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ARRONDISSEMENT D’AURILLAC

ORIGINE d'AURILLAC.

L'origine de la ville d'Aurillac est incertaine, et il faut l'avouer entourée de mystères. Cette ville a-t-elle eu pour fondateurs les Antonins, ou le comte Géraud; en d'autres termes, date-t-elle de l'an 138 à l'an 180 de notre ère, ou seulement de la lin du ix« siècle? (-'est là une question grave, controversée et dont la solution approfondie ne serait point à sa place dans le cadre spécial qui nous est laissé. Sans étayer en conséquence notre opinion de preuves scientifiques, nous dirons cependant qu'il est probable que notre cité est réellement ancienne ; il nous semble même que les deux systèmes relatifs à l'époque de sa fondation, pourraient se rapprocher et s'entendre au moyen d'une simple distinction.

Si l'on remonte aux principes topographiques des grandes habitations , on s'apercevra que la position d'Aurillac, dans une vallée riante, sur un terroir fertile, tout près d'une rivière, est un des sites les plus avantageux de l'Arvernie supérieure ; ce site a donc dû être occupé dès les premiers temps par les Gaulois montagnards. Empressons-nous de dire que ce qui n'est qu'une probabilité pour l'époque celtique, acquiert plus de certitude pour l'époque latine.

En effet, plusieurs monuments romains ont été découverts à Aurillac ou dans ses environs. Indépendamment de ceux que l'indifférence ou l'ignorance de nos aïeux détruisirent sans les signaler, on peut citer entr'autres , un dépôt d'urnes cinéraires en verre, déterrées vers 1620 dans le faubourg Saint-Etienne, circonstance annonçant sur ce point , le séjour de personnes de condition éminente (I) ; le sacellum du puy Joli (Jocis), à Arpajon; le sépulcre en marbre blanc, de Conttantius nobilis, chef militaire que la légende fait mourir à la suite d'une bataille, livrée près de ce lieu (2); l'énorme quantité de statuettes et objets de toutes sortes, découverts depuis peu dans le môme bourg, aux portes de la ville; le columbarium de Fabrègues (3); la statue antique trouvée dans les jardins de…

(1) Histoire parénétique des trois saints protecteurs de la liante-Auvergne, par le P. Dominique du Jésus (Géraud Vigier). 1635, in-S". p. 770. —

Le P. Dominique, carme déchaux, était né à Aurillac le 4 octobre 1596, et mourut à Clermont en 1638.

(2) Le P. Dominique de Jésus, p. 709. — Ce tombeau était dans l'église d'Arpajon, et fut détruit dans les premières années du xvii" siècle.

(3) Ce columbarium a été découvert le 12 nivôse an x (4 janvier 1802) ; il était placé sur le bord de la Jordane, dans une des prairies qui se trouvent entre le martinet de Peyroles et le château de Fabrègues. Une crue d’eau le mit au jour. La forme du monument était circulaire, sa capacité intérieure mesurait trois mètres de diamètre à peu près, sur une élévation d'un mètre et demi. Il y avait à l'extérieur un mur de pierres sèches, revêtu de briques en dedans. — On y trouva une cinquantaine de petits vases de différentes proportions, et des figurines en terre cuite blanchâtre. Les vases, à l'exception d'un seul, paraissent d'un grés très-fin ; ils sont de couleur grise, sans anses, et avec des raies autour, de diverses couleurs. Un vase unique, rouge, très-grossier, ayant la forme étrusque, avait une anse et semble gaulois. - Les médailles étaient nombreuses, et partaient de César, jusqu'à l'empereur Set ère. Selon les vraisemblances, il y en avait de postéiieures, mais les ouvriers en vendirent frauduleusement un grand nombre, que leurs nouveaux propriétaires crurent devoir tenir cachées. J en possède trois. La première, a dans le ebamp, un empereur romain, porté sur un char traîné par quatre éléphaus ; avec cette inscription : Diio. Aug. vt$pVA au revers : Imp. Ccetar. div. vet. Aug. P. m. Tr. P. cos. VIII. Et au milieu, en grosses lettres : SX. — La seconde porte à la face: Imp.Cars. Domit. Aug. ; le reste fruste. Au revers : Augusli momta.— La troisième enfin, est un grand bronze, à dorure effacée, portant au chef: Imp. Casar. m. Did. Se ver m. Iulian. Aug. P. P. Et au revers, un char triomphal traîné par quatre chevaux courant, et au bas : Cos. II. S. C. — Il est important de mentionner que le toit de ce columbarium était sous le gazon cl se trouvait de niveau avec le sol de la prairie.

(I) Raulbac, discours sur les hommes de l'arrondissement d'Aurillac, qui dans les temps connus, se sont distingués, etc.. p. 47. Aurillac, Picut. 1829. —

(5) Saint Odnn, l ira sancli Oeraldi.

…l'abbaye, revêtue de l'inscription latine, Hercules (1) ; joignez-y les médaille* consulaires ou impériales existant par centaines, et dont chaque jour voit augmenter le nombre. De pareils vestiges constituent un recueil d'archives d'une incontestable authenticité, et accusent hautement l’existence, au temps des empereurs, d'un centre de population à Aurillac.

Traversons les âges; au IXe siècle, nous trouvons Aurillac décoré par saint Odon (2), du titre d’oppidum vel villa. Voilà un texte formel. Or, ce qui prouve que l'hagiographe disait vrai, et que cette localité présentait alors les ressources d'une cité, c'est que le père de saint Géraud, seigneur puissant du moyen-âge, habitait le château qu'il possédait dans cette ville; c'est qu'il y vivait avec Adeltrude sa femme, que cette dernière y Gt ses couches, et en 855 y donna le jour à saint Géraud. En outre, il est constaté qu'il y avait en ce temps quatre églises à Aurillac, et c'est précisément dans l'une d'elles, Saint-Clément, que fut inhumé le père même du saint. Toutes ces circonstances démontrent évidemment qu'Aurillac était au IXe siècle, non un simple château, mais existait, comme le dit saint Odon, à l'état d'oppidum, c'est-à-dire de ville fortifiée. Contester cela, cl vouloir absolument transformer Aurillac, qui fut la résidence habituelle du comte Géraud, en un petit bourg, composé simplement de quelques pauvres maisons, isolées sur le rocher de Saint-Etienne, ce serait méconnaître le rang de ce baron si opulent, ce serait lui dénier à la fois l'éclat de son nom , la grandeur de son titre, et jusqu'au prestige de sa colossale fortune.

Seulement, et c'est ici que se place la distinction à faire, nous pouvons regarder comme positif, qu'avant saint Géraud, Aurillac, quoique ville, n'avait qu'une médiocre importance. Enfoncée dans les montagnes, loin des foyers si rares de civilisation, dépourvue de chemins commodes, privée d'industrie, elle vivait sans prospérer et végétait sans grandir. Aussi nul ne parla d'elle. Il est donc juste de reconnaître que le séjour prolongé de saint Géraud dans sa cité native, les institutions municipales dont il sut la doter, et qui ne pouvaient s'appliquer qu'à un établissement déjà considérable, surtout la riche fondation qu'il y éleva, donnèrent à cette localité une extension importante. Avec saint Géraud, Aurillac commença un rôle actif; avec l'abbaye, son nom entra dans le domaine de l'histoire. C'est en ce sens que le monastère peut être envisagé comme l'acte de naissance de la ville, comme la médaille frappée le jour de l'origine de notre cité.

Et maintenant, qu'Aurillac date ou non de Marc-Aurèle, qu'il tire son nom d'Aurélian (Aureliac), ou de l'oreille d'un sanglier (Auricula) ou d'un lac d'or (Auri lacus), ou de sa position au bord de l'eau (Aor-lhac), c'est ce qu'il est impossible de dire et peut être oiseux de rechercher. A défaut de titres qui n'existent plus, ce point restera éternellement livré à l'imagination des étymologistes, toujours si émerveillés de courir à bride abattue dans les landes sans fin du pays des conjectures. Mais un fait important reste acquis ; c'est qu'Aurillac, ville ignorée et obscure en 898, devint dès le v siècle une cité illustre dans la science, et parvint depuis à un développement progressif qu'elle ne perdit que lors des guerres religieuses. Il y a donc eu deux villes : la tradition les a mêlées sans les confondre ; faisons comme elle, distinguons les mais ne les séparons pas. En agissant ainsi nous serons dans le vrai, et nous manifesterons en outre un sentiment patriotique. Car au total, pourquoi nous effraierions-nous de la filiation romaine, pourquoi irions-nous répudier une si glorieuse paternité?

La ville d'Aurillac est située sur la rive droite de la Jordane, a l'extrémité d'une vallée, entre deux éminences qui la bornent au levant et au nord-ouest. L'une de ces collines porte le nom de Bois-de-Lafage (f'agus, hêtre) ; l'autre, celui de Roc-Castanet. Au-dessous de la ville, la vallée s'élargit, et se perd dans la plaine d’Arpajon, immense bassin de prairies dominé par un horizon circulaire de coteaux et de forêts. Au nord, apparaissent les dentelures bleuâtres des montagnes du Cantal.

L'histoire monumentale d'Aurillac se divise en deux époques : celle antérieure à 1569, année de la prise de la ville par les huguenots, et celle qui suit. Nous allons raconter sommairement ce qu'était Aurillac alors, et ce qu'il est aujourd'hui.

AURILLAC AVANT 1569.

Aurillac (1) déclaré par saint Louis bonne ville, c'est-à dire ville close, ayant sa municipalité pour l'administrer, et sa milice pour la défendre, était, en 1509, entourée de hautes murailles. Quelques portions s'en distinguent encore aujourd’hui, noires et en débris, lambeaux déchirés comme notre histoire. — Cette ceinture de remparts se trouvait percée de six portes, dont voici les noms : 1° porte d'Aurinques, située à l'extrémité de la rue d'Aurinques, laquelle devait son nom aux argentiers qui y faisaient le commerce des paillettes d'or tirées de la Jordane, aurei qui que (2); 2° porte des Frères, parce qu'elle conduisait …

(1) Aurillac porte : De pourpre à 3coquilles d'argent, au chef d'azur, avec 3 fleurs de lys d'or sur une seule ligne. Les coquilles d'argent s'expliquent par les longs pèlerinages de saint Géraud qui alla sept fois à Rome. Les fleurs de lys sont la preuve de la protection incessante des rois de France : c'est sous Charles VII que nos consuls obtinrent la permission de les porter.

(2) La Jordanne charriait autrefois des paillettes d'or, dont le produit donnait à vivre à une certaine quantité d'orpailleurs qui les cherchaient dans le sable. — Voici comment la légende raconte l'origine de ces riches:es métallurgiques : — Il est peu de personnes qui ne connaissent l'histoire merveilleuse du pape Gerbert. On sait qu'aux yeux du peuple, qui ne pouvait expliquer tant de science et tant de prodigieuses découvertes, ce grand génie passa pour sorcier. Ainsi entr'autres contes, la tradition veut, qu'au moyen d'un talisman nommé Abacus (livre des nombres), ce prélat ait découvert n Borne, un palais d'argent, enfoui sous la statue d'airain qui était au Champ-de-Mars. — Or, un jour, pendant que le futur Sylvestre II. habitait encore l'abbaye de Saint-Géraud, il vint à Belliac, lieu de sa naissance, accompagné du doyen du monastère, qu'il voulait convertir au paganisme. Tous deux restèrent ensemble, plusieurs heures, dans la maison paternelle, discutant à haute voix et même se querellant. Enfin Gerbert. ne pouvant réussir par ses raisonnements, à perdre ce digne homme, lui demanda s'il voulait être témoin d'un miracle. Le doyen ayant dit. oui ; et qu'à cette condition il vendrait son âme, Gerbert le conduisit au bord de la rivière qui coulait non loin de là. Après avoir tracé d'innombrables cercles, et prononcé une foule de mots bizarres, le jeune nécromancien frappa tout-à-coup les ondes de la Jordanne, avec une baguette de coudrier, qui. au dire du doyen, paraissait enflammée. Soudain les eaux. de bleues et claires qu'elles étaient, se changèrent en flots d'or. De sorte que pendant un instant, l'or coula par larges nappes entre les deux rives, comme s'il se fût échappé en fusion d'une fournaise ardente. Le doyen épouvanté, se jeta à genoux, priant Dieu mentalement, et le charme cessa. Mais depuis ce temps la Jordanne a roulé des paillettes précieuses, et la ville en a pris le nom d'Aurillac. Qui veut dire lac doré.

Cette légende est curieuse, mais voilà tout. Cependant, peut-être a-t-elle le mérite d'indiquer que c'est au xc siècle seulement, qu'on commença à rechercher les parcelles d'or, et à en faire une industrie. — Cette industrie a cessé il y a environ quatre-vingts ans.

Voy. Lettres de Charles Vil, du 3 mai 1432. Archives de la ville d'Aurillac. — Brioude, Topographie médicale de la Haute-Auvergne, 2» éd. 1822, p. 52.

…de l'intérieur de la ville aux deux couvents des frères Cordeliers et Carmes, situés l'un et l'autre à quelques pas hors les murs; 3° de Saint-Marcel, à cause du voisinage d'une petite chapelle fort ancienne, dédiée à ce saint ; 4° des Fargues. eu égard aux planches et à la quantité de poutres ou madriers (fargues, terme usité encore dans la marine), qui défendaient son pont-levis; o° et 6° du Buis et de Saint-Etienne, parce qu'elles correspondaient toutes les deux, l'une au couvent, et l'autre au château-fort, qui portaient ces noms.

C'est par la porte Saint-Marcel, qu'on fit sauter au moyen d'un pétard posé dans l'intérieur, que dans la nuit du 6 septembre 1569, les protestants du Rouergue, du Quercy et du Limousin, commandés par les capitaines Laroque et Bessonières, entrèrent dans la ville. — Le traître qui avait introduit ces coreligionnaires, s'appelait Prantinhac. — Les habitants quoique surpris, combattirent néanmoins avec bravoure ; cent vingt d'entr'eux se firent tuer dans les rues.

Le chiffre exact de la population d'alors n'a jamais été parfaitement connu. Cette population cependant devait être assez considérable, puisque longtemps auparavant, Aurillac envoya deux cents hommes d'élite à Charles VII, pour l'aider à reconquérir son trône; puisque encore vers 1469, les consuls avaient pu conduire huit cents soldats devant le château de Cariât, contre le malheureux d’Armagnac, duc de Nemours, qui fut fait prisonnier. Il est en outre établi par documents authentiques , que des maladies contagieuses avaient enlevé dans Aurillac jusqu'à deux et même trois mille personnes en peu de temps. Ce n'est donc pas sortir des limites probables, que de supposer qu'à la fin du xvi* siècle, la ville contenait une population d'environ huit mille âmes. Dans cette population, entraient cent quarante familles de huguenots, faisant à peu près de six cent cinquante à sept cents individus.

La ville était divisée en trois quartiers, dans lesquels la police des nuits et des jours de solennité s'exerçait pas trois compagnies du guet. L'organisation du guet existait dans nos contrées avant 1280, puisqu'il en est parlé dans la transaction faite par Eustache de Beaumarchais, entre les consuls et l'abbé d'Aurillac (1). On avait compris depuis longtemps combien une garde civique est préférable à des troupes étrangères salariées. L'ordonnance du roi Jean, en date du 5 mars 1362, réglementa l'institution alors devenue générale, et l'organisa en guet marchant et guet assis. Aurillac adopta cette amélioration, qu'il appropria cependant pat quelques modifications, à l'état de ses besoins, de ses usages et de ses mœurs.

Son administration judiciaire se composait d'un bailliage. dont les phases sont diverses. — Dans les constitutions celtiques, le droit tenait essentiellement à la personne Ce droit fut respecté par la conquête franke, pendant laquelle chaque fraction de race, germaine, visigothe ou bourguignonne, eut la faculté de choisir sa loi. Cela dura jusqu'au IXe siècle; mais au Xe, tout était changé. Le régime féodal ayant parqué les hommes dans les domaines ruraux, la loi forcément, cessa d'être personnelle et devint territoriale. Cependant dès cette époque, une grande quantité d'abbayes ou de seigneuries, se mettaient pour plus de sûreté, sous la protection des rois, et obtenaient des lettres. Aurillac fut de ce nombre. Un gardien ou bailli leur était envoyé alors, pour faire respecter par sa présence, la sauvegarde royale. Ces personnages, obligés souvent de se poser en médiateurs entre les abbés, les suzerains et leurs vassaux, saisissaient la cour du roi d'une foule de causes, arrachées ainsi aux juridictions seigneuriales, et composèrent les premiers éléments des bailliages.

Sous les comtes d'Auvergne, Aurillac fut le siège du comté de son canton, siège occupé par les seigneurs de Cariât, qui formèrent de la leurs titres de comtes, tandis que leurs lieutenants, de la maison de Murât, tirèrent aussi de cette dignité leurs titres de vicomtes. Plus tard, dans le XIIIe siècle, quand les connétables eurent remplacé les comtes d’Auvergne, les baillis succédèrent aux connétables, et la Haute-Auvergne obtint deux lieutenants-généraux : un pour Aurillac, l'autre pour Saint-Flour. Les choses se trouvaient en cet état, lorsque les lettres du roi Jean, datées d'octobre 1360, érigèrent pour son fils le comté en duché d'Auvergne. Alors le bailli, de royal qu'il était, devint ducal, et comme notre ville, par ses franchises, échappait à la juridiction du duc, le lieutenant du bailliage prit sa résidence à Saint-Martin-Valmeroux. Aurillac n'ayant plus de justice, fut soumis provisoirement à la juridiction de Saint-Pierre-le-Moûtier (1366). Mais les bourgeois, la noblesse et le clergé se plaignirent à pleine poitrine, comme on se plaignait en ce temps, prétendant qu'ils n'entendaient pas plaider devant des tribunaux si éloignés. Alors on créa un bailli spécial des montagnes d’Auvergne, et Aurillac eut enfin en 1367, un lieutenant-général stationnaire dans ses murs. Le ressort de ce bailliage, qui malgré les protestations de l'abbé, devint permanent en 1372, s'étendait sur cent villes ou paroisses.

Il y avait encore un siège d'élection établi depuis 1452, mais qui ne devint élection en chef que sous Louis XIII, en 1629. C'était une juridiction qui connaissait, en premier ressort, des différends concernant les subsides, tailles, aides et…

(I) Celle transaction connue sous le nom de première paix, a été traduite par M. le baron Delzons, juge, et (orme un véritable code municipal (1280). Aurillac, Picat, 1841.

…autres impôts. Enfin on établit en 1561, un présidial, dont notre poète François Maynarddevint président en 1617. Ce tribunal comprenait les bailliages de Vie et de Saint-Flour.

Si de la ville judiciaire, nous passons à la cité architecturale, nous trouverons en première ligne de ses monuments, le monastère de Saint Géraud, établissement clos de murs comme une citadelle, et composé de l'église, du palais abbatial avec cloître, et d'une aumônerie. Commencé en 898, saint Géraud resta dix-sept ans à le faire construire, le mettant sous l'invocation de saint Pierre, prince des apôtres. Le jour de la consécration, il affranchit cent serfs, et leur donna, ainsi qu'aux habitants de la ville, un territoire libre, circonscrit entre quatre croix (1). Le comte Géraud, avait toutes ses terres allodiales, et ne relevait d'aucun suzerain. Aussi refusa-t-il constamment de se reconnaître vassal de personne, que du Saint-Siège à qui il légua ses biens. Le monastère dont le fossé profond entourait tout l'espace compris dans les rues du Collège (autrefois de la Pelleterie), des Fargues, du Buis et des Dames, ne ressortit donc directement que de la papauté, qui eut à protéger les concessions faites par le fondateur. Ces concessions, à l'époque même où les propriétés avaient été démembrées, furent évaluées par quelques chroniqueurs, jusqu'à deux cent mille livres de rente. Les papes acceptèrent le legs, et étendirent du fond du Vatican leur bras protecteur sur la riche église d'Auvergne, qu'ils nommèrent en toute occasion : « Notre monastère bienaimé. »

Saint Géraud avait appelé de Vabres, des moines bénédictins. Bientôt affluèrent tant d’étrangers, d’écoliers, de pèlerins, de pauvres, que le 5e abbé, Adralde, trouvant insuffisantes les dimensions de l'église, en éleva une nouvelle- L'édifice moderne dut être bien vaste, puisqu'il ne fut terminé qu'en 972, sous Géraud de St-Céré, le second précepteur de Gerbert. Je crois nécessaire de dire ici comment on s'y prit, et comment on agissait en général, pour exécuter les grandioses constructions du moyen-âge.

Selon l'importance du monument qui devait se bâtir, on envoyait des pèlerins dans les villages, les villes et jusque dans les diocèses environnants. Ces pèlerins rassemblaient les fidèles de toute profession, qui voulaient concourir à la sainte entreprise. Mettre la main à une œuvre pareille, était alors un titre d'honneur, comme plus tard le furent les croisades, comme les nobles actions le seront toujours. L'argent était offert aux pauvres, les indulgences aux coupables, les dignités au talent dont il fallait le plus souvent aiguillonner la modestie. Tous les auteurs qui ont écrit sur ces matières, sont unanimes pour raconter qu'on n'entreprenait jamais ces travaux, que dans les plus pieuses dispositions. Il est certain que l'on se confessait avant de partir, et que pendant toute la durée des constructions, la vie des travailleurs était rude et austère. Chacun remplissait son emploi, quel qu'il fût, sans fierté comme sans dédain. Pourquoi en eût-il été autrement, alors qu'on songe que le nom des maîtres, de même que celui des ouvriers, devait rester inconnu à tout jamais? C'est qu'en effet, les grandes œuvres du moyen-âge étaient essentiellement impersonnelles, et que les artistes qui les…

(I) Voici leurs positions : Le Croizet; — l'arbre de Saint-Giraud ; — le Vialin; — et Couissy.

…exécutaient, dédaignant la réputation de ce monde, ne travaillaient que pour le salut de leur âme et la gloire de Dieu. Aussi ce labeur, loin d'être une tâche ordinaire, devenait presque un acte de piété. En ce temps, il n'était pas rare de voir les sculpteurs exaltés par le jeûne, s'éprendre d'adoration pour le saint qu'ils taillaient dans le marbre, et suspendre religieusement leurs vœux, aux lèvres bénies de cette statue en prières, qui reconnaissante, devait intercéder pour eux dans le ciel.

Tout cela est vrai, tout cela devait être; et sans cette exaltation, nous serions encore à deviner le problème de ces sculptures si accomplies, ou de ces masses gigantesques, découpées, effilées, ciselées comme un morceau d'or.

Revenons à notre abbaye. Elle se réédifia sous le pontificat de Benoit VI, au moment ou florissait encore pour nous, l'architecture romane primaire. Cette architecture, dédaignant la forme des anciennes basiliques, se faisait hardiment réfractaire au passé. Depuis plusieurs siècles déjà, elle avait attaché à ses monuments un sens mystique qu'elle tenait à maintenir. Fortement croyante, sa pensée aima â reproduire en symboles, tous les graves mystères de la religion, et se plut à écrire une bible entière avec les pierres d'une cathédrale. Aussi chaque partie du temple avait un sens. Les archéologues pensent que la forme en croix racontait le crucifiement. Selon eux, l'abside rappelle le point où le Christ a reposé la tête ; les ailes ou transepts, figurent la place des bras; tandis que les chapelles entourant le chevet, sont l'image des épines de sa couronne.

Les fenêtres longues et étroites, suivirent un nombre fixé ; tantôt sept, à cause des jours de la création, tantôt douze, en mémoire des apôtres. Les trois portes indiquaient la sainte Trinité. Ce n'est pas tout, d'après la tradition orientale, on revêtait de couleurs les murailles intérieures : de cette manière chaque partie de l'église était distinguée par sa nuance, bleue, rouge, ou verte. Ces couleurs, représentant par emblèmes, le ciel, le feu, la terre, étaient héraldiques et sacrées par excellence; nul n'eût osé les intervertir ni les changer.

Voilà sans doute d'après quel système hiératique fut élevé cet édifice, que le pape Urbain II, à son retour de Clermont, où il avait prêché la première croisade, vint consacrer de nouveau. Une bulle, datée d'avril 1096, et adressée à Pierre de Cizières 14e abbé, constate ce souvenir précieux pour Aurillac. Des titres locaux nous apprennent encore (1), qu'au commencement du xii" siècle, Pierre de Roquenatou, 15e abbé, faisait accomplir au monastère, des travaux de reconstruction et d'embellissement. Ses soins se portèrent d'abord sur l'aumônerie, qui fut avancée vers la rivière, non loin de la source, nommée de nos jours encore, la Fontaine de l'Aumône. Avant lui, le cloître n'était que de bois, il le fit supporter dans toute son étendue, par des colonnes de granit aux chapiteaux ouvragés. C'est au môme abbé, que l'on devait le fronton du portail de l'église, représentant l'histoire du jugement dernier, ainsi que les deux belles cuves en serpentine, dont une existe toujours ; celte vasque, quoi qu'on en dise, est un produit du moyen-âge (2), et n'a de l'antiquité latine, que le style pur et le noble goût.

(1) Voyez Brève chronicon, dans les Analecta de Mabillon; vol. 2, p. 237

(2) Voyez Brève chronicon, etc., etc. id. id.

Il ne faut pas s'étonner de ce luxe d'architecture, car indépendamment du redoublement de foi religieuse, qu'avait excitée l'année millénaire écoulée, le couvent en outre, riche comme on l'a vu, fut un objet de prédilection pour beaucoup de monarques. Ainsi, d'un côté, les papes faisant de ce sanctuaire un lieu particulier de sauvegarde, avaient placé les religieux hors de la sphère de l'évêque diocésain ; tandis que de l'autre, les rois de France affranchirent les habitants d'Aurillac de toute charge, et les maintinrent en dehors de toute juridiction temporelle. La cité devait donc prospérer soutenue par des mains si fortes, qui la mettait à couvert de tout mal, et la poussaient à toute grandeur.

L'abbé prenait le titre de comte d'Aurillac ; il avait droit de justice dans la ville et la banlieue. Il nommait dans divers diocèses & une foule de bénéfices qui allaient jusqu'à la cure de Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne. Rien d'un évêque ne pouvait lui faire envie, que la crosse et la mitre. Or, le 35e abbé obtint ces insignes en 1402 (1). — Telle était l'abbaye. Toutefois, la discipline intérieure s'y étant relâchée au xvi" siècle, le souverain pontife Pie IV (medichino de Milan, oncle de Saint-Ch. Borromée), sur la plainte des consuls, et l'enquête qui s'en suivit, venait de séculariser le monastère, le 13 mai 1561.

Venait en seconde ligne le couvent des Cordeliers. — Personne n'ignore que les Cordeliers ou Frères mineurs, appartenaient à l'ordre de Saint-François-d ‘Assises. Ils furent institués vers 1209, et s'établirent en Fiance en 1216. Cet ordre, approuvé par le 4econcile de Latran, est au nombre des ordres mendiants. Les cordeliers devaient ce nom, à la corde nouée de trois nœuds qui ceignait leurs reins. Dans le principe, ils s'appelèrent Pauvres Mineurs (2) ; on les nomme aussi Franciscains, du nom de leur fondateur. Notre couvent, un des plus anciens de France, fut fondé par un seigneur de Conros, et situé au faubourg, au milieu de grasses prairies. Nos titres ne font remonter ce fait qu'à 1322 ; selon nous cependant il doit être antérieur, puisqu'il parait certain que saint Antoine-de-Padoue, mort en 1231, avait prêché dans ce couvent. Il faut donc s'arrêter, je crois, à ceci : que l'établissement fondé en 1225 ou 1230, n'eut d'abord qu'une origine obscure, et se contenta pendant longtemps de constructions sans importance ; tandis que la donation du seigneur de Conros, mit à même les cordeliers d'élever en 1322, la belle église que les protestants renversèrent. — L'architecture de ce monument, quoique du xiv siècle, appartenait au style byzantin, c'est-à-dire à l'architecture romane, mais mise en contact avec le goût gracieux des Grecs du bas-empire, et modifiée par leur génie. Celte forme se trouvait depuis longtemps populaire dans

(\) Je possède un sceau en cuivre des abbés d'Aurillac. Il représente un dais gothique sous lequel deux génies soutiennent l'écusson de saint Géraud. Un peu plus bas, un ange aux ailes déployées, entoure de ses bras les armoiries des d'Armagnac, que surmonte une crosse dentelée. Lu cierge allumé brûle de chaque côté. Tout autour se lit l'inscription suivante : Sigillum Joannis deArmanhaco pro ejus curia abbatiali Aureliaci. Ce sceau, qui date de 1465, et qui appartenait au 38* abbé, est unique. Il a dix huit centimètres de circonférence. On s'en servait au moyen d'un anneau plat et outré, qui. lorsqu'il n'est plus soutenu, se penche à droite, en roulant sur sa charnière. — L'écusson de l'abbaye de Sainl-Géraud est sans pareil dans le royaume; il est mi-partie d'or à l'engrêlure de sinople en chef, et de sinople à l'engrêlure d'or tout autour.

(2) Le sceau des Cordeliers qui est dans ma collection, représente un cordelier à genoux devant saint François; il a pour légende : Sigillum fratris Joannis Astorgii ordinis minorum.

la basse-Auvergne : et les églises do N.-Dame-du-Port, de Clermont, de Saint-Nectaire et d'Issoire, en étaient les types les plus complets (1).

Non loin des Cordeliers et au -dessous d’eux, à l'endroit où est aujourd'hui l'enclos de Sainte-Claire, s'élevait le couvent des Carmes, fondé par Guy de Gagnac en 1301. Chaque nouveau prieur, avant son installation, devait venir prêter serment entre les mains des consuls. Dans les processions et les solennités, soit civiles soit religieuses, les Carmes ne venaient qu'après les Cordeliers, qui avaient le pas sur eux. En voici la raison : Lorsqu’en 1564, Aurillac fut affligé de la peste, les Carmes effrayés, abandonnèrent précipitamment leur couvent, pour se réfugier dans les campagnes. Les Cordeliers au contraire, moins peureux et plus dévoués, restèrent fermes dans la ville, secourant les malades et les consolant. Les consuls délibérèrent sur le cas, et pensèrent qu'un ministre du Seigneur, qui lors d'une calamité publique s'éloigne du danger, est un soldat sans cœur qui déserte devant l'ennemi. Les Carmes fuient donc placés les derniers dans les cérémonies extérieures, et la punition devint ainsi publique comme l'avait été la faute.

Il existait autrefois un grand nombre d'églises à Aurillac. La bulle consistoriale de .Nicolas IV, qui est à la date probable de 1290, en désigne sept. Dans le XVIe siècle, on ne comptait plus cependant que deux paroisses. La plus ancienne était celle de Saint-Clément, primitivement bâtie par les père et mère de saint Géraud, et où tous deux furent inhumés. La seconde et la plus favorisée, s'appelait Sainte-Marie, vulgairement connue sous le nom de Notre-Dame-aux-Neiges (2), située sur l'emplacement actuel de l'hôtel de ville. Cette paroisse possédait des rentes considérables, car soixante ecclésiastiques, qui vivaient en communauté, jouissaient chacun d'un revenu de trois cents livres. Les prêtres, pour y être reçus, devaient être nés et baptisés à Aurillac. I n 1335, une bulle du pape Clément VI (Roger de Beaufort, 4" pape d'Avignon), autorisa cette communauté à nommer des syndics, avoir un scel et des archives (3).

(1) Voyez page 9 verso et suiv.

(2) Le Tait miraculeux qui a donné lieu à l'adoration de la vierge, tous le vocable de Notre-Dame-aux-Neiges, n'est point un événement local ainsi qui beaucoup de personnes l'ont cru, ou le croient encore. Ce miracle s'est passé à Rome dans le iv« siècle; voici dans quelles circonstances. — Le patrice Jean, n'ayant point d'enfants, avait fait vœu d'élever une église à la mère du Seigneur. Tous les jours il priait la vierge de lui révéler son intention sur le point où l'église devait être placée, lorsque aux noues 'l'août, la neige couvrit pendant la nuit une partie du mont Esquilin. En même temps la vierge apparut à la Fuis à Jean et au pape Libère, leur montrant du doigt, cette place que la neige avait blanchie. Le pontife et Jean s'y portèrent le lendemain, et fixèrent solennellement l'emplacement de la nouvelle basilique. Elle tut dédiée à Marie, et s'appela d'abord : sancta Maria ad nives. Mais comme elle se trouvait le plus grand de tous les sanctuaires qui étaient consacrés à la Vierge, on la nomma plus tard Sainte-Marie-Majeure ou Basilique Libérienne, du nom du pape, sous le pontificat duquel, Jean l'avait construite. — Celte église, l'une des plus belles de Rome, possède les admirables colonnes de marbre blanc, provenant du temple antique de Junon Ësquiline. C'est a dorer son plafond que fut employé le premier or, venu d'Amérique, et envoyé par l'Espagne. C'est la que sont les deux chapelles si célèbres du Saint Sacrement et de la famille Borghèse; on y conserve le berceau de J.-C. et les langes de la crèche.

(3) Notre-Dame-aux-Neiges, église paroissiale d'Aurillac, portait d'azur, au cierge flambant d'or en pal, percé en barre d'une épée. Le sceau que je possède, est peu ancien, niais parait être la reproduction exacte d'un cachet plus vieux. Il représente une vierge debout, adorée par deux anges, aux ailes déployées. La légende porte : Sigillum eclege (sic) parrochial beatee Mariœ Aureliaci. Au-dessous des anges, s« trouve l'écusson que nous venons de décrire.

A celle époque, l'église avait été reconstruite depuis peu ; elle appartenait par conséquent à la période ogivale. Effectivement, l'ogive après s’être mirée pieusement dansiez flots du Rhin, après s'être reposée dans les vallées de la Normandie, entrait alors en Auvergne, cl devenait là, comme partout, la base régénératrice de toute l'architecture sacrée (1). L'édifice de Notre-Dame, bien que maltraité parles calvinistes en 13G9, ne fut pourtant pas renversé. Des réparations ultérieures le consolidèrent, et ce n'est qu'en 1791, qu'il disparut. Son entrée principale faisait face à la rue de la Marinie. De ce point, un clocher formant porche, conduisait au grand portail, placé entre deux baies plus étroites. C'était à coté de celle de gauche, que se trouvait la niche dans laquelle était vénérée une statue de Saint-Jacques-de Compostelle. Tous les ans, une procession générale, portait en grande pompe aux pieds du saint, un oignon béni, emblème sans doute des austérités qu'observaient dans leur long voyage, les pèlerins qui allaient en Galice (2). Ce temple spacieux avait trois nefs; on y pénétrait latéralement par deux issues, qui ouvraient, la première au nord, non loin de la Placette; la seconde à l'est, au bout de la rue du Crucifix, ainsi nommée du grand christ, placé près delà porte. Selon l'usage, plusieurs échoppes entouraient l'église : on y vendait des bagues, des chapelets, des livres de dévotion, ou quelques menues merceries.

Puis venait la maison consulaire, somptueusement bâtie, et d'un caractère monumental remarquable. — Dans le principe, il n'y eut d'architectes que pour les églises; mais les lumières s'éparpillant, le monopole de l'art maçonnique échappa aux mains des prêtres, et l'architecture de purement sacerdotale qu'elle était d'abord, devint nationale, et s'appliqua aux monuments séculiers.

Deux hospices, l'un extrêmement ancien, était situé rue des Dames, non loin du monastère. Le second, provenant de fondations particulières, offrait beaucoup plus de ressources, car il en réunissait deux. Voici comment. Le premier, Guillaume d'Auvergne, de la maison de Conros, 78e évêque de Paris, en 1 228, éleva vers le milieu du XIIIe siècle, l'hôpital qui porta le nom de la Trinité. Il se trouvait placé hors la porte des Frères. — Après lui, Guillaume Beauféti, né au château d’Ytrac, près d'Aurillac, fonda dans l'année 1519, un nouvel hospice rue du faubourg du Buis, sous l'invocation de saint Jean. Ce Beauféti fut à la fois prêtre et médecin de Philippe-le-Bel, car l'étude de la médecine était alors propre aux ecclésiastiques. Un talent élevé sommeillait en lui; ^a lecture incessante de l'Ecriture le réveilla. Il se rendit si habile dans la science biblique, des conciles et des Pères, que d'un rang assez obscur, celte intelligence d'élite monta en 1304 au siège épiscopal de Paris. C'est chose singulière qu'à un intervalle si rapproché, deux Guillaume d'Auvergne devenus évêques de la capitale du royaume, se soient entendus presque, pour fonder tous les deux un hospice à Aurillac. Beauféti, du reste, en faisant ainsi, acquitta une dette de reconnaissance. Il ne voulut pas oublier que les consuls d'Aurillac, sur sa demande, lui avaient prêté deux mille livres (3) nécessaires aux frais coûteux de son instal…

(2) Voy. p. V, verso.

(3) Voyez sur les Pèlerinages d'Aurillac en Espagne, les p. 32 verso cl 33. (I) 65,000 francs environ de noire monnaie actuelle.

…lation. Ces deux hospices dont nous venons de parler, furent réunis en 1373, par une bulle du pape Grégoire XI. On abandonna les anciens bâtiments, et le nouvel établissement, transporté rue Saint-Jacques, s'appela l'Hôpital de la Trinité et du Saint-Esprit.

Aurillac possédait encore un collège qui devait son origine à une action généreuse. Commencé en 1548 à la suite d'une donation, il fut placé sur le terrain de l'hôtel ruiné du commandeur de Cariât. Les matériaux provenant de cette démolition servirent à le bâtir.

Enfin, en dehors de la ville, sur la pente ombreuse d'une colline qui regarde le couchant, s'élevait le couvent des religieuses du Buis (ainsi nommé des arbres ou bois qui l'environnaient). Fondée par saint Géraud, ou du moins par les premiers abbés du monastère, cette abbaye fut soumise à la règle de Saint-Benoit, et ne tarda pas à devenir royale. Elle avait été construite originairement dans 1 intérieur des remparts, au milieu d'une rue appelée encore de leur nom, rue des Dames. Le couvent resta là jusqu'à H 61, époque où le pape Alexandre III, l'ayant pris sous sa protection, fit mettre à exécution le changement projeté depuis longtemps. —Celte position du Buis est magnifique; la vue embrasse au midi le riche cercle des prairies d'Arpajon, plane sur toute la ville, et s'étend au nord jusqu'aux vertes montagnes qui bordent l'horizon. Une forêt entourait alors le bâtiment dont les murs de clôture allaient tremper silencieusement leur pied dans l'eau de la rivière. On était bien recueilli dans cet asile, nul bruit ne s'y faisait entendre, car la respiration de la cité ne montait pas même jusque-là. Parlez-moi des régions élevées pour bannir les passions terrestres, et faire subsister la partie céleste de l'homme, celle qui pense, et qui prie.

Voilà quelle était notre ville, lorsque les protestants, le cœur ulcéré de vengeance, parvinrent à s'en emparer. Il faut dire que leur haine avait une cause légitime, car Louis de Brezons, lieutenant-général de la Haute-Auvergne en 1561, avait été pour leurs coreligionnaires, pis qu'un démon exterminateur. Lorsque ce capitaine, au caractère de fer, et dont l'esprit représentait exactement la rouille qui s'attache à ce métal, entra dans Aurillac, huit personnes pacifiques moururent égorgées sous le plus futile prétexte, quelques maisons de huguenots furent pillées, et leurs femmes violées. Aussi l'historien de Thou, racontant ces actes cruels, applique-t-il sur les épaules de ce catholique, ardent jusqu'au fanatisme, les coups de fouet de son indignation. Brezons ne permettait pas même aux réformés de célébrer leur culte en commun. Un jour il fit massacrer sans pitié plusieurs d'entr'eux qui se rassemblaient inoffensivement hors de la porte St-Marcel. Tant de plaintes s'élevèrent en même temps, que Charles IX le déposa de sa charge de gouverneur. .

Les calvinistes avaient donc en entrant dans Aurillac, de dures représailles à exercer. Aussi lorsque le 6 septembre 1569, ils se trouvèrent maitres de ceux qu'ils appelaient leurs bouchers, ils agirent comme des insensés, souillant partout la flamme de leur colère, et se vengeant sur les hommes comme sur les monuments.

D'abord ils détruisirent le monastère de Saint-Géraud, d'où ils pensaient qu'étaient partis les ordres les plus impitoyables. Un titre que j'ai vu, laisse supposer cependant que le monastère ne fut démoli que plus tard, en 1370, au moment de l'arrivé de Lamire. Cela me parait une erreur, (.ors du saccageaient général, qui eut lieu après la prise d'assaut, le monastère n'avait aucun motif pour être épargné, et rien n'expliquerait cette inexpliquable indulgence portant sur un seul objet. La venue de Lamire fut, cela est vrai, le signal de nouvelles rigueurs contre les personnes, motivées par la découverte du prétendu complot de Fortet et autres catholiques, mais voilà tout. Il est donc probable que c'est en 1569. que les vainqueurs renversèrent le palais abbatial, l'église et l'aumônerie : tous trois tombèrent pareils à ces souverains d'Orient qui s'ensevelissent avec leurs trésors.

Cela fait, les réformés coururent aux couvents des Cordeliers et des Carmes, et ces édifices disparurent massacrés comme des hommes. Ce fut ensuite le tour de l'abbaye du Buis et de la maison consulaire. La vengeance générale une fois accomplie, on en vint à la haine privée ; un certain nombre d'habitations appartenant à des magistrats courageux, furent traînées aux gémonies avec le cadavre de leurs maîtres. Enfin, comme si la rage ne s'épuisait pas, on renversa jusqu'aux hôpitaux. C'est là un acte impie que je n'ai jamais pu comprendre, et pour lequel il n'y a pas de pardon. Car la nouvelle religion comme l'ancienne, sanctifiait la souffrance; elle prescrivait à chaque homme de soulager son frère, et promettait aussi le ciel en échange d'un verre d'eau !

La dévastation des monuments ne fut qu'une portion du ravage; dans l'esprit des huguenots ce n'était que la moitié de l'œuvre. Comme le catholicisme tirait sa force des traditions du passé, et qu'il eût été dangereux de conserver l'histoire de toutes les civilisations successives qu'il avait ou produites ou traversées, il fallait d'une même secousse, briser à jamais la chaîne des temps. Alors on se rua sur les titres, les papiers, les livres, la vie morale d'un peuple. En face de la communauté, aujourd'hui place d'armes (seule église dégradée, mais laissée debout), furent brûlées toutes les archives provenant soit de la ville, soit des établissements religieux. De sorte que les soldats purent jeter au vent avec cette cendre précieuse, tout un monde inconnu de faits, qui dormaient depuis des siècles sur ces couches de parchemin. Ainsi se sont anéanties nos chroniques : de ce jour existe pour notre pays la double et désolante lacune de l'histoire et de l'art.

Revenons un peu sur nos pas, avançons comme nous pourrons au milieu de tant de ruines, et procédons de notre mieux à cet inventaire de malheur.

Le pape Etienne VI (896), pour récompenser la piété de saint Géraud, lui avait offert des reliques, dont quelques-unes remontant à une antiquité reculée, constituaient, indépendamment de leur caractère religieux, de véritables objets archéologiques. De ce nombre était un calice de verre, dans lequel saint Pierre consacrait, assure-t-on, en disant sa messe. En effet, la science nous apprend, que les premiers pontifes se servaient de vases de verre pour faire le sacrifice non sanglant.

La mère d'Adroalde, 8e abbé, donna à l'église une statue d or de saint Géraud ; file enrichit en outre la chapelle du comte d'un devant d'autel d'argent, rehaussé de pierres précieuses, et où était sculptée toute la passion.

Adralde lui-même employa la grande fortune que lui laissa sa mère, à l'embellissement du monastère. Une comtesse de Narbonne, étant venue le visiter en ce temps, laissa pour offrande un calice de cristal de roche, si beau, qu'un moine enthousiaste prétendait que c'était un miracle.

Le 23e abbé, Géraud de Cardaillac, renferma les ossements de saint Géraud dans une chasse d'argent.

Les chapelles de l'église et ses bas-côtés étaient ornés des tombeaux des abbés ; le couvent possédait en outre de nombreux reliquaires, des tableaux et des statues. Tout cela serait aujourd'hui sans prix, à cause de l'enfance et de la naïveté des règles esthétiques qui avaient présidé à la confection de ces œuvres. Il est certain que l'art antique, malgré son beau idéal, n'avait pu suffire à la mythologie sacrée du catholicisme : celui-ci réagit alors et créa le beau céleste. C'est donc à la religion chrétienne que l'on doit les types gracieux d'un Enfant sauveur, des anges, de la Vierge ; comme aussi ces créations savantes des saints, des prophètes, des martyrs, au visage plein d'une souffrance immense et pourtant résignée. Dans le moyen âge, chaque basilique se remplissait de ces marbres animés.

Ce n'est pas tout, l'abbaye d'Aurillac cultivait la science avec succès, parce qu'elle l'aimait avec passion. Gerbert, qui portant impatiemment le fardeau de ses projets, en était sorti vers 96C, pour aller commencer cette existence d'action et de pensée qui le fit monter à la chaire de Saint-Pierre ; Gerbert avait envoyé à ses maîtres d'Aurillac, de nombreux manuscrits. Les auteurs citent entr'autres, la collection des grammairiens, les productions de saint Augustin, de saint Jérôme et de saint Ambroise. Quoiqu'on ne parle point des ouvrages littéraires, ils ne durent cependant pas être oubliés, par un homme qui avait nourri sa studieuse jeunesse des sucs les plus purs de l'antiquité. Toutes ces richesses furent anéanties.

Tel est en abrégé, le procès-verbal désespérant de nos pertes. C'est aussi que disparurent tous les monuments de la ville avec le magnifique mobilier qu'ils contenaient. Pendant onze mois, Aurillac fut livré sieds et poings liés à des vainqueurs implacables, qui accomplirent sans pitié sur lui leur office de bourreau. Quand ils s'en allèrent en 1570, lors de l'édit de Longjumeau, plus de quatre cents citoyens avaient péri. — Après le départ des protestants, on s'occupa à secourir la ville, tombée de même qu'un corps sans vie. On releva bien ce cadavre, mais on n'a pu le ressusciter.

AURILLAC ACTUEL. (1853 NDLR)

Le plus ancien édifice d'Aurillac, est aujourd'hui la tour du château de Saint-Étienne. Cette tour carrée, appartenant à des âges successifs, porte la trace de trois constructions différentes. Ainsi, dans la partie inférieure, on peut reconnaître les restes du monument primitif, pris et abattu par les bourgeois de la ville, en guerre alors avec Bertrand, 24e abbé (1235). Les étages qui viennent ensuite, ont le caractère du XII° siècle, époque où ils furent rebâtis, après que la révolte des habitants d'Aurillac eut été calmée. Enfin le sommet de la tour semble avoir encore une origine plus récente, et se rapporter à la fin des guerres religieuses. Ce château de Saint-Étienne, habitation des aïeux de saint Géraud, soutint jadis quelques sièges, et, ainsi que nous venons de le dire, a été saccagé plusieurs fois. Les bâtiments actuels, d'une date relativement moderne, ont servi de résidence, jusqu'en 1789, à l'abbé d'Aurillac. Ils sont occupés en ce moment par l'école 9* Livraison. 23

normale , dont la chapelle élégante possède un tableau d'Achille Dévéria, représentant Zacharie saint Joseph et saint Jean , en adoration devant l’Enfant-Jésus (1). Tout le monde a déploré en 1828, la destruction de l'église gothique, placée sur le rocher C'était avant la Révolution, une paroisse sous l'invocation de Saint-Etienne.

L'église de Saint-Géraud (ancienne abbaye), réédifiée au commencement du XVII°siècle, ne fut terminée qu'en 1643, sous Monseigneur Charles de Noailles, évêque de Saint-Flour et abbé d'Aurillac. Elle appartient au style ogivique dans sa complète décadence, et n'offre qu'une ornementation flamboyante, d'ailleurs sévère et nue, mais qui par cela même ne manque ni de hardiesse, ni d'une certaine grandeur. Les nervures prismatiques de la voûte, au lieu de s'appuyer sur des chapiteaux, viennent se fondre dans les piliers. Deux chapelles seules, celle de Saint-Géraud, où l'on remarque d'antiques colonnes engagées dans les murs latéraux, et celle du Sacré-Cœur, dont la voûte présente un système d'arrêtés d'un dessin compliqué, sont tout ce qui reste du monument primitif. L'église est inachevée : elle manque de nef et n'a plus de clocher. Sa forme est celle d'une croix. L'autel s'élève au milieu du transepts. qu'ornent de belles croisées aux meneaux amincis, tandis qu'autour du chevet, viennent s'étager circulairement quatre chapelles, figurant une abside rayonnante. Cette partie architecturale me parait très-curieuse, car le cachet auvergnat s'y montre nettement imprimé. Un mur provisoire, dans lequel se trouve percé le grand portail, ferme la basilique du côté de l'ouest. — L'abbaye possède de magnifiques orgues, un baldaquin provenant des anciens carmes, et plusieurs livres de lutrin, précieux manuscrits, exécutés par les frères Combes. Parmi ses tableaux nous citerons, un saint François-Xavier mourant, et une déposition dé croix.

Le saint François-Xavier, est représenté couché sur une peau, au bord de la mer, et abrité à peine par quelques branches noircies, formant toit au-dessus de sa tête. Il serre ardemment un crucifix contre son cœur, et expire en regardant le ciel, ou apparaissent deux petits anges radieux et souriants.

Cette peinture, chaude de couleur, est généralement attribuée à Zurbaran (1598-1662). On y signale, comme dans presque tous ses cadres, l'emploi do….

(I) Au devant d'un péristyle d'ordre corinthien, l’enfant Jésus repose endormi. La Vierge, appuyée sur un de ses genoux, soulève doucement le linge qui le couvre, et l'enfant apparaît dans tout le charme de son sommeil. A gauche, Zacharie prosterné et les bras en croix, se lient en adoration. Saint-Joseph, penché, relient par une lange, le petit saint Jean-Baptiste qui, les mains jointes, voudrait marcher vers Jésus. — Celte toile pèche d'abord par la couleur locale. Ainsi, pour parler des personnages, on cherche en vain chez eux le type juif, c'est-à dire ces figures inspirées, à l'ail de feu, au galbe saillant, aux lèvres prophétiques. C'est encore pis pour le paysage : où donc est la Syrie, et sa verdure brûlée, et son ciel dévorant? Où sont les collines de Sion avec leurs transparentes vapeurs? Sentez-vous quelque part le parfum acide des feuilles du palmier? Non : tout cela est manqué. — L'œuvre pèche ensuite par le sentiment religieux ; car la Vierge n'a qu'une expression de beauté profane. L’artiste. au lieu de la draper d'un costume de fantaisie, eût mieux fait de jeter sur elle ce vêtement céleste d'innocence et de pudeur, dont l'enveloppaient chastement les peintres d'autrefois. Trois anges, peints avec une suave facilité, font regretter l'absence de celte candeur divine, de cette séraphique onction qui fait l'ange : on pourrait les prendre pour un groupe d'amours empruntés à Boucher. Somme toute, on se plaît devant ce tableau, mais on ne s'y recueille pas; il ne peut rien vous inspirer de pieux, parce qu'il n'a malheureusement lui-même ni piété ni croyance. — Cependant il est juste de reconnaître que les qualités sérieuses et techniques de cette composition, en font un ouvrage d'un intérêt extrême, et que le nom de l'auteur y ajoute un très-grand prix.

…minant des teintes bleuâtres, et la vigueur du clair-obscur. Ce peintre appartenait à l'école de Séville, dans son dernier épanouissement, c'est-à-dire au moment où affranchi de l'imitation des Italiens, l'art espagnol rajeuni, renaissait à sa verdeur native, à son originalité savoureuse, et produisait à la fois Vélasquez et Murillo. — Zurbaran, dont les œuvres sont toujours graves, adopta de préférence des sujets exigeant peu de personnages. Nul mieux que lui, n'excellait à rendre les rigueurs de la vie ascétique et ses aspirations sacrées. Tous ses saints sont usés par la méditation, ou dévastés par les jeûnes : mais do ces têtes pâles, de ces visages amaigris, jaillissent comme des flammes, tantôt l'amour de la souffrance, tantôt les joies austères de la mort. Notre saint Xavier est ainsi ; il rend son âme avec bonheur et sourit aux anges qui vont la porter devant Dieu. Suivant une habitude qui était particulière à l'artiste espagnol, les premiers plans sont complètement finis, et l'on peut admirer les mains et les pieds du mourant, traités avec un soin minutieux et la plus excessive délicatesse. — Ce tableau provient de l'église du Collège. Les jésuites (1) se l'étaient procuré au moyen des relations nombreuses que l'émigration auvergnate leur donnait en Espagne ; il n'est guère antérieur à 1660.

La Déposition de Croix, est une belle toile moderne, de Van-den-Berghe, exposée au salon de 1839, et donnée par le Gouvernement. Elle contient seulement quatre personnages : le corps du Christ posé à terre, la sainte Vierge qui soutient sa tête, sainte Madeleine qui pleure et embrasse un de ses bras, et l'apôtre saint Jean, debout, se penchant lentement, courbé par la douleur.

Comme composition, cette scène douloureuse me parait bien sentie, et le dessin en est pur. Comme couleur, une pluie de rayons tombe d'en haut, à la manière de Rembrandt dont c'est peut-être un souvenir. Cette lumière perce l'obscurité, touche le front de saint Jean, glisse sur ses mains chaudement éclairées, et va inonder le corps du Sauveur. Malheureusement, et voila le défaut suprême : le Christ n'est pas mort. En effet, ni sa pose beaucoup trop académique, ni la pâleur des chairs, qui ont conservé les tons calmes et rosés de la vie, rien n'indique qu'on se trouve en présence d'un cadavre inanimé. S'il n'était la trace des clous, aux mains et aux pieds, s'il n'était la saignante blessure du côté gauche, on croirait voir simplement quelque jeune homme évanoui. — Il faut visiter, une fois au moins, les amphithéâtres, pour bien se figurer ce que c'est que la mort. Un cadavre, quelque beau qu'il soit, n'est qu'une chose étrange et hideuse, car avec l'âme et la vie ont disparu les caractères essentiels des formes. L'homme devient alors une masse, dont chaque membre, privé de ses organes, n'obéit plus qu'à la loi inerte de la pesanteur. Aussi, selon la surface, saillante ou creuse, sur laquelle ce corps se trouve placé, il se contourne ou s'enfonce. La tête d'un mort qui héla ! se laisse aller avec tant de lourdeur, ici, dans le tableau dont nous parlons, se soutient presque d'elle-même. Cependant après son trépas, et tant que ses restes mortels demeurèrent sur cette terre, le Christ, quoique Dieu, resta soumis à toutes les lois physiques de l'humanité. Et c'est ce qui faisait dire au vieux Michel-Ange, en contemplant la descente de croix de Daniel…

(I) Les jésuites ont tenu le collège d'Aurillac partir de 1G20. —

…de Volterre, qui se trouve à Rome, dans l'église de la Trinité-du-Mont : « Ah ! parlez-moi de ce corps, au moins il tombe comme un cadavre. » Ce défaut, je le répète, me semble capital, dans l'œuvre de M. Van-den-Berghe, mais il est racheté par de grandes beautés de forme et de raccourcis. — Je recommande, à la voûte de la chapelle de Saint-Géraud, sept médaillons peints à fresque, et représentant plusieurs actes de la vie du saint. Ces peintures, bien que dégradées, sont du XVIIe siècle, et présentent un certain intérêt archéologique et légendaire.

En sortant de l'église, il faut s'arrêter sur la place du Monastère, devant la vasque en serpentine d'un seul bloc, qui reçoit les eaux de la fontaine. Quelques archéologues la croient antique, et veulent y reconnaître un travail romain. D'autres, avec plus de raison, s'en référant aux textes (1), établissent que te bassin aurait été exécuté par les soins de Pierre de Roquenatou, 15e abbé, mort en 1117. Il n'est pas exact de dire, ainsi qu'on l'a fait souvent, que cette vasque, dont la circonférence est de neuf mètres, sur un demi-mètre environ d'épaisseur, rendait par vingt-quatre ouvertures l'eau qui lui venait d'une cuve supérieure. Non ; ces vingt-quatre trous, creusés circulairement dans le marbre, à une petite profondeur, ne traversent pas la paroi, et servaient probablement à recevoir quelques ornements, tels que des macarons de cuivre. Ce bassin, quoi qu'il en soit, est un ouvrage très-apprécié ; il se recommande tant par l'harmonie de ses proportions, que par le fini du ciseau.

Il y a peu d'années, lors du déblaiement du vieux cimetière qui occupait l'emplacement de la place Gerbert, un grand nombre de cercueils de pierre furent exhumés. Tous accusaient une certaine antiquité. Rien cependant ne put indiquer d'une manière positive s'ils appartenaient aux premiers chanoines, après la sécularisation de l'abbaye, ou s'ils étaient de l'époque antérieure des bénédictins. Le terrain n'ayant été remué et enlevé que jusqu'au niveau du sol, c'est sous le pavé actuel que doivent nécessairement se trouver les tombes les plus anciennes et les plus curieuses.

L'église des Cordeliers (deuxième paroisse), a pris le nom de Notre-Dame-aux-Neiges. Cette église, de la même date que la précédente (1590—1632). offre la forme d'une longue nef, et ne présente aucun caractère distinctif. Sa voûte, d'une inclinaison puissante, n'est pas soutenue par des colonnes, mais repose sur d'épaisses murailles, que contiennent à l'extérieur des contre-forts munis d'arcs-boutants. Les baies des fenêtres, étroites comme des meurtrières, ne laissent pénétrer dans le sanctuaire qu'un jour sombre et voilé. Le maître - autel en marbre, appartenait jadis à l'église des Carmes. Parmi quelques bons tableaux, on distingue la Cène, du Bassan, qui décorait autrefois le réfectoire des Père» cordeliers. Rien que cette toile ait souffert de maladroites retouches, elle n'en conserve pas moins le sceau d'un grand style. La tête du Christ, placée en pleine lumière, est d'un modelé très-heureux; il y aune sérénité divine sur ce front qui lit l'avenir, et où déjà commencent à s'empreindre les douleurs du calvaire. Le type de la figure du Sauveur, c'est selon nous, l'image d'un dieu tourmenté comme un homme, mais de l'homme souffrant comme un dieu. Bassan paraît avoir voulu le…

(I) Voyez Brève chronioon, cité dans les Ânalecta de Mabillon, édition in-f°, p.349.

….comprendre ainsi. Saint Jean, dont l'imagination était si poétique, ressemble à une jeune femme : ses veines transparentes laissent voir leur sang et sentir leur chaleur. Il s'est endormi, soucieux, sur l'épaule de son maitre, pareil aux colombes qui cherchent un abri, alors que vient l'orage. En tant que création, les poses des apôtres ont do la variété, les draperies du mouvement, et chaque, figure son expression particulière. Néanmoins, on observe sur quelques visages, une certaine dureté de contours, annonçant une exécution hâtive. Toutefois ce qui doit racheter ces imperfections, c'est l'ensemble de la peinture, brillant par une grande mélodie de teintes, et celle ampleur de coloris qui distinguera toujours l'école vénitienne (1).

Dans la môme église, au-dessus de la deuxième chapelle, à droite, on remarquera un cadre représentant saint Ignace dans sa cellule, au moment où venant de terminer la rédaction de ses Constitutions, le fondateur des Jésuites prend un crucifix, et presqu'en extase, demande à Dieu l'éternité de son œuvre.

L'hôtel Consulaire (aujourd'hui maison Guy), n'avait dans le principe que deux étages. Sa muraille septentrionale se trouve adossée à d'autres constructions, tandis que les angles, à l'est et au midi, sont flanqués chacun d'une tourelle élancée, laquelle vient reposer sur un cul-de lampe orné de rinceaux de vigne.

(1) J'écrivais il j a peu de temps, dans un article adressé à l'Echo du Cantal, quelques lignes, que je demande la permission de reproduire ici en substance. Elles pourront nous être utiles dans nos diverses appréciations.

» Quatre grandes Écoles de peinture se partagent l'Italie. Grâce à l'esthétique particulière des maîtres, à leur manière différente de voir et de sentir, chacune d'elles a un caractère moral et matériel qui l'individualise et la différencie.

» Ainsi, pour commencer par l'école Florentine-Romaine, la plus ancienne en date, on lui reconnaît pour caractère moral : l'expression, la science des mouvements et de la physionomie, l'amour idéal de la Vierge pour son fils ;- — elle a pour caractère matériel : la beauté des lignes, la pureté exquise du dessin. — Les chefs et les créateurs de cette école sont: Andréa Ricco (XIIIe siècle, peinture traditionnelle du bas empire) ; — Cimabué, mort en 1310 (dernier représentant de l'imitation bysantine) ; — Giotto, qui personnifie l'affranchissement; — puis, Angélico de Fiesole, — Orcagna, — Masaccio, — Pérugin, — André del Sarto, — Michel-Ange, — Raphaël.

» Vient en seconde ligue, l'école Lombarde, dont le caractère moral est la mélancolie, ou plutôt la morbidesse, comme disent les Italiens; — et le caractère matériel ; l'entente du clair-obscur. — A la tête de celte école marchent : Léonard de Vinci (14521510), — Le Corrège, — F. Mazzuola, dit Le Parmesan.

» L'école Vénitienne, a pour caractère moral, l'imagination et la fantaisie ; — elle a pour caractère matériel, la puissance de la couleur. — Ses maîtres sont : les deux Bellini (1426-1516) ; — Giorgion, mort à 32 ans, de jalousie, et par conséquent d'amour ; — Le Titien, — Le Tintoret, — Paul Véronèse, — les deux Palma, — les Hassan.

» La dernière école est la Bolonaise, école éclectique, qui créée en 1590, c'est-à-dire soixante-dix ans après la mort du Sanzio, a pris au trois maîtrises précédentes, leur côté le plus saillant. 11 faut expliquer ici que la reine des écoles, celle de Raphaël, avait peut-être un peu trop sacrifié le coloris a la pureté de la forme et à l'idéalité de l'expression. L'école bolonaise le sentit, et tout en désirant continuer cette manière correcte, elle voulut y joindre, comme élément vivifiant, soit l'application hardie des raccourcis, soit l'emploi des grands effets pittoresques. Pour cela elle emprunta à l'école romaine la ligne, à la lombarde te clair-obscur, à la vénitienne la couleur. Or, de cette synthèse ingénieuse, fondée par Louis Carrache (i55'i-i6i9), sortirent : Annibal et Augustin Carrache, — Le Dominiquin, — l'Albane, — Le Guide, — Le Guerchin, etc. — Telles sont les quatre écoles, autour desquelles se déroule le cycle entier de la peinture italienne. »

L'auteur de notre Cène des Cordeliers, est Jacopo da Ponte, dit le Hassan, né à Bassano en 1510, mort dans la même ville en 1592.

Autour des fenêtres, autrefois en croix, s'avancent en saillie, de larges corniches de pierre taillée.

La partie la plus riche du monument, est le portail. Ce portail, qui encadre deux croisées, finit au second étage, mais avant l'exhaussement moderne, montait jusqu'au toit. Son style appartient au gothique tertiaire le plus orné. Dans le tympan du rez-de-chaussée, sont sculptés des anges soutenant un écusson effacé, et où étaient gravées les armes de la ville. Les deux grandes lignes ogivales qui dessinent la porte, vont se réunir au-dessus de l’écu, dans un champ semé de fleurs de lys, et se terminent en choux frisé. Un chien accroupi grimpe de chaque côté, le long des clochetons. La suite de l'ornementation du portail, au moment où elle embrasse la fenêtre du premier étage, est à peu près la même, avec cette différence, que le champ dans lequel se rencontrent les courbes de l’ogive, porte, au lieu de fleurs de lys, des sculptures tréflées. La façade dont nous parlons n'a pas une ride, mais se trouve pourtant criblée de cicatrices ; preuve certaine que l'injure lui vient, non de la main du temps, mais du bras des hommes.

Vers le milieu du siècle dernier, on enleva de la salle principale de cet hôtel un manteau de cheminée, qui existe encore, et date de 1572. C'est une grande pierre de deux mètres de longueur sur une largeur de soixante centimètres; elle contient quatre écussons. Le premier est l'écu des Cambefort, famille ancienne, dont le chef était consul alors ; le second, celui d'Aurillac ; le troisième, les armoiries de l'abbaye, et le quatrième, celles de la paroisse. Ce monument est un legs cruel des guerres civiles : une inscription latine nous apprend qu'il fut dédié au Tout-Puissant, en mémoire du massacre de la St-Barthélemy (1). — Puisque le sujet nous y mène, disons un mot de notre organisation municipale. Elle date de loin, et les suppositions les plus vraisemblables la font remonter à saint Géraud. Ce qu'il y a de certain, c'est que ce travail de formation ou plutôt de rénovation, décomposition de la puissance seigneuriale d'où sortit enfin l'affranchissement des communes, était fait chez nous depuis longtemps, quand il commençait à peine à s'accomplir ailleurs. Ainsi, ailleurs, la société était féodale et servile, tandis que chez nous elle se trouvait royale et municipale ; de sorte que le tiers-état naissait à peine dans le reste de la France, quand dans la Haute Auvergne, il touchait déjà à l'âge de l'émancipation. Et voilà ce qui explique pourquoi l'hermine des consuls se froissa si souvent avec la robe des abbés. C'est qu'ici les serfs, devenus des bourgeois, étaient comme toute jeunesse, pleins….

(I) Le bruit des boucheries de Paris, avait eu un triste retentissement à Aurillac. Au mois de septembre, les officiers du roi et les consuls, firent emprisonner au château de Cologne et dans les salles basses de l'hôtel Malras (actuellement le palais de justice, rue de Lacoste), tous les huguenots qu'on put saisir. D'après nos titres, confirmés par les mémoires du président de Vergnes, quatre-vingts d'entr'eux ne voulant pas abjurer, furent impitoyablement égorgés. La pierre que nous venons de décrire, se rapporte à ces événements, et a pour but de les perpétuer. Voici l'inscription :

Dco dicabant Guillelmus Cambefort, primus consul, cùm bonis consoeiis, Joane Chanut. Cive, Petro Delom. Guillelmo Cortes, Durando Sallesmercaloribus, et Francisco Barate, pharmacopole.

Auriliati civitatem et catholicos concives à tyranniâ proditorum hereticorum et heresià libe

ravit. Pio voto Pétri Molle mercatoris. — A. D. (Anno DominiJ 1572. — Je dois celle pierre i

la bienveillante bonté de M. le comte de Sarrasin.

….d'ardeur et de force. Se sentant l'intelligence d'administrer leurs affaires, ils tenaient en respect les moines, qui voulaient s'immiscer dans l'administration de la chose commune. Ces éternels conflits eurent pour effet de consolider encore nos franchises communales : à ce point que dès le x° siècle, nos aïeux respiraient derrière leurs murailles, un air de liberté qui ne soufflait que là.

La statistique de nos consuls est vraiment intéressante, envisagée seulement comme étude de mœurs publiques. Nous n'avons la liste complète que depuis l'année 1300, et voici son résultat. Les consuls étaient au nombre de six, et nommés annuellement le premier vendredi de septembre, par une élection à deux degrés. D'abord les marchands se montrent en plus grand nombre (c'est le travail); ensuite les bourgeois ^la fortune) ; puis les juges (les dignités); enfin les avocats {la science).

L'église du Collège étale orgueilleusement un joli portail, dans le goût italien, que Bernini (Cav. Bernin), le grand génie de la décadence, avait mis à la mode au XVIIe  siècle.

En 1842, un jeune artiste aurillacois, M Joachim Issartier, peignit le chœur de cette église. La composition principale représente Moïse frappant le rocher. C'est une peinture à l'huile annonçant de l'imagination et une certaine force créatrice. La scène en effet est pleine d'action; malheureusement le dessin s'y montre faible et la perspective tout-à-fait défectueuse. La lumière étincelle au ciel, mais elle ne sait pas descendre pour envelopper les objets et pénétrer les groupes. Aussi les personnages paraissent-ils comme étouffés, en l'absence de l'air qui ne circule nulle part. — La décoration à fresque, d'ordre corinthien, au milieu de laquelle sont placés en grisaille, saint Pierre et saint Paul, a de l'éclat •t même du style.

Dans la porte du tabernacle, se trouve enchâssée une petite peinture sur agathe, dont le sujet est la Vierge glorieuse soutenant son fils, et adorée par quatre saints, et une sainte vélue en religieuse. — Cet échantillon précieux, nous paraît appartenir à l'école allemande, au temps de Hans Holbein le vieux (1450 — 1506); c'est-à-dire à l'époque où cette école n'avait encore rien pris à l'Italie, et reproduisait les types bysantins que lui avaient laissés les Grecs du bas-empire, bien qu'en les émancipant déjà par la forme et l'expression (1).

Il faut examiner en passant un Saint-Ignace-de-Loyola à genoux, d'autant plus curieux, que je le crois un portrait, et un portrait ressemblant. Cette figure, touchée avec franchise, est pleine de relief. C'est la grandeur morale du personnage original, jointe à la mélancolie de son caractère, et à la virilité de son esprit.

Reste une Adoration de* Mages, tableau moderne, donné par le gouvernement,

(I) L'école allemande a trois rameaux :

1° Ecole d'Augsbourg, dont le plus illustre maître est Hans Holbein le jeune (1498-1553%

2° Ecole de Saie, dont le chef est Lucas Cranach (1472-4553), l'ami de Luther, celui qui poussa les Hollandais dans le naturalisme.

Ecole de Nuremberg, qui a pour représentant suprême Albert Durer (1471-1528), la personnification la plus complète du génie allemand.

Les deux premières écoles moururent presqu'en naissant ; la troisième se fondit, au commencement du xvii' siècle, dans les écoles italiennes et flamandes.

… et dont l'auteur est M. Constant Misbach. — Au devant de sa maison, la Vierge est assise, tenant l'Enfant-Jésus sur ses genoux. Les mages l'entourent : deux sont debout portant de riches présents; l'autre est prosterné, et offre au Christ une coupe remplie de pièces d'or. Dans le fond, se déploie la suite des trois monarques.

Il manque sans doute à cette toile, l'habileté de faire, la grande manière qui caractérise les artistes supérieurs; mais à leur défaut, on y trouve de la conscience, quelquefois de l'élévation. L'exécution constate l'oubli malheureux d'un principe capital. Les grands maîtres, dans leur emploi de la couleur, délaissaient et sacrifiaient souvent le coloris de chaque objet isolé, afin de parvenir à une plus savante harmonie de l'ensemble. Ici, on a procédé différemment. Le jaune peintre, encore inexpérimenté, termine complètement chaque personnage, sans se préoccuper du tout. Aussi, pour mieux finir chaque partie, il a nui à l'effet général; pour arriver à la précision, il a rencontré la sécheresse.

La plus belle figure est sans contredit celle de la Vierge. Cette tête, admirablement réussie, accuse des études sévères : on y trouve chasteté, pureté, douceur. J'y remarque surtout une combinaison idéale qui ne saurait être du hasard. C'est que dans ce visage si bien conçu, on distingue la tendre naïveté, le délicieux étonnement, enfin l'adorable ignorance d'une femme, devenue mère, sans s'être initiée par les sens aux mystères de la maternité. Voilà une aspiration heureuse vers le génie du moyen âge : cela est véritablement beau, beau maintenant, beau partout, beau toujours.

Les galbes des mages appartiennent chacun à une race différente dont le type parait assez ingénieusement saisi. Le profil seul du monarque agenouillé, copié d'un marbre antique, rappelle une tête grecque de Platon. Mais ce vieillard couronné, nous sommes obligés de le dire, ne s'incline pas noblement : il est accroupi sans dignité. Et maintenant, quand il voudra se relever, ses jambes lui feront défaut sans doute. En supposant, en effet, qu'il en existe sous les plis de la robe, elles se trouvent si dénuées de proportions, que le potentat oriental, parfait de torse, aura debout, toute la difformité d'un nain. C'est encore une bien mauvaise inspiration que d'avoir fait sourire Jésus-Christ à la vue de l'or et de lui faire toucher, avec une espèce de joie coupable, quoique enfantine, ces richesses qu'il devait tant maudire, lui, être tout d'abnégation, de dévouement et de pauvreté !

Parmi les curiosités de la ville d'Aurillac, je cite encore la chapelle d'Aurinques. Cette chapelle funèbre fat construite à l'endroit où Guinot de Veyre trouva une mort glorieuse en défendant intrépidement la ville attaquée par les huguenots. — Dans la nuit du au 5 août 1581 , les calvinistes, quoique en pleine paix, tentèrent de s'emparer d'Aurillac. Déjà un certain nombre d'entre eux avait escaladé le haut du rempart, et leur clairon sonnait « ville gagnée! » lorsque la sentinelle de la tour Seyrac déchargea son arquebuse sur le trompette, ferma rapidement la porte de la tour, et donna l'allarme par ses cris. Quelques habitants accoururent en armes, et les assaillants se voyant sans issue pour entrer, essayèrent alors de descendre dans la ville, par le toit d'une maison qui touchait presque au mur. Pendant ce temps les postes arrivaient, et l'un d'eux commandé par Guinot pénétra hardiment dans la maison envahie, où l'on se battit avec acharnement. Sur ces entrefaites quelqu'un eut l'idée d'incendier une écurie voisine de ce lieu, pour en chasser un groupe d'ennemis. Malheureusement le feu qu'on ne put circonscrire, s'étendit, gagna la maison où Veyre et ses soldats combattaient, et tous, sans en excepter un seul, périrent ensevelis dans les flammes. Je ne connais rien de plus douloureux que l'histoire de Guinot. Sa vie courte et brillante, ses amours, sa mort, son cadavre calciné qu'on ne reconnut qu'à la bague d'or donnée par sa fiancée; tout cela émeut, attriste, désole : c'est un mélancolique poème d'héroïsme et de malheur.

Il y a peu d'années encore, que dans l'église de Saint-Géraud, au-dessus de l'ogive de la chapelle des Veuves, on voyait un bas-relief représentant un bras passé dans les courroies d'un bouclier. La main était fermée, et laissait voir une bague placée au quatrième doigt. S'il faut en croire la tradition, Melle Cayrols, fille de l'avocat du roi, se trouvait sur le point d'épouser Veyre, quand celui-ci mourut. Dès cette beure, renonçant à un monde, vide pour elle comme le néant, la jeune fille fit réparer cette chapelle, et avant d'entrer en religion, ordonna qu'on gravât sur l'arceau d'entrée, l'image de tout ce qui avait survécu de reconnaissable du corps brûlé de son fiancé. Celte pierre dans laquelle était incrusté tant de désespoir, fut détruite sans nécessité, en 1833. Ainsi sont respectés en province, les touchants souvenirs! L'unique trophée qui reste aujourd'hui de la victoire du 5 août 1581, est une trompette en cuivre, recueillie le lendemain dans les fossés, et qu'on conserve à la bibliothèque communale.

Depuis 1701, on a placé dans la chapelle d'Aurinques, trois tableaux, détestables en tant que peinture, mais intéressants comme intérêt local, retraçant le premier, l'instant du combat et de l'embrasement ; le second, l'heure qui suivit la victoire ; et le troisième, la procession qui eût lieu pour remercier la Vierge à la protection spéciale de laquelle on attribua le salut d'Aurillac.

Après avoir visité ce monument, il faut faire quelques pas vers le haut de la rue d'Aurinques, et donner un coup-d ‘œil à la maison de Mme de Machurin, dont la façade, porte encastrées plusieurs pierres ayant appartenu à l'ancien hôtel du président Maynard. Sur celle du milieu se lit encore l'inscription amère, si connue : donec optata veniat (jusqu'à ce que la mort désirée vienne). Quelques biographes font naitre Maynard à Aurillac, d'autres à Toulouse en 1382. Quoique le lieu de sa naissance soit contesté, le poète a toujours été placé par les écrivains du Cantal, dans leur panthéon auvergnat. Ce personnage nous appartient effectivement, par les séjours prolongés qu'il fit dans notre ville, par les nombreuses relations qu'il y avait conservées, par les hautes fonctions qu'il y remplit, peut-être même par sa mort. Son existence fut mêlée de chances diverses. Maynard, jeune encore, s'adonna aux lettres. Nommé secrétaire des commandements de Marguerite de Valois, ses manières, son caractère enjoué et son esprit, le firent rechercher à la cour. En 1617, le duc de Luynes lui fit donner la présidence du présidial d'Aurillac. Plus tard, il suivit en Italie le comte de Noailles, ambassadeur près de Sa Sainteté, et pendant trois ans, de 1634 à 1637, le poète fit à Rome de la diplomatie et des épigrammes. On dit que le pape Urbain VIII (Barberini), aimait ses vers, et recherchait sa conversation pleine de saillies. Eu 1635, le cardinal de Richelieu ayant créé l'Académie française, et laissant aux. Fondateurs désignés par lui le soin de se compléter, Maynard, quoique absent, et en froideur avec le cardinal, n'en fut pas moins nommé au dix-septième fauteuil. De retour en France, le nouvel académicien reprit sa présidence, et après une dernière apparition au Louvre, sous la régence d'Anne d'Autriche, revint à Aurillac où, selon toutes les apparences, il mourut au mois de décembre 1646, avec le titre de conseiller d'Etat. — Maynard a joui pendant sa vie d'une célébrité méritée. Il compta, sous Louis XIII, parmi les planètes académiques qui décrivaient, sur le ciel littéraire du xvir3 siècle, les plus brillantes ellipses; il possédait une grande fraîcheur d'imagination, réunie au goût, au trait, à la grâce. Avec Malherbe et Racan, ils prirent la langue un peu dure d'Henri IV, adoucirent son accent, et la firent parler en vers heureux. On lui doit l'invention d'un rhythme nouveau, par l'introduction de certaines pauses calculées II aima l'élégance, le tour, la clarté; c'était enfin un bel esprit. Cependant, quelques-unes de ses qualités poétiques se trouvèrent obscurcies par les défauts d'une nature ombrageuse, qui se cabrait au moindre bruit. Une position subalterne où il étouffait, un amour ardent de la cour, d'où Richelieu l'éloigna par ses rigueurs, excitèrent sa verve acérée, subtile, impitoyable. Des ennemis puissants profitèrent de l'occasion pour chercher à l'accabler. Alors, irritée, l'abeille harmonieuse prit un dard de guêpe dont elle se servit trop souvent. Le cardinal tint bon, et cette âme malade, qui n'avait besoin que d'être mise au régime, s'enfiévra à plaisir et s'exaspéra follement, pour se décourager plus follement ensuite. C'était fini; Maynard avait tourné pour toujours le dos au bonheur, car quelques années après, humilié et vaincu, il mourait misanthrope, sans que le titre qu'Anne d'Autriche lui avait décerné, eût pu apaiser son cœur ou raviver sa pensée. — Cet homme fut littérateur, courtisan, diplomate, jurisconsulte. Génie singulier et bizarre, c'était, au dire de ses contemporains, un inconcevable mélange de gaité et de tristesse, d'orgueil et d'humilité, de foi et de doute, de sarcasme mordant et de tendre rêverie. Ses œuvres consistent en épigrammes, odes, chansons et lettres.

Peintures de l'hôtel de Noailles (aujourd'hui maison de Falvelly). — La famille de Noailles possédait depuis longtemps la terre de Pénières, commune de Cros-de-Montvert, lorsqu'en 1609, Charles de Noailles, évêque de Saint-Flour, fit à Aurillac l'acquisition d'une maison située dans la rue des Esclots. Ce prélat qui aimait notre ville de prédilection, avait fait disposer dans sa propriété réparée et embellie un appartement somptueux. C'est dans la pièce principale de cette habitation que se voient les peintures.

La salle figure un carré long ; une seule croisée l'éclairé du côté du midi. Quatre énormes poutres, supportant une quantité considérable de solives, placées en sens inverse, composent le plafond. Toute cette charpente, d'un fond brun, est décorée d'une multitude infinie d'arabesques blanches. Une cheminée de grande dimension occupe le milieu de la chambre, vers l'ouest. Tout autour de la salle règne une boiserie à compartiments inégaux, séparés entr'eux par des moulures dorées. Dans cette boiserie, se trouvent enchâssés trente panneaux, ornés de peintures à l'huile représentant des sujets bibliques. Ces panneaux sont entourés d'une quantité prodigieuse de caissons peints en grisaille; les uns carrés, et séparant horizontalement les panneaux principaux, les autres en firme de rectangles, placés au-dessus et protégés par la cymaise.

Chaque montant de la cheminée contient deux médaillons, sur chacun desquels est peint, dans un riche fond d'or, un pontife en pieds et en habits sacerdotaux. Les personnages ont 42 centimètres de hauteur. — Première figure : portrait d'un pape que je crois être Sylvestre II, notre Gerbert. La tiare couronne sa tête; il est revêtu d'une chappe à ramages, et tient de ses deux mains un livre fermé, et la crosse aux trois croix. L'expression de celte physionomie est douce, triste, et remplie à la fois de malice et de finesse. — Au-dessous, un prélat, en costume de cardinal, barrette et camail rouges. Sur sa robe écarlate et traînante, descend un rochet blanc à larges manches. Il porte un livre ouvert ; sa barbe argentée est longue et touffue. Selon moi, ce personnage serait ou le cardinal Bertrand, ou plutôt le cardinal Georges d'Armagnac, 52e abbé d'Aurillac, archevêque de Toulouse et d'Avignon, mort vers 1584. — Le troisième médaillon, placé sur le montant de droite, doit être le premier Guillaume d'Auvergne, de la maison de Conros, évêque de Paris. Il est coiffé d'une mitre blanche, unie et sans ornements. Ses mains soutiennent un livre et la crosse épiscopale. Barbe brune, figure grave. — Le quatrième enfin représente Guillaume Beauféti, né au village de Veyrac, et médecin de Philippe-le-Bel. Sa mitre et sa chappe sont rouges. Le peintre a mis un volume fermé dans une de ses mains, et le bâton pastoral à l'autre : c'était toujours là l'emblème de la science et du pouvoir.

Voici le titre de quelques sujets des boiseries formant le tour d'appui : La Création ; — Mort d'Abel ; — Invocation de Noè; — La Tour de Babel ; — Sara chassant Agar ; — Trois Anges apparaissent à Abraham et lui prédisent la naissance d'un fils. Ce dernier tableau, comme le précédent, est ravissant par l'éclat, par ses tons fermes et chauds. Dans le fond, coule une rivière, et plus loin à l'horizon, se dessinent les édifices d'une ville. Le paysage est d'un extrême fini ; l'heureuse répartition de la lumière répand sur toutes les lignes un calme merveilleux.

Continuons : Incendie de Sodotne et Gomorrhe; — Naissance d'Isaac; — Sacrifice d'Abraham ; — cette composition harmonieuse respire une tendresse inouïe de sentiment. — Entrevue de Rebecca et d'Elie'zer; — Esaii vendant son droit d'ainesse; — Jacob surprend la bénédictiond'Isaac ; — Rencontre de Rachel et de Jacob ; — Songe de Joseph ; — Joseph jeté dans la citerne ; je recommande la ligure de Joseph, magnifique de désolation, de frayeur, et de larmes qu'il n'ose laisser couler. Ruben, pris de dos, et incliné sur l'abîme, est un raccourci franchement accusé, d'un effet superbe. — Les frères de Joseph envoient à Jacob la robe ensanglantée de son fils ; — Joseph s'échappant des bras de la femme de Putiphar ; — Joseph expliquant les songes de Pharaon ; — Joseph reconnu par ses frères ; toutes les draperies sont largement jetées; les têtes bien ressenties, la couleur brillante. — Joseph arrive en Egypte ; — Mort de Jacob. 

Parmi les camaïeux des rectangles, on distingue des fantaisies pleines de charme ; de petits tableaux traités avec une rare mignardise. Celui qui est au-dessus du trentième panneau, par exemple, a des volailles perchées, d'une excellente facture, des poules fort belles, des coqs, un dinde qui fait la roue. — Dans un autre, c'est un mulet qui se repose ; pour perspective une solitude et une croix. —

Ailleurs, un cordelier priant, et contemplant le ciel dans une extatique ferveur ; une sainte Madeleine, pleurant dans sa grotte. — Ailleurs encore, c'est une autruche, arrangeant avec son bec les plumes de ses ailes. Enfin un autre gracieux paysage se compose d'un frais bouquet d'arbres; sur le devant, un berger fait traverser une rivière à quelques chèvres; au fond, un lointain nuageux.

Ne nous demandons pas quel est l'auteur de cette composition originale ; le nom de l’artiste, en l'absence de renseignements positifs, restera probablement pour toujours un mystère. Contentons-nous de reconnaître que cette peinture est essentiellement flamande de style et de procédés matériels. Seulement le reflet italien vient y luire de temps â autre, et imprime, surtout dans le sentiment de certaines figures, un caractère facile à saisir. L'histoire des beaux-arts peut seule interpréter ce singulier mélange de deux écoles appartenant à un pays différent et inspirées par un génie si opposé. Essayons-en l'explication.

Van-Eyck et Hemling, les deux plus illustres maîtres de la primitive école de Bruges, cultivèrent sans nul secours étranger, l'art éclos sur les bords du Rhin. Ceux-là furent flamands de corps et d'âme, de touche et d'idée. Ils forment la première époque (1425). — Mais après eux, plusieurs artistes tels que Van-Orley, Jean de Maubeuge, Coxis, Otto Venins, tous esprits éminents, pensèrent qu'il était temps de donner de l'ampleur et de la virilité à l'école de Flandre, en la trempant dans le style italien. Voilà la seconde période (1530). — Le succès couronna cette épreuve, bien dangereuse du reste, car on pouvait craindre que le goût national, loin de se régénérer, ne se noyât dans l'imitation. Ainsi avait péri l'école allemande, submergée au berceau. Néanmoins, grâce à la personnalité vivace des peintres d'Anvers, un compromis se fit entre les deux écoles du Nord et du Midi, dont les éléments individuels se combinèrent sans se confondre. C'est de cette fusion que sortit la troisième époque de l'art flamand, art complet dès ce moment, qui produisit ces colosses glorieux qu'on appelle Van-Dick et Rubens (1620).

Eh! bien, les peintures de l'hôtel de Noailles étant d'une date intermédiaire entre 1609 et 1614, se rapportent précisément au temps où venait de se faire l'assimilation indiquée par nous : et voilà pourquoi la trace des deux écoles italienne et flamande, est sensible dans l'exécution de cette œuvre pleine d'intérêt.

Un usage constant désigne la salle peinte, sous le nom de chambre du cardinal. Quoi qu'il soit dans mes habitudes de respecter religieusement la tradition, dans les qualifications qu'elle impose aux choses et aux lieux, je dois cependant signaler ici une erreur et la démontrer. Indépendamment de l'aspect physique des peintures et de la forme des boiseries, accusant les unes et les autres une date plus reculée, il est certain en outre que Louis-Antoine de Noailles, future éminence, né à Pénières, en 1651, quitta l'Auvergne de bonne heure pour habiter Paris. Nommé évêque de Cahors en 1679, ce prélat n'obtint la pourpre qu'en 1700, c'est-à-dire, dix-sept ans après que l'hôtel avait cessé d'appartenir à sa famille. Rien n'indique même qu'à aucune époque, le cardinal y soit jamais venu (1). — Mais un souvenir très-précieux s'attache à cet appartement devenu historique. Il est positif que le 4 février 1650, Louise Boyer, dame d'atours de la reine Anne d'Autriche et femme d'Anne de Noailles, donnait le jour, dans la chambre même que nous venons de décrire, à un enfant qui se nomma Jules de Noailles, et devait être duc, pair et maréchal de France

Presqu'en face de l'hôtel de Noailles, au-dessus de la porte d'entrée d'une petite maison appartenant à M. Fabrègues, se remarque un monogramme curieux, gravé en relief sur une pierre, évidemment plus ancienne que la muraille où elle est enclavée. Ce signe, compliqué dans ses linéaments, est du xiv« siècle, et se compose des trois premières lettres entrelacées du mot grec Iesos. M. Bouillet, de Clermont, homme savant et esprit original, se basant sur la configuration des lettres, dissemblables dans plusieurs de ces monogrammes, a cru devoir y lire le mot ITIS, et pense qu'on pourrait interpréter ces quatre sigles de la manière suivante : In Terra Ierusalem soccii. Ce signe selon lui, se référerait donc aux croisades.— Nous devons dire que d'après l'opinion du plus grand nombre des archéologues, les différences signalées dans les lettres, par M. Bouillet, ne changent point le sens adopté jusqu'ici, mais doivent simplement se rapporter aux fantaisies des sculpteurs ornemanistes du moyen-âge , ou à la reproduction maladroite faite par des ouvriers qui ignoraient probablement, le sens des caractères consacrés. Il faut donc regarder cette figure, la seule de ce genre qui existe à Aurillac, comme désignant le monogramme du Christ.

 

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