Les petites routes du Cantal réservent bien souvent des surprises. C’est le cas de la route qui relie Raulhac à Vic-sur-Cère, en passant par Jou-sous-Monjou, 102 habitants en 2017 (519 en 1846) et là, il n‘y a pas d’autre solution que de garer la voiture sur le petit parking qui la jouxte.
Qui jouxte qui, qui jouxte quoi ? L’église Notre-Dame de l’Assomption de Jou sous Monjou bien sûr, ainsi nommée depuis 1317. Son chevet en bord de route pourrait laisser penser qu’elle boude en tournant ainsi le dos au passant.
D’hier à aujourd’hui :
D’ordinaire plus bavard, Jean-Baptiste De Ribier du Châtelet, dans son Dictionnaire Statistique du Cantal, affirme juste qu’ « il y avait, en 1540, une communauté de prêtres. C'était un prieuré peu considérable, annexé à celui de St-Julien-du-Pont, près de Florac (Lozère); il était à la collation de l'évêque de St-Flour ».
Probablement construite par les vicomtes de Carlat, elle est officiellement datée du début du XIIe siècle mais certains évoquent une plus grande ancienneté, " … sa construction semble bien antérieure à cette date par la taille de ses pierres (style du XIème siècle au maximum) … Regardez bien le soubassement de cette église sur lequel ont été érigées des pierres taillées (avec rigueur quant aux dimensions), sans liant, dignes d'un temple grec. Sommes-nous réellement au XIIeme siècle ou avant ? … était-ce un temple avant de devenir une église, ce style courant dans les Balkans a-t-il été copié par des croisés de retour de la deuxième croisade (1147-1149) … ?"
L’auteur poursuit en posant cette question : « Comment un poids aussi considérable pouvait-il avoir une telle assise sur une base d'apparence si fragile ?» car on touche ici à l’un des maux dont souffre cette vénérable dame, sa fragilité. Au XIXe siècle, d’imposants contreforts ont été accolés au bâti afin de tenter de le stabiliser. Malgré tout, les fissures sont nombreuses et évolutives et l’humidité ronge le tout.
En 2004, une association a vu le jour, les Amis de l’Eglise de Jou (A.D.E. J.), afin de collecter des fonds en vue d’aider la commune de Jou-sous-Monjou à restaurer son église romane.
En janvier 2017, la commune, consciente de l’inexorable, a commandé une étude de diagnostic en vue de la restauration de Notre-Dame afin de connaître l'état du bâtiment et la faisabilité de l'opération.
A l'heure où nous écrivons ces lignes, l’église est ouverte à la visite, tous les jours, de 9 heures à 18 heures, un guide détaillé réalisé par l’A.D.E.J. est disponible à l’entrée.
Visite des lieux
L’extérieur
Le clocher-mur érigé au-dessus de l’arc triomphal et le porche datent du XVe siècle ; par contre le portail plein cintre à 4 archivoltes est caractéristique du XIIe siècle avec son décor unique en Haute-Auvergne mettant en scène cinq figures humaines dont deux têtes inclinées et trois personnages qui semblent prier.
En attendant le début des travaux, un étai massif, sorte de doublure accolée au tympan, sécurise l’ensemble, masquant partiellement les trois voussures qui le composent.
Le tympan et les ventaux sont en bois sculpté du XVIIe siècle, une superbe corbeille de fleurs pour le tympan et intemporels motifs floraux pour les ventaux.
A droite du porche, on devine les vestiges, fort mal en point, d'une litre funéraire* (également appelée litre seigneuriale ou litre funèbre), pratique du XIVe siècle, dont la restauration fait partie des priorités de l'A.D.E. J. .
Sans doute déplacés et réemployés, une vingtaine de modillons, dix de chaque côté, caractéristiques du XIIe siècle, ornent les corniches des chapelles latérales du XVe. Selon Rochemonteix (p. 168) « les beaux modillons qui décorent les deux chapelles proviendraient des ruines du château de Monjou » et plus loin « Peut-être ceux de Monjou sont-ils, avec ceux de Saint-Cernin, les plus finis comme travail ».
L’intérieur :
Il semble avéré que la nef était composée de trois travées voûtées en bois avant d’être remaniée au XVe siècle, il n’y a désormais que deux travées arborant, au niveau des deux clefs de voûte, les armoiries des vicomtes de Carlat, soit, selon Rochemonteix (p. 170), Bernard VII avec le « parti d’Armagnac et de France », et Bernard VIII avec un « écartelé d’Armagnac et de Carlat-Rodez brisé d’un lambel ». Toujours au XVe siècle, deux chapelles furent ajoutées afin de conférer à l’ensemble la forme d’une croix latine en vogue à l’époque gothique.
L'abside est circulaire, voûtée en cul-de-four, éclairée de trois baies romanes. Le choeur est voûté en berceau plein cintre. L'arc triomphal qui sépare la nef du chœur est fortement rétréci (2,40 m) , il est formé de deux rangs de doubleaux à boudins reposant sur des colonnettes dont les chapiteaux et abaques sont sculptés.
Pierre Moulier dans son Frédéric de Marguerye, un évêque archéologue dans le Cantal (1837-1852) p. 46 explique ainsi ce rétrécissement:
« Lascelles et Jou sous Monjou dont les chœurs sont en effet caractérisés par une forte saillie des murs séparant le sanctuaire de la nef, et donc par un net rétrécissement de l’entrée de chœur. Il est possible que cette ouverture réduite ait été voulue à l’époque de la construction de ces églises afin de mieux marquer la coupure spirituelle entre le monde profane et le monde sacré mais l’hypothèse n’emporte pas totalement l’adhésion ».
Les sculptures sont fort nombreuses, certaines particulièrement figuratives telle que cette mise en scène de 3 personnages, le personnage de droite tient, d'une main, la tête d’un homme agenouillé et, de l'autre, brandit un couteau, tandis que le 3ème personnage semble vouloir arrêter son geste menaçant. Plusieurs explications sont avancées, pour Pierre Moulier, ce serait l’illustration du sacrifice d’Isaac par son père Abraham, tandis que pour d’autres auteurs, « il s'agit de sacrifier le membre viril, symbole du péché, le personnage est dédoublé entre sa volonté d'en finir avec le péché et le désir de persévérer, c'est un combat intérieur, combat spirituel qui est représenté ».
Classée aux Monuments Historiques depuis 1925, cette merveille architecturale a trop longtemps été délaissée, elle attend impatiemment la (coûteuse) restauration qui s'impose ...
* litre funéraire : décors de peintures, généralement des armoiries sur bandes noires, réalisés à l'occasion des funérailles d'une personnalité, patron-fondateur ou seigneur
DTF mise à jour 07/2024