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Ils ont travaillé aux champs toute la journée et, malgré cela, ou à cause de cela, l’envie de se dégourdir les jambes est la plus forte et les voilà partis rendre visite aux « exilés » de la montagne, ceux dont le travail ne s’arrête jamais, pour préparer et partager l’un des plats les plus emblématiques du pays, la truffade !

Truffado au buronVestige de buron et sa cave

La truffado au buron

Un soir de la fin août, après la fenaison,
Oubliant les travaux, quelques jeunes garçons
Désertent la vallée, escaladent les cimes,
Pour passer au buron une soirée intime.

Sur le pas du buron, irradiant de gaîté,
Le berger, le vacher, exilés de l’été
Qui passent la journée face à la solitude,
Accueillent les amis avec sollicitude.

Les jeunes visiteurs, en sueur, essoufflés
Déposent sur le sol leurs musettes gonflées ;
Il faut des provisions pour bien faire la fête,
la truffado sans vin serait bien indigeste.

Le travail du vacher ne peut pas s’arrêter,
Les saluts échangés, il reprend le métier :
Au levier du pressoir il soulève la pierre,
retourne l’encala et à nouveau le serre.

Eclairés d’un falot suivant la tradition
Sous le roc de la cave, presque avec émotion
Les jeunes, connaisseurs, apprécient sous le pouce
Les fourmes de cantal à la croûte un peu rousse.

Suivi de son labri le berger sans sabot,
A l’aide du bâton, rassemble son troupeau,
Le pousse vers le parc au rythme des clarines,
Dans les derniers rayons du soleil qui décline.

Comme sur un bateau, le vacher, après dieu,
Seul maître au buron, sous la clarté des cieux,
Fait à l’étable à veaux, au parc, une visite.
Rassuré il revient, tout va, rien d’insolite.

Pour ne pas réchauffer la fraîcheur du buron,
Sur un feu extérieur, tous ces jeunes lurons
Mijotent le repas dans les chants et les rires ;
Déjà dans le poêlon la truffado s’étire.

C’est l’heure du festin, comme de jeunes loups
Les hôtes et les convives, assis sur un garlou,
Une selle ou par terre, à même dans la poêle
Chacun prend son morceau, sous les yeux des étoiles.

Sur un harmonica un gars joue la bourrée,
Une vraie bien scandée, une pause, un arrêt,
A la gourde de vin il boit une rasade
Puis reprend, pour la lune, sa belle sérénade.

La joie de la soirée, la truffado, le vin
Réveillent les chansons et dans ce coin divin
Des monts du haut Cantal s’élève la Yoyette
Que mélange l’écho au bruit des castagnettes.

La lune dans le ciel a fait un long chemin,
La fête est terminée, il est bientôt demain,
A leurs pieds la vallée n’est plus qu’un grand trou sombre,
La masse du Griou se fond dans la pénombre.

Dessus le vedelat, dans la grangée de foin,
A tâtons, en jurant, chacun cherche avec soin
Un espace douillet pour un lit de fortune,
Vite il s’endort bordé par un rayon de lune.

L’étoile du berger cède le pas au ciel
A un jour naissant inondé de soleil.
La montagne s’éveille, les gars payent leurs dettes
En aidant le vacher pour la première traite.

Un festin au buron hélas ! c’est du passé,
Le mazuc par l’homme et les bêtes est délaissé.
Ce jour la truffado, menu gastronomique
A perdu, croyez moi sa saveur folklorique.

Jean Baptiste Manhes (août 1985)

 

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