cp

LE CHATEAU.

Le bourg de Carlat est dominé par une énorme roche de basalte qui supportait jadis un château fort dont l'origine se perd dans la nuit des siècles et qui, au moyen âge, passait pour la plus forte place de l'Aquitaine. Le vaste plateau basaltique sur lequel il était assis, n'a guère moins de 40 mètres de hauteur; il est isolé, taillé à pic de tous côtés et entouré d'horribles précipices qui en rendent l'abord presque impossible. Un chemin très-étroit, creusé en zig-zag, de main d'homme, dans le roc vif, en permet seul l'accès. Ainsi, à l'abri de la sape, de la mine et de l'escalade, et d'ailleurs défendu à la crête du rocher par une ligne continue de murs épais, de bastions et de hautes tours crénelées, constructions à la fois gigantesques et solides, qui rendaient impuissante l'action des engins de guerre employés avant l'usage de la poudre, le château de Carlat pouvait braver les attaques les plus vigoureuses; aussi le fit-il mainte fois impunément; et si, dans certaines circonstances, il fut soumis, l'ennemi ne dut jamais ses succès qu'à la ruse, à la famine ou à la trahison (Annales de Saint-Bertin , Deluguet, Sistrières, Audigier, etc., etc.).

Outre la ligne de forts qui couronnait le plateau dans tout son développement, il y avait à l'intérieur, comme dernier retranchement, une vaste place d'armes flanquée de grosses tours qu'on avait baptisées des noms de Tour-Noire, Tour-Guillot, Tour-Margot, Tour-St-Jean. Sur les côtés, régnaient les bâtiments militaires, l'hôtel du gouverneur, le palais appelé Bridoré, résidence des vicomtes; une église qui fut longtemps paroissiale; un couvent de religieuses , et une commanderie que l'ordre de Saînt-Jean-de-Jérusalem avait recueillie de la dépouille des templiers, après leur suppression , en 1312. En dehors du principal corps de la place, à quelque distance de la base du rocher, régnait tout autour un mur de circonvallation. Ce mur, nommé la Fausse Braye, avait 4 mèt. d'épaisseur et 400 mèt. de développement; il y a lieu de croire que sa construction était de beaucoup postérieure à celle du château, et qu'elle était l'œuvre de Jean de France, duc de Berry, que Deluguet a nomme le grand bâtisseur, ou bien celle des d'Armagnac, au XV° siècle.

On fait remonter l'ancienneté du château de Carlat à l'époque de la domination romaine, ce qui n'a rien d'invraisemblable; certains auteurs ont même cru en reconnaître la description dans l'une des épîtres de Sidoine-Apollinaire; mais ce point a été contesté par d'autres érudits dont les objections paraissent fondées.

Désireux de nous appuyer autant que faire se pourra sur des preuves de quelque valeur, nous n’adopterons pas tout ce qui a été écrit sur Carlat; mais si nous admettons que cette citadelle existait déjà dans ces temps reculés , il nous sera impossible de méconnaître l'importance du rôle qu'elle dut jouer, placée comme elle l'était à la base du mont Cantal, a l'extrémité méridionale de l'Auvergne , alors que cette province Adèle devint le dernier rempart de l'empire de Rome dans les Gaules, envahi par les Goths , les Visigoths et les Francs, qui s'en disputaient les lambeaux (420-472).

Le fait avancé par des écrivains modernes que la forteresse de Carlat aurait un instant arrêté les armes victorieuses de Clovis après la célèbre bataille de Vouillé, en 507, n'est pas suffisamment prouvé, nous en convenons; Grégoire-de-Tours, auteur presque contemporain et Auvergnat, n'en parle pas; toutefois, il ne faut pas oublier que les écrits de ce saint évêque témoignent d'une préférence marquée pour les Francs dont il aimait à louer les actions , à vanter les succès, et que, dans cette disposition d'esprit, il a pu ne pas tenir compte de certaines circonstances de détail favorables à leurs adversaires. Nous nous croyons donc autorisés à considérer comme vraisemblable l'événement dont il s'agit, avec d'autant plus de fondement, que l'histoire vient au secours de notre opinion. En effet, elle nous apprend que les Auvergnats, alors soumis aux Visigoths, combattirent vaillamment pour eux, combattirent même presque seuls à Vouillé. L'élite de leurs guerriers y périt, il est vrai, accablée par le nombre; mais il est permis de croire que, loin d'abattre le courage d'une nation aussi belliqueuse, déterminée à défendre ses foyers , cette défaite dut au contraire exalter son patriotisme , doubler son énergie, et c'est d'elle .assurément et de ses alliés les Ruthènes et les Vélaunes, dont l'histoire a fait mention quand elle a dit que les peuples qui habitaient entre la Dordogne, la Garonne et le Rhône avaient multiplié les obstacles sur les pas de Thierry, leur terrible oppresseur. Dans des circonstances aussi graves, aussi solennelles, la position inexpugnable de Carlat fut-elle négligée? On ne peut le supposer.

L'importance de cette forteresse dut s'accroître encore lorsque l'Auvergne eut tant à souffrir des irruptions soudaines des Barbares, si fréquentes en ces temps- là, et surtout durant ces luttes opiniâtres que les ducs d'Aquitaine et de Gascogne, descendants de Clovis, soutinrent contre les Carlovingiens au VIII° siècle.

Cependant, pour être exact, nous devons dire que la première fois dont il est fait nominativement mention de Carlat dans l'histoire, c'est sous le règne de Louis-le-Débonnaire, et voici à quelle occasion : Avant de s'asseoir sur le trône de Charlemagne, son glorieux père, Louis était roi d'Aquitaine , et il avait en pour successeur dans ce pays, en 814, un fils du premier lit qui régna sous le nom de Pepin I°; mais à la mort de celui-ci, en 838, et sans égard pour les enfants qu'il laissait, l'empereur disposa de la couronne d'Aquitaine en faveur de Charles, son fils du second lit, qui fut plus tard empereur sous le nom de Charles-le-Chauve. Les seigneurs aquitains, mécontents de ce choix, se déclarèrent pour Pepin II, fils du roi défunt, et prétendirent le soutenir par la force des armes. A cette nouvelle, Louis-le-Débonnaire, irrité, s'achemina en Auvergne à la tête d'une puissante armée; à son approche, les résolutions fléchirent, la plupart des villes et châteaux se soumirent, la forteresse de Carlat seule osa résister, et sans l'entremise de Gérard, comte d'Auvergne,beau-frère de Pepin II, qui ménagea un accommodement, peut-être le monarque français aurait-il échoué dans son entreprise. Il est constant du moins qu'il se hâta de se réfugier à Poitiers, et ce ne fut pas sans avoir couru de grands dangers (Annales de St-Bertin. Dom Bouquet, t. VI, p. 203. — Dom Vaissctte , t. i, p. 525. — Fauriel, t. iv, p. 184 et suiv. — L'Ancienne Auvergne, t. it, p. 31-32).

Le château de Carlat, dont l'histoire se liera désormais à celle de ses vicomtes, fut encore assiégé ou surpris plusieurs fois, savoir : à la suite d'une défaite éprouvée par la noblesse du pays, dans un combat livré en 1370 aux Anglais qui s'en emparèrent; ils en furent chassés par les ducs de Berry et de Bourbon, réunis en 1372. L'année suivante, Mérigot-Marchés, chef de pillards, s'en saisit par ruse et le rendit pour de l'argent, en 1377. Les Anglo-Gascons l'occupèrent de nouveau en 1379 et 1387, et ne consentirent à l'évacuer, en 1389, que moyennant une grosse somme négociée par le comte d'Armagnac, au nom des Etats de la province, qui la payèrent. En 1469 et 1476, le château de Carlat, dans lequel s'était enfermé Jacques d'Armagnac, vicomte du lieu, alors rebelle, eut à subir deux nouveaux siéges; le premier ne dura pas moins de dix-huit mois; le second, de plus courte durée, fut suivi de l'arrestation et du supplice du prince révolté. De 1568 à 1583, Carlat tomba successivement au pouvoir des protestants et des catholiques, et, en 1602, une femme courageuse, profondément blessée dans ses affections d’épouse, y brava la toute puissance du gouverneur de la Haute-Auvergne qui dut compter avec elle. Cet événement a été le dernier de l'existence de Carlat comme forteresse, celle-ci ayant été rasée par ordre de Henri IV, en 1603.

Ces divers faits d'armes, que nous venons de grouper à la hâte, se présenteront de nouveau sous notre plume au fur et à mesure que nous avancerons dans la chronologie qui va suivre, et alors nous ajouterons quelques détails, autant du moins que peut le comporter le cadre restreint dans lequel nous sommes obligé de nous renfermer.