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 DE L’ORGANISATION JUDICIAIRE.

Nous avons déjà fait voir que toute justice appartenait, dans le principe, à l'abbé d'Aurillac, non seulement dans la ville, mais sur toutes les terres qui dépendaient de son abbaye. C'est un fait incontestable, puisque, par arrêt du parlement de Paris, l'abbé fit défendre au roi, en 1274, de tenir ses assises soit à Aurillac, soit dans aucune des terres de saint Géraud. Il faut donc expliquer maintenant comment les rois de France parvinrent à établir des tribunaux dans notre ville.

Dans toutes les constitutions celtiques ou germaniques le droit était personnel et non territorial. Ce droit personnel de choisir la loi par laquelle on voulait être régi, fut respecté parla conquête. Il était commun aux divers peuples qui envahissaient la Gaule. C'est ce qui explique la constitution générale de Clotaire Ior, qui porte, article 4 : Entre Romains, nous ordonnons que les procès soient jugés suivant la loi romaine. Voilà pourquoi les Francs laissèrent aux Bourguignons, vaincus, leur nom, leurs lois, leur administration: pourquoi Pépin, ayant conquis la Septimanie, un traité solennel laissa aux habitants. Goths ou Romains, leurs seigneurs, leurs lois, leurs libertés. (Lavallée, vol. i, p. 116.)

Plus tard, lorsque sous les derniers rois de la seconde race l'unité de la France fut rompue, que les rois, impuissants à défendre leurs sujets, les abandonnèrent à leurs propres forces, la France se découpa en une infinité d'associations plus ou moins considérables, basées toutes sur ce double principe : 1° que celui que l'on reconnaissait pour seigneur s'obligeait à protéger ses vassaux et à leur rendre bonne justice; 2° que les vassaux, de leur côté, s'engageaient à servir le seigneur à la guerre et à l'assister dans sa cour de justice. Le droit devint territorial, en ce sens qu'il fit partie intégrante de la seigneurie; mais il resta personnel, parce que le vassal pouvait toujours désavouer son seigneur en renonçant à ce qu'il tenait de lui, et s'avouer d'un autre.

Dans ce système il est évident que ni Hugues Capet, ni ses successeurs immédiats n'avaient aucun droit de justice hors de leurs domaines particuliers, et que, sous ce rapport, tous les autres seigneurs justiciers étaient leurs égaux.

Mais déjà, sous la deuxième race, un grand nombre d'églises et d'abbayes dont les titulaires étaient aussi entrés dans le mouvement féodal, avaient requis et obtenu la sauve-garde royale, et s'étaient, ainsi, placés sous la protection des rois. D'autres les reconnaissaient pour fondateurs, et le clergé, qui avait adopté la loi romaine, par tradition et dans l'intérêt de sa hiérarchie, regrettait l'unité rompue et tendait à la rétablir; d'autre part les vassaux du clergé, plus tranquilles, plus riches et plus éclairés que ceux des seigneurs laïques, voyaient, dans l'autorité royale, un contre-poids à celle de leurs seigneurs et y faisaient appel volontiers.

Toute la politique des rois de France tendit donc à profiter de cette double disposition des esprits, dans les terres ecclésiastiques, à se réserver toujours le protectorat des églises et des abbayes, où ils envoyaient un gardien pour faire respecter leur sauvegarde; à accepter l'aveu que tout vassal ecclésiastique ou tout possesseur d'alleu voulait bien leur faire, et à se poser d'abord comme médiateur, et plus tard comme juge, entre les seigneurs et leurs vassaux.

Les gardiens, sergents, prévôts ou baillis qu'ils envoyaient ainsi dans les abbayes, sous prétexte de les protéger, moitié soldats, moitié légistes, saisissaient toutes les occasions de se rendre nécessaires et firent bientôt une double brèche dans le droit féodal: 1° en provoquant des appels à la justice du roi, seigneur suzerain, chose inconnue jusqu'alors; 2° en inventant les cas royaux qui ne pouvaient être jugés que parla cour du souverain. Par cette double innovation la cour du roi, qui fut depuis appelée le parlement, fut saisie d'une infinité de causes qui auraient dû être décidées, en dernier ressort, par les cours seigneuriales; et l'exécution des arrêts du parlement, confiée aux mémo6 officiers qui avaient tout fait pour le saisit', fut une source nouvelle de contestations et de procès.

Ce premier point obtenu, il n'y avait plus qu'un pas à faire pour établir, à poste fixe, sous le nom de bailliage, des espèces de tribunaux de première instance, pourvoyeurs du parlement de Paris. C'est ce que Philippe-le-Hardi essaya, sans succès, à Aurillac, en 1274. Mais, les bourgeois s'étant reconnus vassaux du roi et le parlement ayant refusé d'abord d'homologuer la première Paix, le consulat fut séquestré entre les mains du roi, et l'on profita de cette circonstance et des longs débats qui divisèrent, pendant 18 ans, l'abbé et les consuls, pour établir des prévôtés royales. Il y en avait trois dans le Cantal en 1319: celle d'Aurillac, composée de dix sergents; celles de Saint-Flour et de Mauriac, qui en avaient sept chacune ; et, en outre, il y avait deux sergents généraux.

Quant au bailliage, dont l'abbé n'avait pas voulu permettre l'établissement a Aurillac, il dut être d'abord ambulatoire, comme celui d'Andelat; car, nous croyons qu'il ne faut pas le confondre avec le bailliage ducal qu'Alphonse, frère de SaintLouis, d'abord, et qu'après lui Jean, duc de Berri et d'Auvergne, établirent dans leur terre d'Auvergne. Il paraît que ce bailli ducal fut établi d'abord au château de Crévecceur, puis à St-Martin-Valmeroux, et enfin transféré à Salers en 1564. Le bailliage royal n'avait pas d'abord de résidence fixe; il dut même se confondre avec le bailliage ducal après la mort d'Alphonse, en 1271, jusqu'à la création d'un nouvel apanage en faveur de Jean, en 1360, parce que, pendant cet intervalle do 89 ans, la terre d'Auvergne avait fait retour à la couronne.

Mais, lorsque Jean eut, en 1360, pris possession de son apanage, il se présenta uqe occasion favorable pour fixer, à Aurillac, le bailliage royal; on se garda bien de la laisser échapper.

Dans l'acte de constitution d'apanage, le roi Jean s'était expressément réservé la garde des églises cathédrales et de fondation royale, suivant la politique que j'ai déja indiquée; il avait même, pour constater ce droit, envoyé à toutes les églises d'Auvergne des lettres de sauve-garde; celles de notre abbaye sont à la date du 22 décembre 1362. En conséquence, les églises d'Auvergne soutinrent qu'elles ne devaient pas ressortir du duché, et refusèrent de reconnaître le bailli du duc; premier procès. «

D'autre part, le duc, ayant obtenu du roi la permission de lever, dans sa terre d'Auvergne, un franc et un florin par feu, ses officiers voulurent percevoir cette imposition à Aurillac et dans le Garladez. Les habitants prétendirent, à bon droit, qu'ils ne faisaient pas partie de la terre d'Auvergne et refusèrent le paiement, les armes à la main; il y eut du sang répandu de part et d'autre; second procès.

En conséquence, Charles V, par lettres-patentes du mois de juillet 1366, ordonna provisoirement que les procès soit des exempts, c'est-à-dire des terres ecclésiastiques, qui se disaient exemptes de la juridiction ducale, soit des habitants d'Aurillac, ressortiraient au bailliage de St-Pierre-le-Moûtier, son siége le plus proche. Mais, St-Pierre-le-Moûtier était a 50 lieues d'Aurillac; il était dispendieux et pénible d'aller plaider devant un juge aussi éloigné. Aussi regarda-t-on comme une faveur l'établissement d'un lieutenant de ce bailli à Aurillac. Ce fut Pierre Dalzon, bourgeois d'Aurillac, qui fut investi de cette lieutenance; et je trouve une sentence rendue par lui dès le 16 février 1368; une autre du 17 du même mois; une troisième du 16 octobre 1369 en faveur de l'abbé, du vicomte de Cariât et des consuls, contre les officiers du duc de Berri et d'Auvergne, qui voulaient encore les contraindre à payer une imposition jetée sur le duché.

Voilà comment le bailliage fut établi à Aurillac. Le 24 janvier 1370 Charles V accorda de nouvelles lettres de sauvegarde à la ville et à l'abbaye. Le 13 septembre 1371 le juge de l'abbé protesta en vain contre l'exercice, à Aurillac, de la justice royale. Le roi confirma, au mois d'août 1372, le mandeburdum de Charles-le-Simple; il évoqua, le 21 décembre même année, le procès pendant entre les consuls et le duc de Berri; le 15 mai 1376 il fit défense aux ducs de Berri et d'Auvergne de s'attribuer la justice sur les terres des exempts, et, grâces au concours des intérêts de l'abbé et des consuls, son bailli continua à résider à Aurillac.

Le bailliage n'était qu'un premier degré de juridiction, et beaucoup d'affaires, susceptibles d'appel, ne méritaient pas l'honneur d'être soumises au parlement de Paris. Or, le bailliage d'Aurillac s'étendait, d'après les lettres-patentes du mois d'août 1372, sur toutes les terres des exempts du haut-pays d'Auvergne, et en 1523 on l'avait démembré pour instituer à St-Flour un bailliage nouveau. On crut donc nécessaire d'établir à Aurillac, en 1361, un siége présidial auquel ressortiraient les bailliages de Vie et de St-Flour. Le présidial connaissait, par appel et en dernier ressort, de toutes causes ue dépassant pas 230 livres une fois payées, ou 10 Iiv. de revenu.

Cependant, l'abbé d'Aurillac conservait toujours sa justice seigneuriale; il maintenait son juge et ses attributions anciennes, notamment pour le criminel et la police. Cet état de choses, source continuelle de conflits, dura jusqu'en 1748, époque à laquelle Mgr du Barral la céda au roi, sous quelques réserves. Le bailliage et le présidial, réunissant alors toutes les attributions judiciaires, furent composés: 1° d'un lieutenant-général civil et d'un lieutenant-général criminel qui étaient, en même temps, présidents; 2° d'un lieutenant particulier; 3° d'un assesseur civil et criminel; 4° d'un chevalier d'honneur qui siégeait l'épée au côté; 5° de neuf conseillers. Le parquet se composait d'un procureur du roi, de deux avocats du roi et d'un substitut du procureur du roi. Il y avait, en outre, un conseiller du roi, receveur des consignations et commissaire aux saisies réelles ; un receveur des émoluments du sceau de la chancellerie présidiale, et deux greffiers, l'un civil et l'autre criminel.

De l'élection. — II fut en outre créé à Aurillac, en 1629, une élection, c'est-à-dire une juridiction qui connaissait, en premier ressort, des différends concernant les tailles, subsides, aides et autres impôts. Elle était composée d'un président, d'un lieutenant, de deux conseillers, d'un procureur du roi et d'un greffier. Elle avait dans son ressort 95 paroisses.

La création de toutes ces charges devint fort onéreuse pour la ville, pat ce nue, d'une part, les officiers de l'élection étaient exempts de la taille en raison de leurs charges, et que, de l'autre, ceux du présidial s'en firent exempter moyennant finance. Mais les consuls, en vertu des titres anciens que j'ai fait connaître, les contraignirent toujours, les uns et les autres, à paver leur part des dépenses municipales; en ce qui les concernait ils ne souffraient pas de privilège.