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Transcription de la lettre du Sergent Hippolyte ROBERT du 114ème Régiment d'Infanterie, blessé dans la nuit du 8 au 9 janvier 1915, à l'occasion d'un coup de main contre les lignes adversaires à Vendresse-Troyon dans l'Aisne.

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L'histoire se termine bien puisqu'il épousera Marie Louise BOISSONNADE le 19 mars 1915 à Riom es Montagne pendant sa convalescence.

Hôpital temporaire N° 55 de Barbazan (Hte Garonne) le 28 janvier 1915

Ma chère Marie Louise

J’ai bien reçu à Provins vos lettres 14 et 17, je n’y ai pas répondu plus tôt, et pour cause, la réaction à été si brusque par suite de l’ébranlement de tout mon être subi le 8 janvier, qu’un accès de paludisme est survenu à l’improviste me rendant inapte à penser et à écrire, je vais beaucoup mieux maintenant et de nouveau toute ma lucidité m’est revenue.

De passage à Montauban ou de Toulouse, je vous ai envoyé une carte qui a dû vous rassurer. Tous les hôpitaux de 1ère ligne encombrés ont été évacués et les malades expédiés dans l’intérieur, où plusieurs centaines de mille lits sont inoccupés, c’est pourquoi me voilà dans les Pyrénées ; de mon lit, j’ai une vue superbe, les montagnes sont blanches de neige et la vallée est recouverte d’un tapis immaculé ; il fait assez froid, pour moi qui suis frileux, malgré le bon soleil du midi, qui luit, mettant une certaine gaieté sur les choses et les gens du pays. Vous me demandez si j’ai reçu votre petit colis expédié le 7 ainsi que vos lettres, non, j’ai été transporté à Fismes le 9 et le lendemain sur l’hôpital de Provins, j’ai écrit au vaguemestre de mon bataillon le priant de me faire suivre ma correspondance, laquelle doit être entre les mains de celui de l’hôpital de Provins, j’écris à ce dernier et espère enfin recevoir vos lettres et le colis ici.

J’ai toujours sur moi la petite médaille et le fil doré que vous m’avez envoyé, c’est un bon talisman qui m’a protégé et comme vous j’y attache une grande importance, je l’ai épinglée sur ma chemise bien à la place du cœur. A Provins, les Dames de la crois rouge me l’avaient sortie en me changeant de linge, mais par attention délicate, elles ont en bien soin de l’épingler à mon oreiller.

Ma santé s’améliore, mais je l’ai échappé belle et c’est miracle que je n’ai pas été tué le 8 janvier. J’avais pour mission de partir avec 10 hommes et de profiter de l’obscurité pour replacer les fils de fer en avant de nos tranchées et de tâcher de couper ceux des boches placés à une soixantaine de mètres plus en avant, donc vers 9 heures du soir je grimpe sur la tranchée avec mes 10 poilus et nous nous mettons au travail en faisant le moins de bruit possible, la première partie de notre mission réussit à merveille, quelques coups de fusils partis des tranchées boches nous font nous aplatir sur le sol mais leurs balles passent trop haut, nous rampons toujours sans bruit jusqu’à leur réseau de fil de fer et nous allions commencer à manœuvrer nos cisailles lorsque de leur tranchée ils envoient une fusée éclairante, ils m’aperçoivent, nous n’avons que le temps de nous aplatir, une grêle de balles passent au dessus de nos têtes sans arrêt, c’est un feu d’enfer, personne n’est blessé, notre coup est manqué, il n’y a plus qu’à regagner nos tranchées, nous rampons dans l’obscurité, je reste un peu en arrière pour voir si les boches ne sortent pas de leurs tranchées je tombe dans un trou d’obus plein d’eau, j’allais en sortir quand j’entends un sifflement m’annonçant l’arrivée d’un obus, je m’aplatis à nouveau dans mon trou, il me semble que la terre tremble, je ressens une forte commotion et ne puis plus bouger, l’obus vient d’éclater à moins de deux mètres, je suis presque enterré, j’entends un coup de sifflet venant de nos tranchées, ce sont mes hommes qui ont pu rentrer indemnes, les balles et les obus continuent leur musique, les nôtres répondent pendant toute la nuit, il m’est impossible de sortir de cette position sans risquer d’être atteint ou par les boches ou par les nôtres, à force d’efforts, je réussis quand même à me dégager de la terre qui me recouvre, je ressens de vives douleurs par tout le corps, je ne sens plus mes pieds, ils sont engourdis par le froid, je me tâte je n’ai rien de cassé. Enfin une accalmie, quelques coups de feu isolés de part et d’autre, c’est le moment dont je profite pour sortir de ma pénible situation, je rampe sur les genoux sur les bras, mes pauvres pieds me semblent inertes, après des efforts inouïs, j’arrive près des nôtres, il fait encore nuit, je suis sauvé, on m’attrape par les épaules et je me retrouve à mon point de départ à la grande joie de mes poilus qui me croyaient fichu ; mais je ne puis me tenir sur mes pieds et suis tout contusionné, on m’emmène à l’ambulance, là le major me dit que j’ai les pieds gelés et m’évacue à Provin après un premier pansement.

Vous voyez que votre petite médaille m’a protégé et vous comprendrez combien je fais attention de ne pas la perdre.

Maintenant je vais beaucoup mieux, les contusions que j’avais partout le corps, aux jambes, disparaissent, mes pieds sont presque désenflés et je resserre les doigts, ils n’étaient gelés qu’au premier degré, donc aucun danger, c’est fort heureux car dans beaucoup de cas plus graves ont doit amputer. J’ai également eu une légère poussée du coté du foie, cela est du à la grande froidure que j’ai enduré pendant cette nuit terrible, mais cela ne sera rien. J’espère être prêt à retourner au front fin février, et alors je me vengerai sur les Boches de toute ma misère dont ils sont cause.

Je ne sais si je vais avoir un petit congé de convalescence, c’est très difficile à obtenir ; mais je ferai tout mon possible, croyez bien que le cas échéant, je n’oublierai pas Riom.

J’ai reçu des nouvelles de Bordeaux avant mon départ de Provins, ma sœur me dit que ses trois fils sont en bonne santé, Robert est en Alsace, il doit lui aussi faire le coup de feu, c’est un intrépide pour qui le danger ne compte pas, aussi je comprends les inquiétudes de ma sœur. André est allé conduire un convoi de chevaux , elle ne me dit pas s’il a les galons de brigadier sur lesquels il comptait avant de partir pour le front. Marcel est toujours à Blois où il s’entraîne au métier des armes.

Avez vous de bonnes nouvelles des vôtres qui sont sur le front ? Je vous le souhaite.

Ne m’oubliez pas auprès de votre tante et de votre bonne vieille grand-mère, faites aussi mes amitiés à la famille Trin.

Mon meilleur baiser à vous, ma chère petite gosse, à votre maman et à votre papa.

ROBERT H Marie Louise BOISSONNADE

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