cp

André Martres, né à Aurillac le 21 juin 1920 fête ses 20 ans le jour de l’armistice. Appelé de la classe 40 il est affecté début mars 1941 au camp n° 24 à Lodève (Hérault). C’est alors que le camp n° 40 est créé à Murat et Albepierre et que des volontaires sont recherchés pour être affectés au groupe de commandement de ce camp disciplinaire. Il est volontaire dans le but de se rapprocher d’Aurillac. Il arrive à Murat fin mars 1941 et y restera jusqu’à sa libération en novembre 1941. Il évoque dans le texte qui suit la création et les débuts du camp 40.

André Martres et ses camarades au camp 40 (ars 1941)André Martres et ses camarades au camp 40 (mars 1941)

En avril 1940 le gouvernement avait procédé à l’appel du 3ème contingent de la classe 1939 et du premier contingent de la classe 1940 (jeunes gens nés entre le 1/10/1919 et le 1/04/1920). Cependant, en application de la Convention d’armistice entrée en vigueur le 25 juin 1940, l’armée française est dissoute.

Ces appelés immédiatement démobilisés posent un problème. N’étant pas rendus à la vie civile ils restent à la disposition des autorités. Par décret du 1er août 1940 ils sont placés sous la responsabilité du Ministère de la jeunesse et de la famille et vont constituer l’embryon des « Chantiers de jeunesse ».
La loi du 19 janvier 1941 codifie le statut des Chantiers de jeunesse. Elle institue un stage obligatoire pour tous les français résidant en zone libre, âgés de 20 ans et appelés par classe pour huit mois.

Quarante-sept Groupements seront ainsi constitués à partir de mars 1941. Ils sont placés sous l’autorité du Général de la PORTE du TEIL ; l’encadrement est composé d’officiers et de sous-officiers d’active. Implantés en zone non occupée, en général dans des régions forestières, à l’écart des cités, ils campent en plein air dans l’esprit du scoutisme. Dans un premier temps sous la tente, ils construisent peu à peu des baraques en bois dites « baraques Adrian » qui constitueront leurs cantonnements. La discipline y est militaire.
Chaque groupement est placé sous l’autorité d’un commissaire chef de groupement (en principe un commandant ou chef de bataillon d’active), assisté de commissaires adjoints (capitaines). Un groupement a un effectif de 1 200 à 1 500 appelés.
Un groupement type se compose, en principe, de 10 groupes, chaque groupe de 10 équipes de 12 hommes. Un groupe est placé sous l’autorité d’un chef (ex-lieutenant) et d’assistants (ex-sous-lieutenants).
La tenue est le blouson de cuir havane, pantalon de golf en drap vert forestier, béret noir. La tenue de travail est vert forestier.
L’activité de ces camps est diversifiée : abattage du bois et, au moyen de fours rudimentaires, confection de charbon de bois pour l’alimentation de voitures à gazogène ; ouverture de routes ; construction de baraques Adrian ; etc.… En outre, à partir de 1942, les Chantiers de jeunesse participeront aux travaux agricoles, particulièrement aux vendanges.

Parmi ces groupement, le groupement n°40 (Camps des Arvernes) tient une place à part : c’est un camp disciplinaire. Il accueillera sur les pentes du Lioran, dès le 1er octobre 1940, des appelés- dont un fort contingent d’alsaciens lorrains- qui seront chargés de l’encadrement ; puis, dans un second temps, des jeunes repris de justice. La devise de ce groupement est « Honneur et Discipline » ; son insigne une tête de gaulois se détachant sur un fond de sapins.

Il regroupe 800 hommes environ, placés sous le commandement du chef LE FOUEST. Contrairement aux autres groupements, il ne comporte en 1941 que 5 groupes dont 4 sont disciplinaires. A cette date l’organigramme du groupement est le suivant :

  • Chef de groupement : Commissaire Le FOUEST
  • Commissaires adjoints : Chefs MAYET, BLANCHET, MESTRE, DEMUMIEUX, et DOSQUE
  • Assistants : Chefs MICHEL, d’AILLY, PARSEVAL, RAFFOUR, GENIOT, BRUNHES, DUVERNOIS et PERICHON
  • Aumôniers : CHEVALIER et SCHWALLER
  • Médecins : JULIA et BENVENISTE.

Les groupes sont constitués en fonctions des délits commis :

  • Groupe I : « Dura lex sed lex », cantonné dans les granges du hameau isolé de La Molède, au pied du Plomb du Cantal, à 1.480 mètres d’altitude. Chef de groupe PERRET, assistant SALES. Il s’agit des appelés les plus durs, issus de maisons centrales.
  • Groupe II : « Sidi Brahim », cantonné aux burons d’Albepierre. Chef de groupe PERON, assistant THIBAUT. Il s’agit des appelés condamnés pour vol, braquages, et
  • Groupe III : « Dixmude », également cantonné aux burons d’Albepierre. Chef de groupe FRANZE, assistants ELBAZ et LEDARE. Il est constitué des appelés insoumis dans leur groupement d’origine.
  • Groupe IV : « d’Assas », cantonné dans les granges du hameau d’Auzolles, sur la route d’Albepierre à Bredons. Chef de groupe VUILLEMIN, assistants MICHEL et BOUFFARET. Ce groupe est composé de réfractaires et de politiques (communistes, anarchistes, syndicalistes, etc…).
    Groupe de commandement : cantonné tout d’abord dans une grange aujourd’hui détruite près du foirail de Murat. Il s’installera ensuite dans des baraques « Adrian » à côté de l’usine à gaz, près de la route d’Aurillac (quartier de la Croix-Jolie) sur les pentes du rocher de Bonnevie. Il est constitué d’une cinquantaine de non disciplinaires, au départ des alsaciens lorrains, puis de jeunes clermontois et aurillacois ayant saisi l’opportunité de ne pas trop s’éloigner de la famille.

Le camp des burons d’Albepierre était de loin le plus important. Surnommé « le camp des américains », un contingent américain y ayant séjourné pendant la première guerre mondiale, il n’en restait aucun vestige lorsque le 17 septembre 1940, trois mois à peine après l’armistice, le commandant LE FOUEST accompagné de quatre de ses collaborateurs, chargé de repérer dans la région un site pour l’installation d’un chantier de jeunesse, arrêta son choix sur ce cirque de verdure, au pied du Plomb du Cantal, à 1.200 mètres d’altitude.
Le camp comportait, outre 10 baraques disposées de part et d’autre d’une très large allée centrale, une chapelle, un foyer, une infirmerie et un atelier. Chaque baraque était composée de 3 dortoirs logeant chacun une équipe de 15 appelés. Le camp était parfaitement entretenu ; des massifs de fleurs garnissaient les pelouses et le bord des allées. Sur le terre-plein central était planté un énorme mât. C’était là où se tenaient les rassemblements et tous les matins le « lever des couleurs ».

Les jeunes gens affectés aux groupes disciplinaires (I à IV) avaient tous eu maille à partir avec la justice avant ou après leur incorporation. Certains venaient du milieu carcéral, d’autres de maisons dites de « redressement » (Aniane, Eysses, etc.. ). Certains avaient eu des « ennuis » dans leur groupement de première affectation (indiscipline, rixes, insoumission, etc…). Seuls les « politiques » avaient un cursus moins violent. Ils étaient originaires de toutes les régions de la zone non occupée. Escortés de gendarmes, ils débarquaient en gare de Murat. Le crâne rasé, portant des tatouages (quelques uns en avaient même sur le visage), ils ne manquaient pas de pittoresque ! Réceptionnés au P.C. de Murat, le chef LE FOUEST décidait de leur affectation dans les différents groupes en fonction de la nature de leur délit. Puis, solidement encadrés, ils gravissaient la route qui monte de Murat vers les camps d’Albepierre.

Les chefs des groupes disciplinaires étaient des « figures ». Estimés de leurs hommes, ils partageaient leurs dures conditions de vie tout en maintenant une sévère discipline. Cela n’empêcha pas que des exactions soient commises : l’église d’Albepierre fut profanée et des objets du culte volés, ce qui donna lieu ultérieurement à une manifestation religieuse à laquelle participèrent plusieurs évêques. De nombreux autres vols eurent lieu chez l’habitant, ce qui ne contribua pas à améliorer les relations avec la population locale.
Les auteurs des vols, lorsqu’ils sont arrêtés, sont détenus dans l’ancien four à pain du village d’Albepierre reconverti en prison. Les jours d’incarcération étaient ajoutés à la durée légale du service obligatoire, et c’est ainsi que plusieurs disciplinaires effectuèrent quelques mois supplémentaires….

L’essentiel du travail des appelés du premier contingent incorporé en mars 1941 fut de construire les deux camps : celui des burons d’Albepierre et celui de la Croix Jolie à Murat. A Albepierre, les travaux avaient commencé dès le mois d’octobre 1940 avec des appelés démobilisés à la suite de l’armistice. Les conditions de travail dans la neige et le froid étaient extrêmement pénibles. Il n’y avait aucun matériel. Il fallut d’abord aménager une route forestière du bourg d’Albepierre jusqu’au site choisi. Puis encadrés par des chefs d’ateliers, hommes de métier pour la plupart, les appelés durent préparer le terrain, procéder à des travaux de terrassement pour recevoir les assises des baraques, un important travail de drainage fut également effectué. Fin décembre 1940, trois baraques étaient érigées, quatre en cours de finition. Le camp d’Albepierre fut terminé en mai 1941 et celui de la Croix Jolie en août de la même année.

Les appelés seront alors orienté vers d’autres activités : abattage des arbres et fabrication de charbon de bois à la Molède, Auzolles et Albepierre ; extraction de lignite à Chambeuil près de Laveissière ; extraction de la tourbe sur le plateau du Limon au dessus de Ségur les Villas ; plantation de conifères ; aménagement de chemins forestiers, etc. Des stages de chefs d’équipes fonctionneront à Chambeuil.
Sous la responsabilité du chef BONFILS, un parc hippomobile destiné au transport et au ravitaillement stationnait dans les écuries de la ferme DAUCOU, dans le bourg d’Albepierre.
Il y avait aussi un spécialiste des tatouages à la lame de rasoir. Son industrie était prospère, rares étaient les disciplinaires qui n’y passaient pas. Le rythme de vie au camp 40 était immuable. Voici à titre d’exemple l’emploi du temps en 1941 des jeunes du contingent cantonnés à Murat :

  • 7 heures : réveil.
  • 7 h à 7 h 30 : hébertisme et toilette en plein air dans le ruisseau de la Chevade.
  • 7 h 30 : petit déjeuner.
  • 8 h 15 : salut aux couleurs en tenue réglementaire place du Balat.
  • 8 h 30 à 12 h : travail de terrassement et construction des baraques à la Croix Jolie.
  • 12 h à 14 h : déjeuner.
  • 14 h à 18 h : travail.
  • 19 h : dîner.
  • 21 h : couvre feu.

Très fréquemment des veillées de camp sont organisées et des chœurs constitués. Les non disciplinaires y entonnent des chansons du terroir ou des chants scouts : « Fanchon », « A la claire fontaine », « Une fleur au chapeau » ou encore l’hymne du groupement des Arvernes composé par les chefs P. MAYET et R. DESGRIPPE. Les disciplinaires, qui s’étaient auto baptisés les « joyeux » ont quant à eux adapté à leur manière le chant des bataillons d’Afrique :

« Il est sur la terre cantalienne,
un bataillon dont les soldats
sont des gars qui n’ont pas eu de veine,
c’est les bat’af et nous voila.
Pour être joyeux, chose spéciale,
Il faut connaître Fresne ou Poissy,
Ou bien sortir d’une centrale,
C’est là d’ailleurs qu’on nous choisi
Mais qu’est ce que ça fout, on s’en fout, on s’en fout »
Refrain
« Sur la route, la grand’route,
Souviens toi les anciens l’ont faite sans doute,
de Murat à Albepierre,
d’Auzole à Laveissière,
sac au dos dans la poussière,
chantons disciplinaires »

Parfois aussi des feux de camp sont organisés. Le plus célèbre fut celui de la Saint-Jean 1941. Cette nuit là, à minuit précise, les disciplinaires d’Albepierre au sommet du plomb du Cantal, ceux d’Auzolle sur le rocher de Bredons et les jeunes du groupe de Murat sur les rochers de Bonnevie et de Chastel allumèrent leurs feux simultanément. Spectacle saisissant dans les monts d’Auvergne, à 1.800 mètres d’altitude, en pleine nuit, pendant le solstice de juin.

Un journal est édité. Il s’intitule « De là haut Camp des Arvernes ». Il est hebdomadaire et une quarantaine de numéros paraîtront à partir du 1er décembre 1940.
Sous la responsabilité du chef GALLIER, des équipes de football et de rugby sont constituées et des rencontres ont lieu avec des équipes des alentours (Molompize, Arpajon et Saint-Eugène d’Aurillac).

Divers événements émaillent la vie au camp. C’est ainsi que le 5 décembre 1940, le général de la PORTE du TEIL vient inspecter le groupement nouvellement crée. A cette occasion : feu de camp, défilé, remise de fanion. Le 19 janvier 1941 : libération du premier contingent. Cinq cent jeunes sont rendus à la vie civile, parmi eux beaucoup d’alsaciens lorrains. Une fête est organisée en leur honneur à la salle Saint-Jean à Murat. Au cours des mois de février et mars : arrivée des appelés du deuxième contingent de la classe 1940 (nés entre le 1/04.1920 et le 31.12.1920). Le 22 mars 1941 le 30ème bataillon de chasseurs de l’armée d’armistice vient avec sa fanfare rendre visite au camp 40. Le 1er mai 1941 : fête du travail et fête du Maréchal PETAIN : messe en plein air au camp d’Albepierre et l’après midi fête sportive au terrain municipal de Murat. Le samedi 10 mai : fête de Jeanne d’Arc à Saint-Flour et le 24 mai 1941, visite à Murat de M. LAMIRAND, ministre de la jeunesse.
Le vendredi 29 août 1941 : c’est le premier anniversaire de la Légion française des combattants ; grandiose manifestation place du Balat. Lors de la création des Comités locaux de la légion des combattants, le camp 40, avec sa fanfare, participe aux inaugurations dans diverses communes du Cézallier et de la Planèze.
A l’occasion de ces manifestations il n’était pas rare que quelques disciplinaires vident leurs querelles à coups de poings, voire de couteaux.
Le non respect des règles et la volonté de « se foutre de l’autorité » sont le dénominateur commun de ces jeunes disciplinaires, narquois, goguenards, rebelles et parfois violents

Et puis vient l’épopée de la résistance en Haute Auvergne. L’occupation de la zone sud par les troupes allemandes le 11 novembre 1942 pose un sérieux cas de conscience aux responsables des chantiers ainsi d’ailleurs qu’aux jeunes appelés. Depuis leur création, les chantiers de jeunesse font l’objet d’une surveillance attentive de la part des autorités d’occupation et sont pour elles un sujet de préoccupation.
Le 26 février 1943, la loi instituant le Service du Travail Obligatoire (STO) concerne, entre autre, les jeunes gens des chantiers de jeunesse dont le stage s’achève fin mars. Nombreux furent ceux qui dans les régions boisées et montagneuses du Cantal viennent renforcer ou constituer des groupes de résistance. Il faut les équiper en vêtements, chaussures, couvertures, sacs à dos ... A cet effet, en 1943, les maquisards organisent deux raids : l’un au magasin du groupement à Murat, l’autre à la Molède d’Albepierre, ce dernier avec la complicité d’un responsable du camp 40.
Fin décembre 1943, le gouvernement LAVAL met fin aux fonctions du général de la PORTE du TEIL qui est déporté en Allemagne et les allemands exigent la démobilisation des chantiers.
Le régime de Vichy agonise et se désagrège, et avec lui toutes les organisations qu’il a créées. Le groupement n°40 n’existe plus lors de la libération du territoire.

André MARTRES

Pin It