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On m’indique la chambre dans cette partie de l’hôpital où personne ne vient visiter ces malades qui font peur.

Ses yeux ouverts dans un visage d’une extrême maigreur m’accueillent.

« Roland Favrail. J’étais le mari d’Élisabeth, cette prof aurillacoise que vous avec connue. »

Il ne dit rien. Il m’observe. Un signe de tête m’invite à approcher.

« Puisque vous êtes là vous savez. Que me voulez-vous ? Me faire la leçon ? C’est bien inutile. »

« Je n’ai de leçon à donner à personne. Je voulais vous connaître. Élisabeth est séropositive. Moi aussi, tout comme mon amie. »

« C’est beaucoup. J’aurais dû…mais personne ne m’a ménagé. Là c’était vraiment stupide. Elle ne voulait pas. J’étais en manque de tout. Je faisais n’importe quoi. Aujourd’hui j’ai compris, mais c’est trop tard. »

Je ne dis rien. Il faut qu’il parle.

«Je suis seul depuis que je suis né. Ma mère ne me voulait pas. Personne ne m’a jamais voulu. Si ce n’est des paumés qui s’accrochaient à moi comme je me collais à eux. Pour quelques heures ou quelques mois. »

Il ferme les yeux.

Il pourrait être mon fils.

Il n’est coupable de rien. Comme il a dû souffrir.

« Merci d’être venu et de m’avoir écouté sans juger. »

« De quel droit l’aurais-je fait ? Ce que je tiens de vous, vous l’avez reçu d’un autre. Si vous aviez eu l’amour dû à chaque enfant, vous ne seriez pas là. «

Je vois une larme couler vers son menton.

Je prends sa main glacée dans la mienne. Je la sens vivre.

J’ai bien fait de venir. Peut-être un peu pour lui, mais aussi, surtout, pour moi. Cette maladie ne doit plus s’étendre. Il faut sauver ceux qui lui ressemblent : les exclus, les paumés, tous ceux que la société rejette. Je vais les aider. Pour lui c’est trop tard, mais il en reste tant. Je vais rejoindre une association. Tous doivent comprendre qu’ils sont concernés.

Une infirmière entre en coup de vent : « vous êtes un parent de Luc ? »

« Un ami. »

« Il a dû vous dire que nous ne pouvons plus rien.. »

« Si » dit Luc « m’aider à partir. »

Je demande : « est-ce possible ? »

Elle hausse les épaules sans répondre.

« Je viens d’apprendre que j’étais séropositif. En recherchant qui…je suis arrivé jusqu’à lui. »

Elle regarde nos mains et sourit : « c’est bien. Je n’aurais jamais espéré pour lui…il est si seul…si vous voulez me parler…je suis à côté. »

Je passe la nuit dans la chambre de Luc. De temps en temps je prends sa main. Ses yeux s’ouvrent dès que je bouge. Je le rassure : « je ne partirai pas. »

On m’apporte un plateau repas. Je m’allonge sur le lit voisin sans penser ni dormir. Je suis bien. Je sais que je suis utile comme je ne l’ai peut-être jamais été.

Il n’est pas seul.

Quelqu’un sera-t-il près de moi à la fin ?

L’ouverture de la porte me réveille.

Un médecin examine Luc qui semble dort encore.

« C’est fini. Vous lui avez fait un cadeau inestimable. »

« Je pense que c’est plutôt lui…je viendrai vous voir bientôt. Je suis séropositif. »

« Je vous recevrai dès que vous le voudrez. Laissez votre nom au secrétariat. »

 



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Je retrouve ma voiture et décide de rentrer.

Je suis bien. Comme je ne l’ai pas été depuis longtemps.

Je m’arrête devant un hôtel et j’appelle Carine.

« Où es-tu ? »

« Á une centaine de kilomètres de Paris. Il est mort ce matin. J’ai passé la nuit près de lui. Je te raconterai. Je vais dormir un peu. Je te rappellerai après. »

« Tu vas bien ? »

« Je suis apaisé. Juste un peu fatigué. Je vais lutter avec tous ces jeunes. Combattre la propagation de la maladie. Tu voudras bien m’aider ? »

« Bien sûr. Repose-toi. Je t’attends. »

J’entends une voix : « Madame, on vous demande. »

Carine est dans son magasin. Au milieu des vendeuses et des clients. Á des années lumière de mes préoccupations. Le téléphone met les gens en relation, mais de là à les faire communiquer ! Il est souvent un intrus, bien incapable de réunir.

Je me réveille en paix. Le regard de Luc est avec moi. Je le conserverai.

Me faut-il une raison pour vivre ?

Que me manque-t-il ? Je n’ai pas à rougir de mes actions passées. Mes petits-enfants sont beaux. Je suis encore aimé.

Il me faudrait une cause à défendre, des combats à mener…jusqu’où ?


Je passe voir Élisabeth pour lui parler de Luc. Lui dire que… Tout dépendra de son humeur.

« Tu peux chercher dans ta vie de débauche l’une de celles avec qui tu… »

« Que t’arrive-t-il encore ? »

Elle a retrouvé son allure habituelle. Maquillée, bien coiffée, serrée dans son tailleur comme dans une cuirasse.

« Ou alors c’est elle. Avec tous les hommes… »

« Luc est mort. J’ai partagé sa dernière nuit. C’était une victime. Je suis heureux de l’avoir rencontré. Je vais lutter pour tous ces jeunes… »

« Il n’est pour rien dans ton état. Ce n’est pas lui qui t’a contaminé. »

« Mais il m’a confirmé cette soirée où…il m’a dit ton refus… »

« Je ne parle pas de ça. Je n’aurais jamais dû te le dire… »

« Il le fallait bien puisque c’est l’origine de… »

« Rien du tout. Je te le dis mais tu n’écoutes pas : lis les résultats de mon analyse ! »

Laboratoire d’analyses de biologie médicale.

Immunologie.

Recherche d’Ac anti VIH 1+2 Négative par deux techniques «(genelavia mixte Pasteur et Vidas Biomérieux)

« Négative ! Mais ce n’est pas possible ? Il n’y a personne d’autre ! »

« C’est ton problème. Et celui de cette femme. Vous n’avez qu’à chercher dans vos passés d’irresponsables. C’est sans doute une aventure exotique au cours de vos voyages. Elle a dû rencontrer un beau métis sur une plage tropicale. »

Je pourrais la frapper.

Je suis littéralement assommé.

Carine aurait…Mais c’est idiot ! Je suis complètement fou.

Mais alors comment ?

Nous ne nous sommes jamais quittés.

Je suis vide. Mon cerveau ne fonctionne plus. Je retrouve l’état qui était le mien, enfant, quand l’infini me paniquait, avec la mort, l’univers sans fin…


Je reprends la voiture.

Carine.

C’est impossible.

Par qui ce virus ?

Le sexe et le sang. Le sang et le sexe.

Un inconnu aurait pu nous piquer avec une seringue infectée ?


Je revois les myriades de moustiques. Je me levais la nuit pour chasser les vampires insatiables.

Souvent nous avons évoqué cette possibilité. Quand nous écrasions sur notre joue ou notre jambe un de ces suceurs, une tache de sang se répandait. Le nôtre, et peut-être aussi celui de sa précédente victime. Pourquoi un virus n’aurait-il pu pénétrer par notre blessure ? Celui du Chicoungugna le fait bien. Les médecins affirment qu’aucun cas n’a jamais été relevé. Qu’en savent-ils au juste ? En le disant ils déclencheraient une panique incontrôlable qui viderait la Réunion, les Antilles, Maurice, et tous les pays tropicaux de leurs touristes. Même le sud de la France, l’Italie, l’Espagne…

Nous devrons rencontrer un spécialiste. Nous irons voir le médecin qui soignait Luc.


Toutes ces inquiétudes pour rien.

Nous avons transmis nos suspicions en cascades.


Il fait nuit quand je pousse la porte de notre maison des bois.

Des bougies égaient la table tout habillée de fête.

Carine est près du feu.

Je vais vivre le présent.

Prendre le positif.





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JC Champeil