Blaise Bonnevide est né le 12 juillet 1824 dans une ferme à La Trinitat (Cantal). Il est l'avant-dernier des six enfants de Jérome Pierre Bonnevide et Antoinette Brand'hui. Ces derniers décèdent à quelques jours d'intervalle en 1849 et, conformément à l'usage, c'est l'aîné de la fratrie qui reprend les rênes de l'exploitation familiale.
Panotype de Blaise Bonnevide réalisé à Madrid en 1857
Alors âgé de 25 ans, Blaise qui exerçait jusque-là le métier de scieur de long, quitte La Trinitat pour Paris où il va exercer le métier de cireur de parquet, comme tant d'autres compatriotes auvergnats.
La Trinitad, au sud de Chaudes-Aigues
A Paris, il rencontre Anne Monvallat (1834-1868), passementière originaire d'Espinasse (Cantal) où ils se marient en 1854, il a 30 ans, elle en a 20, ils auront 4 enfants :
- Marie-Nathalie née le 13 mars 1855 à Paris
- Pierre-Félix né le 11 janvier 1857 à Espinasse (Cantal)
- Marie née en 1861 et décédée en 1865 à l'âge de 4 ans
- Nathalie-Marie née le 29 juillet 1868 à Paris
Malgré leurs recherches, les spécialistes ne sont pas (encore) parvenus à comprendre comme de cireur de parquet à la date de son mariage en 1854, Blaise Bonnevide est devenu photographe en 1857. C'est ce que nous apprend le passe-port (sic) à l'étranger établi à cette période qui lui attribue la profession de daguerreotypeur (avec un « i » à la place du « y »), on y apprend également qu'il mesure 1,73 m. On sait qu'il part accompagné d'un certain Sylvain Galtier, « propriétaire », originaire de l'Aveyron grâce à l'existence d'un autre passeport établi à ce nom, le même jour, pour la même destination (San Sébastian en Espagne). A cette époque non seulement, on voyage souvent accompagné mais il faut, en plus, tenir compte de l'encombrement du matériel photographique (studio et matériel) ; bref, une paire de bras supplémentaire n'était pas du luxe.
Le maréchal Serrano - Photographie sur toile peinte et vernie effectuée par Bonnevide (Musée de l’Université de Navarre)
En Espagne, Blaise Bonnevide fut le photographe de la reine Isabel II de Bourbon, c'est une mention manuscrite au dos d'un ferrotype, réalisé par Blaise Bonnevide en 1858, qui nous en informe, une sortie de négatif d'information : « Le Maréchal de Serrano amant de la reine Isabelle, jaloux, il obtint d'elle qu'elle éloigne le photographie Bonnevide de la Cour ». Notre photographe cantalou aurait-il été un joli cœur ? Il semble, en tout cas, qu'il ait ravi celui de la reine Isabelle pendant quelques temps. Pour la petite histoire, précisons que cet amant jaloux est également celui qui aura contribuera à la chute de la reine Isabelle II en 1868 à l'issue d'un règne tumultueux.
Voici donc notre Blaise Bonnevide sur les routes espagnoles et portugaises. C'est grâce aux annonces qu'il fait passer dans la presse locale (et à la numérisation des journaux qui nous permet d'y avoir accès), qu'on suit à peu près son parcours entrecoupé d'allers-retours à Paris. Il est à noter que début janvier 1860 Bonnevide est à Porto (voir annonce ci-dessous), Galtier, par sa part, est annoncé à Santander, à la mi-janvier de la même année, leurs chemins ont donc dû se séparer à un moment ou un autre.
Annonce parue dans le journal de Porto le 10 janvier 1860
Mr Bonnevide ARTISTE PEINTRE PHOTOGRAPHE Il vient d'arriver d'Espagne, où il est le plus reconnu et offre ses services à ce public. Réalise parfaitement toute la qualité des portraits et des groupes de tailles différentes sur huilage en noir ou couleur, inaltérable à l'humidité garantissant son travail. Les prix sont à partir de 1000 reis.Il vend également des appareils photographiques de toutes tailles et donne des cours à ceux qui souhaitent apprendre. Il travaille par tous les temps, tous les jours, de 8 h à 4 h (NDLR : 16 h) au 252 rue Formoza, domicile de l'ancien Tivoli. |
A la lecture de cette annonce, nous apprenons qu'il était également peintre, probablement à partir de photographie. S'il voyageait si lourdement chargé c'est parce qu'il partait avec du matériel destiné à la vente, un moyen de gagner un peu d'argent et de faire le voyage retour plus léger. Enfin, il partageait son savoir gratuitement avec ceux qui le souhaitaient (sans doute se paie t-il sur la vente de matériel ?) comme nous l'apprennent les annonces parues dans la presse.
Le 30 décembre 1860 dans un journal de Valladolid
« … Ledit monsieur admet des disciples auxquels il expliquera la procédure nécessaire en quelques leçons, sans exiger aucune compensation jusqu'à ce qu'ils soient pleinement instruits... » |
Ce n'est pas une proposition isolée puisque la même offre est retrouvée dans le Bulletin Officiel de la province de Burgos paru le 30 mai 1861, etc. Malheureusement quasiment aucune photographie de cette période n'est parvenue jusqu'à nous.
Entretemps, à l'occasion d'un retour à Paris durant l'été 1860, il fait l'acquisition, avec son épouse, d'un immeuble au 9 rue Bachelet dans le 18e arrondissement pour la coquette somme de 40 000 francs (environ 150 000 €) dont le couple tirera des revenus réguliers.
Félix Bonnevide né le 12 janvier 1857 (Espinasse, Cantal)
Les liens avec le Cantal ne sont pas rompus, après la naissance de leur seul fils à Espinasse en 1857, nous savons qu'en octobre 1860, Blaise Bonnevide et son épouse résident à Chaudes-aigues. C'est la procuration donnée à son épouse pour gérer et administrer ses biens qui nous apprend qu'il est à nouveau en partance pour l'Espagne ; parallèlement, son beau-frère, Jean-Pierre Monvallat, habitant à Saint-Martial (Cantal) fait la même démarche pour sa propre épouse, son passeport daté du 22 octobre 1860 nous apprend qu'il part en Espagne en qualité de photographe, probablement initié par Blaise. L'aventure continue en famille.
En 1862, c'est en couple que le photographe cantalien se rend à Valladolid, en témoigne une procuration donnée à Pierre Raynal le 17 mars 1862, stipulant : « M. Blaise Bonnevide et Mme Anne Monvallant, son épouse, demeurent ensemble à Valladolid ».
Les allers-retours se succèdent (Burgos, Palancia, Valladolid, etc) comme l'attestent les nombreuses annonces parues dans la presse espagnole. A la fin de l'année 1863, le duo Blaise Bonnevide/Sylvain Galtier se reforme, ce dernier ayant semble t-il acquis une certain statut en tant que pionnier de l'enseignement de la photographe en Espagne. Ils partent ensemble aux Baléares et s'installent pour 3 mois à Palma de Majorque comme en témoigne cette annonce paru dans Le quotidien de Palma le 1er décembre 1863.
L’annonce dit qu'ils ont voyagé à travers la France, le Portugal, l’Espagne et l'Allemagne mais rien n'est certain pour cette dernière
On ne sait pas grand chose de ce qu'il advient d'eux après leur départ de Palma, sont-ils partis ensemble ? Vers l'Afrique ? Se sont-ils séparés ? Une seule certitude, Galtier s'est marié le 13 juillet 1866 à Cransac (Aveyron) avec une Espagnole originaire de la province de Biscaye (Espagne).
En 1865, la petite Marie Bonnevide décède à l'âge de 4 ans. En 1867, le couple Bonnevide contracte un emprunt pour faire des travaux dans sa propriété de la rue Bachelet à Paris et la présence de Blaise est attesté à l'Exposition Universelle, également appelée Exposition universelle d'art et d'industrie, de la même année. Peut-être a t-il puisé là l'envie de partir plus loin ?
Le 29 juillet 1868 nait Marie-Nathalie, 4e et dernier enfant de Blaise Bonnevide, au 9 rue Bachelet à Paris. Trois mois plus tard, Anne Monvallat, épouse de Blaise décède, le laissant veuf avec 3 enfants à charge, âgés de 13 et 11 ans ainsi que d'un nourrisson. Un conseil de famille en confie la charge au frère de la défunte, Pierre-Jean Monvallat.
Veuf et déchargé de ses responsabilités familiales, Blaise Bonnevide part en Argentine (parlant l'espagnol, il accompagne un cousin parti récupérer la succession de son père) en route, il s'arrête en Afrique de l'Ouest (Côte d'Afrique) entre 1869 et 1870. De cette époque date ses premières photographies du Sénégal. Il réalise de nombreux portraits de familles noires ou métisses et de chefs traditionnels, à Gorée, Saint-Louis du Sénégal, Dakar, etc.Recto d'une CDV de Bonnevide
Le format "portrait carte-de-visite"
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Au printemps 1871, on retrouve la trace de Blaise Bonnevide à Saint-Flour où il ouvre un atelier photographique – en témoignent des annonces passées dans la presse locale – il est aidé d'un jeune homme auquel il enseigne le métier, Antoine Boutal (1850-1916). Ce dernier deviendra son gendre en septembre de la même année en épousant Marie-Nathalie, l'aînée de ses enfants, âgée de 16 ans, à La Trinitat. Sans doute revoit-il également sa petite dernière, Nathalie-Marie confiée à son beau-frère, Pierre-Jean Monvallant depuis 3 ans. Visiblement, la famille manquait d'imagination concernant les prénoms de leurs filles (Marie-Nathalie et vice-versa).
La période photographique saint-floraine tourne court – peut-être laisse-t-il l'atelier entre les mains de son gendre - toujours est-il que Blaise Bonnevide repart en Afrique fin 1871, puis en Argentine où, en 1873, il passe des annonces dans la presse locale, avant de retourner au Sénégal en 1877 et/ou en 1878, il a alors 53 ans, il semble qu'il soit alors accompagné par son neveu, le jeune Louis Hostalier (1862-1924), fils de Marie Monvallant, elle-même sœur de l'épouse de Blaise. L'aventure photographique oui, mais toujours en famille. Blaise Bonnevide multiplie donc les allers-retours et participe officiellement à l'exposition universelle de Paris en 1878.
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En 1891, alors qu'il est veuf depuis depuis plus de 20 ans, il se remarie avec Marie Barlier, sa belle-soeur. Les registres d'Etat-Civil en témoignent, cette dernière est la veuve de Pierre-Jean Monvallant, le frère de sa première épouse, Anne Monvallant, décédé à Paris en 1888. Peut-être une manière de répondre à leur solitude respective ? Quoiqu'il en soit, ce mariage est de courte durée puisque Marie Barlier décède en 1895, à l'âge de 62 ans. Blaise Bonnevide a alors 71 ans.
Le flambeau est repris par le fils de Blaise, Félix Bonnevide (1857-1935), information qu'on apprend à la lecture de sa fiche militaire sur laquelle est mentionnée le métier de « photographe ». Il a pu être initié à la photographie à la fois par son oncle, Pierre-Jean Monvallant, qui l'a élevé au décès de sa mère et par son père lors de ses passages dans le Cantal. Il est souvent difficile de distinguer les photographies prises par le père de celles prises par le fils. Dakar : atelier de bijoutiers forgerons
A son tour, Félix Bonnevide se rendra en Afrique (1882-83), transitera aux Canaries, avant de rentrer à Paris en juin 1883. A la fin de l'année, il s'associe avec son cousin, Louis Hostalier, formé par Bonnevide père quelques années plus tôt et repart en Afrique, il séjourne à Saint-Louis du Sénégal, Rufisque, Dakar (Sénégal), à Freetown (Sierra Leone).
Louis Hostalier se marie à Paris en octobre 1886, Félix le 3 août 1887 à Saint-Georges (Cantal). Les deux cousins repartent une nouvelle fois à Saint-Louis du Sénégal. Félix rentre définitivement en 1890, il est resté 10 ans en Afrique (allers-retours), Louis a racheté la succursale de son cousin Félix à Saint-Louis du Sénégal où il est resté 20 ans.
Acte de mariage de Félix Bonnevide à Saint-Georges (Cantal) l 3 août 1887 portant la signature de Félix.L'aventure de Félix Bonnevide se poursuit à Rodez (Aveyron), il rachète un atelier de photographie mais l'expérience tourne court, il met fin à sa carrière de photographe et devient marchand de vin à Issoire où sont nées ses deux filles en 1888 et 1891.
Apparemment, vers 1893, on retrouve le gendre de Blaise, Antoine Boutal, aux côtés de Louis Hostalier à Saint-Louis du Sénégal mais les deux hommes se séparent assez rapidement, et Antoine part à Dakar rejoindre les frères Noal, cousins des Bonnevide par la branche maternelle mais ceci est une autre histoire puisque les frères photographes sont originaires de la Lozère.
Au final, ce sont non pas un, non pas deux, mais 5 membres d'une même famille, originaires de la région de Chaudes-Aigues (Cantal) qui ont parcouru les mers, bardés de leur lourd matériel photographique pour documenter l'approche coloniale française et se positionner sur un marché émergent.
DTF, mai 2025
Sources :L'album de JEP (Jep Martí Baiget) en espagnolRecueil de Paysages et types de moeurs du Senegal, album de 76 photographies sur le site de GallicaGarcia Patrice, Combes Lionel (2024). Histoire de la photographie à la Côte occidentale d'Afrique au XIXe. IRPHOM.