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LES MYSTÈRES JOUES A MAURIAC.

 

L'histoire d'une cité ne se compose pas uniquement des siéges qu'elle a subis, des revers qu'elle a éprouvés, des institutions qui ont été fondées dans son sein; ce n'est là qu'une partie de la vie des populations; il en est une autre plus intime, dont on n'a pas toujours pris soin de conserver le souvenir, et qui nous fait connaître les goûts, les fêtes, les plaisirs de nos pères. Le manuscrit de Montfort contient deux chapitres : l'un, sur les mystères joués à Mauriac; l'autre, sur une fête donnée à l'occasion de la paix, en 1559; ils m'ont paru intéressants comme peinture de mœurs, et c'est à ce titre que je les place sous les yeux des lecteurs, sans y rien changer.

La passion jouée.

 

« Le mystère de la passion notre Seigneur J.-C. fust jouée par personnaiges en la ville de Mauriac, où femmes, prêtres, religieux, gens mariés et à marier estaient joueurs; et fust jouée fort excellemment au cemetière de Mauriac, l'an 1524. Laquelle année passèrent quelques gendarmes qui cuidairent desbaucher lesdits mystères de la passion d'estre joués. Mais après il se joua (sic), et desdits gendarmes en furent noyés plusieurs à Argentat, en Dordogne. »

La Suzanne.

 

Le jeu et belle histoire de la Suzanne fust joué à personnaiges au cemetière de Mauriac, par les prêtres et enfants de la ville de Mauriac, fort magnifiquement et somptueusement, et ce l'année 1544. »

Le Sacrifice d'Abraham.

 

« L'année 1547, que le roi de France François ler mourut à Rambouillet, fut joué l'histoire et jeu, par personnaiges, du sacrifice d'Abraham, au cemetière de Mauriac, par les prêtres et enfants de ladite ville, et fut jouée bravement et bien ou avait grand foison de gens de l'entour de Mauriac. »

La Conversion de la Magdeleine jouée.

 

« L'année après 1548, aussi fut jouée l'histoire de la Magdeleine fort magnifiquement et pompeusement, par les prêtres et enfants de la ville de Mauriac, et fut jouée dans l'église parrochiale de ladite ville.

La Paix des Rois, et Feu de Joie à Mauriac.

A l'occasion de la paix conclue en 1559, le 2 avril, avec la reine Elisabeth, et le 3, avec Philippe II, roi d'Espagne, de grandes réjouissances eurent lieu à Mauriac, de l'avis du conseil de ville et des consuls. Nous donnons la description de cette fête, écrite par Montfort, qui y avait probablement assisté.

« Le lundi soir, 34 avril 1559, les sergents royaux et du seigneur parcoururent les rues et carfours de Mauriac, et commandèrent sous grands peines et amendes de nettier et mondifier les rues et en jeter tous fumiers, ordures et pierres y estant, et faire lendemain baulx paremens de tapisseries par les fenestres et rues, comme est de coustume faire aux processions générales commandées par le roi, et ce fait, avec encens et bonnes odeurs d'herbes et fleurs parfumer et orner les lieux mal sentans et ordures desdits fumiers.

Après, avec fifres et tambourins de Suisses, passèrent les compagnons en bon ordre et équipaige s'es jouissant par la ville, chantant plusieurs belles chansons sur la paix faite nouvellement, et les cloches de la ville résonnèrent tout le soir, outre toute aultre coustume par cy devant faite.

Le endemain matin, jour fête et foire, monseigneur St-Marc, 25 avril 1559, de rechief lesdits sergents passèrent faire commandement parer les portes, fenestres, maisons et rues de la ville, le plus honorablement que faire se pourra. Et ce fait, MM. les religieux et prêtres assemblés ordonnarent faire générale procession parmi la ville pour la paix, et que tous religieux et prêtres revêtus des chapes tant du monastère que de l'église, au nombre d'environ soixantesept, fussent en dévotion servir et faire l'exercice nécessaire à ladite procession générale, dans l'ordre plus honorable que se peut faire de deux en deux, tenant chœur, comme est de coustume audit Mauriac. En faisant laquelle procession, les sacrées et vertueuses images Notre-Dame, monseigneur St Mary, St Pierre et sa croix vénérablement y furent appourtées, ou avait grand nombre de peuple tant de la ville que estranger, qu'à peine la place était abondante à le recevoir.

Et après que la procession eut volté la ville et posée au milieu de la place, les chantres, musiciens, dirent et chantèrent en choses faites Regina cœli et plusieurs beaux motets à grand harmonie, et après que plusieurs ménétriers et tamborins eurent fait leurs mélodies et que plusieurs arquebuses et bombardes eurent fait leurs effects.

Ce pendant que monsieur le grand prieur disait les suffrages requis à telle procession, les consuls firent construire de grands bois un feu par lesdits sergents. Lesquels consuls royalement revêtus, et assis à leurs bancs entapissés, avec un million de torches ou flambeaux, mirent le feu audit bois, tellement que la flambe montait plus hault que notre halle du milieu de la place.

Et lors petits enfants, tous en chœur, environ le feu à grand joie, chantaient, les ménétriers, trompettes et cloches à sonner, le monde à s'esjouir, que n'y eust homme ne femme que de joye n'en plurat; après ce fait, tous les religieux et prêtres chantèrent l'hymne: O! gloriosa Domina, mélodieusement, posément et à dévotion.

Lequel fini, un héraut à cheval, bien vestu et équipé, vint, lequel adressa au peuple avec grand gravité et prononciation, un discours en vers, contenant l'éloge de monsieur de Guyse, du grand Vendozme, des princes de Nevers et de Piedmont.

Un soubs diacre revestu prononça pour l'église une prière en quatre vers.

Un paysan, pour le peuple, à genoux, dit une prière en quatre vers.

Un mercenaire, à genoux, dit une autre prière en quatre vers.

Enfin, ledit héraut, de rechef, vint adhorter le peuple.

Et cela fait, tous les religieux et prêtres, environ 80, tous 6 genoux, se mirent a chanter le Te Devin laulamus. Au loing, et plusieurs musiciens derrière les tapis estant en grand quantité à l'entour de la balle et audevant les botiques de la place, se mirent à chanter à quatre parties en choses faites, chansons mélodieuses avec fifres, tamborins et guitares; d'ung costé et d'autre que c'estoit grand merveille et plaisir mondain.

Cependant, MM. les consuls firent apporter foison de vin et de confitures pour tous adsistans refectionner à leur plaisir, tellement que enfin petits et grands, de joie et comme bien aises du tout, criarent : Vive le Roi et honneur à sa cour. Après plusieurs sauts et morisques faits par des petits à ce faire instigués, et après moyennant aussi plusieurs coups de bombardes, faulcons, fusées et pétards continuels.

Après tout cela fait, la sainte procession, reliques monseigneur St-Mary, image Notre-Dame, et croix monseigneur St-Pierre, ensemble tous les adsistans allèrent rendre grâce a Dieu à l'église, a genoux, baisans terre en signe de humilité à Dieu, qui nous avoit ladite paix tant désirée envoyée. Et ce fut l'année 1559. »