu. C'est aujourd'hui M. Delzangles, maire de St-Simond, qui possède Oyez. Il l'a fait réparer, décorer, et l'habite.

Le village d'Oyez touche presque au château. Le massif des maisons qui le composent est bâti au bord du ruisseau du même nom; quelques-unes sont alignées sur les pentes de la vallée de Jordanne.

Au-dessus du village on aperçoit un de ces monticules gazonnés que la nature semble avoir disposés pour devenir une position défensive. Aussi plusieurs archéologues, et avec eux M. Déribier , supposent l'antique existence sur ce point d'un château différent de celui dont il vient d'être parlé. Les signes extérieurs du terrain confirment leur opinion; car la cime du monticule est comme ciselé par deux allées circulaires et concentriques, dessinant en quelque sorte les vestiges d'une double enceinte. Mais d'autres raisons me porteraient à former les mêmes conjectures. Par ce qui précède ou peut voir en effet:

1° Qu'il existait primitivement une famille portant le nom d'Oyetz;

2° Que cette famille avait des alliances puissantes;

3° Que le fief d'Oyetz avait l'importance d'un fief de haubert;

4° Que le village a pris son nom;

5" Que dans les anciens titres on trouve tantôt le nom d'Oyetz, tantôt celui de La Salle; M. Déribier, qui avait lu beaucoup de documents, le constate;

6° Qu'en 1499 seulement, un d'Oyetz s'appela aussi de la Salle;

7° Que le château bas a conservé le nom de La Salle , et que ses propriétaires l'ont porté jusqu'à ces derniers temps.

Or, il ne parait pas probable que le château primitif ait changé de nom, ou qu'il ait porté deux noms à la fois. On présumerait plutôt que, dans le principe, la position défensive et vraiment militaire, c'est-à-dire le monticule, fut occupée; qu'en ce lieu fut bâti le fort château d'Oyetz, chef-lieu d'un fief de haubert; que le village s'établit sous la protection de la forteresse seigneuriale et en prit le nom ; que le château de La Salle fut construit plus tard dans une situation plus commode, et, enfin, que les possesseurs du premier château furent les constructeurs du second, ou qu'ils acquirent du moins cette nouvelle résidence et s'y établirent après avoir abandonné leur première demeure.

« Vis-à-vis le village d'Oyez, dit M. de Rangouze (Essai sur l’Histoire naturelle du ressort du présidial d'Aurillac), dans un bois appartenant au président Verdier, à mi- coteau, exposé au nord, il y a une masse de rocher du genre du basalte, dont les fragments se lèvent par tables extrêmement lisses, de trois ou quatre pouces d'épaisseur. Les surfaces de ces tables sont couleur de rouille d'une teinte légère; elles sont sonores, d'un granit fin, serré, uni, sans bulles, intérieurement de couleur bleuâtre, tapissées de petits points jaunâtres ressemblant à du succin. A la loupe, ces points m'ont paru une matière cristallisée. Le commun du village de Belliac est clos de cette pierre ; vis-à-vis, et à 400 toises,  dans le coteau correspondant, il y a du basalte figuré à plusieurs points. »

Nous ne pouvons quitter Oyez sans dire quelques mots de la gorge qui s'ouvre derrière lui. C'est un des plus jolis bassins de la commune. Rien n'est vert comme ses gazons, grandiose comme ses escarpements, frais comme l'ombre de ses bois ; on aimerait à suivre les mille chutes de son ruisseau; la flore de ses prairies fournirait au printemps le plus riche herbier; c'est alors une vraie mosaïque d'orchidées, d'asphodèles, de narcisses , de renoncules, de campanules, de marguerites, de linéaires ou de scabieuses; ce profond petit vallon nous retiendrait vraiment trop longtemps si nous voulions décrire tous ses charmes; mais il faut nous en éloigner pour visiter les derniers villages et hameaux de la commune. Le lecteur connaît maintenant tout le territoire communal. Je ne ferai donc que lui désigner les lieux dont nous avons encore à nous occuper. Ce sont:

24° Réginie (la) ou Vialette, entre Mazic et Aurillac, sur le versant oriental de la vallée de Jordanne, belle propriété appartenant à M. de Sarrazin, à 3 kil. S. du bourg.

25° Mailles (les), maison de ferme récemment construite au milieu du vallon d'Auzolles, par M. Augustin de Leigonye, qui en est propriétaire. — 1 kil. N. du bourg. — On trouve aux environs une carrière de pierres de taille.

26° Roudadou, hameau sur le plateau occidental, entre St-Simond et Marmanhac;

il domine le vallon de Reilhaguet. C'était un village en 1461. Il appartient aujourd'hui à la famille de La Beau. 3 kil. 0. de St-Simond.

M. Déribier indique près de Roudadou un beau tumulus encore inexploré.

27° Rouffiac, beau et grand village sur la rive gauche de la Jordanne et au-dessous do La Force. Comme à Belliac, comme dans beaucoup d'autres villages de la Haute-Auvergne, les maisons de Rouffiac sont disséminées au milieu de jardins et de vergers, où elles semblent se cacher comme dans un bois. 5 kil. N.-E. de St-Simond

28° Sagergues, petit village dans le vallon de Boussac et au-dessous de ce chef-lieu de paroisse , dont il dépend spirituellement ; il est entouré de bouquets de bois (hêtres ou chênes) et de bons prés que baigne le ruisseau. Les coteaux qui l'abritent sont pierreux et divisés en un grand nombre de parcelles cultivées.

Une partie de ce territoire appartient au domaine à vacherie de M. Charles de Pruns. 3 kil. E. du bourg.

29° Sagne (la), maison moderne sur le versant septentrional du petit vallon que nous avons parcouru en allant à Fontrouge; elle appartient à M. Establie.3 kil. de St-Simond.

30° Salesse, hameau sur la crête qui sépare St-Simond de Boussac, et aux deux tiers environ du chemin qui va d'un village à l'autre ; il appartient à M. Julhes.

31° Vergnes (las), beau village orné de plusieurs maisons modernes; il est situé dans la partie supérieure du vallon d'Oyez, au milieu d'un sol fertile et de bonnes prairies.

32° Veyrine (la), petit château situé entre Nozeroles et Dône, sur le ruisseau de Maizials; il est adossé à un bois de hêtres et jouit d'un coup d'œil très-agréable sur le petit bassin de Dône. La Veyrine existe depuis une date assez ancienne. En 1513, il dépendait par indivis de l'ordre de St-Jean et de l'aumônier du monastère d'Aurillac. C'est ce qui est attesté par la reconnaissance de Jean La Veyrine. En 1542, Géraud Aiguesparses le reconnaissait au camérier du monastère, par indivis, avec Georges de Vauzelles, commandeur de Dône. La famille Gourlat en a été propriétaire depuis le commencement du XVII° siècle jusque vers les premières années du siècle actuel. Il fut acheté plus tard par M. le président Vigier, et appartient maintenant à M. Volpilhac. 4 kil. 1/2 de St-Simond.

Je ne puis terminer la description de la commune de St-Simond sans dire un mot de la mine de houille qui existait dans cette commune. Elle fut découverte par M. de Rangouze en 1784. D'après les renseignements que donne cet auteur, elle était située à 200 toises sud de St-Simond, à environ 100 toises d'une fontaine qui prenait son issue dans une prairie du sieur Daudé, (du Martinet), touchait presque a la papeterie de l'explorateur, et se trouvait enfin vis-à-vis d'une grange appartenant au sieur Montamat. Voici comment M. de Rangouze s'exprime au sujet de cette découverte.  « Rien de ligneux, dit-il, dans cette mine; tout porte l'empreinte d'une glaise marneuse, saturée avec excès d'acide vitriolique, acide qui s'est combiné avec une matière grasse de nature à pouvoir s'enflammer et brûler.

La capacité du filon charbonneux est d'environ cinq à six pieds. Sa qualité est toute schisteuse; son inclinaison à l'E. - N. - E. est d'environ quarante degrés; l'encaissement total est une argile marneuse qui prend de la dureté, de la consistance, à mesure qu'on prolonge les ouvrages vers le centre.

Ce qu'il y a de remarquable, c'est que divers petits filons de matière totalement charbonneuse traversent et croisent le filon principal.

Mise au feu ordinaire des cheminées, ajoute M. de Rangouze,

la matière charbonneuse a flambé parfaitement et s'est consumée, ayant tous les signes caractéristiques du vrai charbon. Je l'ai fait essayer à la forge, elle a chauffé le fer; j'en ai envoyé a Aurillac à différentes personnes qui en ont fait brûler. L'odeur forte qu'elle a communiquée aux appartements a donné des vapeurs a nos jolies femmes, qui s'en sont cependant consolées en faveur de l'utilité publique. Les besoins de la ville augmentent faute de bois. » M. de Rangouze avait fait creuser un puits et deux galeries pour l'extraction du minerai ; mais ces divers forages furent interrompus par l'invasion des eaux; on pourrait souhaiter que l'exploration fût reprise plus sérieusement. Aujourd'hui, nos dames s'accoutument à l'odeur du charbon de terre , et les besoins de la ville d'Aurillac sont loin d'avoir diminué sous le rapport du combustible. Le lieu où se trouvait la mine de M. de Rangouze est incertain, il est vrai, mais les renseignements qu'il a donnés à cet égard pourraient le faire reconnaître.

OBSERVATIONS GÉNÉRALES.

D'après les documents chronologiques renfermés dans cet article, on peut observer que les lieux dont l'existence paraîtrait la plus ancienne dans la commune sont le château de St-Simond,  et Dône, dont les noms figurent dans le codicille de saint Géraud (C'est par erreur que nous avions omis de reporter l’existence de Dône à une date aussi ancienne. On lit dans la bulle de Nicolas IV, au nombre des possessions de l’abbaye sancti Illidii, de donhas de Ambilis, etc.

). Belliac date au moins du temps où vivait Gerbert et pourrait devoir son origine au château primitif de Lalaubie; le château d'Oyez a très-anciennement aussi donné naissance au village d'Oyez, et Rouffiac s'est abrité sous la forteresse de La Force. En nous guidant sur les titres visés par M. Déribier, nous constatons l'existence de Mazic, en 1269; de Lalaubie, en 1310; de La Beau , en 1333; d'Oyez, en 1357 ; de Nozeroles, en 138$; de La Force et Rouffiac, en 1305.

Parmi ces localités , celles qui étaient situées dans la vallée de Jordanne comptaient parmi les possessions de l'abbaye. Elle les avait inféodées d'abord à divers seigneurs; mais les bourgeois d'Aurillac finirent par acquérir tous ces fiefs et firent construire les châteaux que nous voyons aujourd'hui. Un seul do ces châteaux conserve quelque caractère monumental. c'est Oyez.

Comme lieux détruits dans la commune, nous citerons le village del Puech; celui de Nozeroles, réduit à l'état de hameau; le premier château d'Oyez; celui de Château-Vieil, et quelques autres ruines insignifiantes. Il y avait près de La Veyrine un moulin qui alimentait le village de Dône; il n'existe plus. M. de Rangouze indique un autre moulin sur le ruisseau de la Baîsse, à 1/4 de lieue de la source; on n'en retrouve pas les vestiges. Le rétablissement de l'un de ces moulins ne serait pas sans utilité, à cause de l'état déplorable dans lequel on a laissé tomber les nombreux chemins qui parcouraient cette région du territoire communal et la rattachaient à la vallée de Jordanne.

La commune de St-Simond se divisait, comme nous l'avons vu, en deux paroisses, celle de St-Simond, celle de Dône; elles avaient formé deux territoires distincts sous un autre rapport, celui de l'abbaye, celui de la commanderie de Saint-Jean-de-Dône, qui dépendait de la préceptererie de Carlat. Chacun de ces deux territoires devait avoir sa coutume.

St-Simond se régissait par le droit écrit. La coutume en parlait en deux endroits. Le bailliage d'Aurillac réclamait cette paroisse; elle avait la même coutume que Naucelles et Jussac.

St-Jean-de-Dône était aussi de droit écrit. « Par la coutume de St-Jean-de Dône, dit Prohet, p. 91, nul habitant ne peut tenir ès-fraux communs, sinon le bétail qu'il peut hiverner des foins et pailles qu'il cueillit aux villages dont dépendent les pâturaux. »

Chabrol parle de cette paroisse dans les termes suivants : « Prohet a supposé la paroisse de St-Jean-de-Dône du ressort de Vic ; le bailliage d'Aurillac la réclame. »

Ce conflit de juridiction résultait probablement des droits indivis qu'avaient sur une partie du territoire de St-Jean-de-Dône, l'abbaye d'Aurillac et la commanderie qui relevait de Carlat.

La justice, ajoute Chabrol, appartient au chapitre d'Aurillac. Cette paroisse a adopté l'art. 3 de la coutume locale de Jussac, ainsi conçue:

« Quand les emphytéotes ne payent leur cens de deux, trois ou quatre ans au plus, les emphytéotes ne confisquent point ce qu'ils tiennent, mais les seigneurs peuvent demander les arrérages et venir par exécution ou demande. »

Quelques usages règnent encore aux environs de Dône; comme il a été parlé de l'écobuage dans le 2° volumef p. 32, je mentionnerai les règles qui le concernent ( L'écobuage ou essartage consiste à enlever, à l'aide d'un boyeau, la partie supérieure d'une terre gazonnée ou couverte de végétaux ligneux, à disposer les mottes en tas, à les faire brûler et les réduire en cendres.

Cette opération a plusieurs avantages: 1° désagréger la terre et produire accidentellement de l'engrais par l'incinération des végétaux; 2° détruire complètement les mauvaises herbes; 3° neutraliser les acides répandus dans le sol par leur mélange avec de la cendre ; 4° convertir en chaux les parcelles de calcaire qui peuvent s'y trouver, et produire des silicates solubles dans les sols argileux ou marneux.

Les effets de l'écobuage sont donc excellents dans les derniers terrains, dans les tourbières et les marais desséchés, où il détruit les racines charnues qui les peuplent ; dans les vieilles prairies où il aide à la fermentation du terreau. Mais il est moins profitable aux sols légers ou sablonneux, dont il diminue la consistance et où il ne trouve pas assez de principes fécondants à mettre en œuvre; aussi doit-il être secondé dans ces terrains par l'emploi d'abondants engrais qui doivent être répandus dans l'année qui succède à celle du défrichement. Il ne faut répéter l'écobuage que lorsque les végétaux se sont reproduits, et s'arrêter dès que la terre cesse d'être garnie d'une quantité suffisante d'herbes. Ainsi entendu, l'essartage est généralement favorable à la culture de toutes les crucifères, des légumineuses, pommes de terre, seigles, avoines, sarrasin, etc.

)

« L'issartaire, (dit un de nos savants collaborateurs dans un manuscrit inédit sur les usages locaux, manuscrit dont la publication serait extrêmement précieuse), prépare la terre et fait la rôtisse, puis fournit la moitié de la semence. L'autre moitié est donnée par le fermier.

La récolte et le battage sont faits en commun ; le grain se partage; le fermier garde la paille pour 0,05 c. par gerbe.

En quelques endroits la paille se partage; ailleurs, le tenancier fournit toute la semence et garde toute la paille. »

 

Saint-Simond a deux foires: les 29 avril et 29 août.

Telles sont les données statistiques, descriptives et historiques que j'ai pu rassembler sur la commune de St Simond. Je ne me flatte pas de ne rien ignorer de ce qui la concerne, et je serai très-heureux d'apprendre qu'il existe d'autres documents de nature A rendre plus intéressante encore cette petite contrée. Son histoire n'est pas féconde en événements, je le reconnais; hors la gloire d'avoir vu naître Gerbert, elle n'a rien qui ait pu la rendre célèbre; mais son obscurité ne prouve qu'une chose, c'est qu'elle a toujours paisiblement joui de son fertile et riant territoire. Elle n'a donc pas à s'en plaindre.

Il y a , j'en conviens , plus d'une digression dans l'article que je lui ai consacré. Sur ce point, je demande grâce au lecteur. Saint-Simond est en quelque sorte ma patrie. C'est là que j'ai le plus vécu de la vie du cœur; c'est là que j'ai passé les jours les plus heureux. Aussi, chaque lieu, dans cette paroisse, est resté pour moi l'objet d'un culte particulier. Tous mes souvenirs, tous, même les plus lointains, même les plus augustes, ceux que m'envoyait la terre étrangère ou qui retraçaient à ma mémoire les grandeurs de royaux exils, m'ont souvent visité dans mes solitudes. Tous y ont laissé leur empreinte. Aujourd'hui donc, chaque glen, chaque coteau de ma poétique patrie réfléchit à mes yeux les images intimes auxquelles il s'est associé. Je n'ai pu m'en détacher, et l'on me pardonnera peut-être d'avoir senti, en décrivant ces lieux, l'influence de mes affection?. Dans mon pauvre cottage du Rieu-de-la-Capeloune (Ces lignes étaient écrites à Nozeroles), je me fais peu au pli du monde, et je m'en console. Mais ce que j'ai aimé du cœur, de l'imagination, de la foi, je l'aime encore. Pour le reste, je m'en rapporte à Dieu.

Henri DE L ALAUBIE

 

Pin It